Odessa est une ville balnéaire de la mer Noire, au sud de l'Ukraine. Une cible privilégiée pour la Russie en raison de sa position. Dans les années 60, Alexandre Krovnikoff voyage souvent dans cette ville. Sur les photos, on en oublierait presque la guerre. Et pourtant.
Depuis le début de l'invasion le 24 février dernier, la population d’Odessa, en Ukraine, craint toujours l'attaque des Russes. Les habitants se protègent avec une multitude de sacs de sable. Car Odessa est une ville prospère, comme le montre les photos d'Alexandre Krovnikoff. Il est né en 1928 à Orléans, d'un père russe et d'une mère arménienne née en Turquie. Photographe, il a très souvent voyagé en Russie et à Odessa.
Sur ces photos, ce qu'il est intéressant de constater, c'est qu'elles datent de 1964. La fin de la période Khrouchtchev. C'est une année d'éclaircie, celle d'un monde apaisé.
Didier Francfort professeur d'histoire culturelleUniversité de Lorraine
Située sur les bords de la mer Noire, Odessa héberge le principal port du pays, et c’est l’un des principaux points de transit des exportations de céréales, de maïs et d'orge. Une ville riche. "C'est pour ça que la ville est jumelée avec Marseille. A la fois un port militaire et commercial", explique Didier Francfort.
La perle de la mer Noire
Didier Francfort est spécialiste d'histoire culturelle de l'Europe centrale et orientale à l'université de Lorraine. "Ce qu'il est intéressant de constater c'est que les photos sont de 1964. La fin de la période Khrouchtchev. C'est une année d'éclaircie, celle d'un monde apaisé".
Sur les photos d'Alexandre Krovnikoff on comprend mieux l'insouciance des habitants et des touristes de l'époque, dans les années 60. Mais aussi pourquoi la prise de la ville par l’armée serait un tournant de l'invasion russe. "Et c'est une ville nouvelle, une colonisation, pas seulement russe, mais aussi avec des grecs, des juifs. Et Odessa vient de l'Odyssée", raconte Didier Francfort. "Pour Vladimir Poutine la ville à quelque chose d'insolent". Une ville libre. Un port franc. Un refuge de la culture, des écrivains, des peintres et des compositeurs.
Staline est mort en 1953. Khrouchtchev arrive au pouvoir en 1956 avant d'être destitué en 1964. "Encore une fois, Alexandre Krovnikoff se rend en Russie, et on le constate bien sur les photos, à un moment où il y a une nette amélioration dans le pays".
Odessa devient alors une station balnéaire. La côte d'azur et le Saint-Tropez de la mer Noire. Le président de l'Etat soviétique d'origine ukrainienne Léonid Brejnev, le successeur de Nikita Khrouchtchev, aura même son yacht présidentiel amarré ici.
Les trois jeunes garçons, avec leur foulard rouge noué autour du cou, appartiennent aux pionniers, une organisation de la jeunesse communiste, inspirée du scoutisme.
A cette époque, ils ont adopté une sorte d'hymne, "pourvu que le soleil se lève demain". "Les pionniers, c'est en quelque sorte la jeunesse de la jeunesse communiste", dit Didier Francfort. "Pour les enfants de 9 à 14 ans il était presque obligatoire d'appartenir à ce mouvement qui a disparu avec la chute de l'URSS". Puis en 2015, Vladimir Poutine a ordonné la création d'une nouvelle organisation de jeunesse. Une réhabilitation des pionniers.
Alban Mikocsy, grand reporter à France 2, est actuellement en Roumanie. Dès le début de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il est sur place à Odessa. Avec une population qui est bien décidée à résister. Joint par téléphone par France 3 Lorraine samedi 12 mars 2022, il raconte que "les Ukrainiens ont réussi à protéger leur patrimoine, soit en transportant les œuvres des musées dans des souterrains, soit en emballant les statues de la ville. Ils protègent leurs symboles, comme la statue du Duc de Richelieu".
Avant la guerre, la ville comptait environ un million de personnes. " Il faut dire que pour l'instant la ville n’a pas été bombardée. Cependant, la moitié des habitants (500.000 personnes) ont fui vers la Roumanie et la Moldavie".
C’est une ville en situation de blocus. Devant les principaux bâtiments, il y a des sacs de sable pour les isoler en cas de combat.
Alban Mikocsy, grand reporter à France 2.
Dans une tribune publiée cette semaine dans le journal Le Monde, l'écrivain Camille de Toledo dit : "Odessa n’appartient pas seulement à l’Ukraine. Nous y sommes nés ou nous y renaîtrons un jour". Et surtout il espère "qu’Odessa soit épargnée !"
En attendant au quinzième jour de guerre, la ville est de plus en plus menacée. Odessa reste dans le viseur de la Marine russe.