Marine Le Pen est déjà tournée vers le troisième tour des législatives, forte de ses bons scores enregistrés lors de la présidentielle. Mais le Rassemblement National peut-il prendre des circonscriptions en Lorraine ? Analyse de Jérôme Pozzi, docteur en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine.
Marine Le Pen est arrivée en tête en Meuse et dans les Vosges. Ces circonscriptions tenues par des députés LR, UDI et non-inscrit sont-elles prenables par le RN ?
Que ce soit au niveau national ou en Lorraine, il est très difficile de transposer les résultats des élections présidentielles sur les circonscriptions législatives. Trois facteurs vont jouer :
1- L’abstention. La participation s’est élevée à un peu plus de 70%, et quand on regarde les législatives de 2017 après la 1ère victoire d’Emmanuel Macron, un peu plus de 50% des personnes n’étaient pas allées voter. L’abstention est la mère de toutes les batailles.
2- La question des stratégies d’alliance entre les partis. Jean-Luc Mélenchon tente de réunir autour de lui les communistes, les écologistes. Pour les socialistes c’est plus difficile. Est-ce que cela va pouvoir se faire en pratique ? Rien n’est moins sûr.
3- En ce qui concerne les députés sortants, certains sont bien implantés, d’autres moins bien. Cela va jouer aussi pour les électeurs, les inciter ou pas à se déplacer pour voter.
Comme Marine Le Pen a fait un bon score, peut-être que l’élan est encore possible mais les Législatives auront lieu dans six semaines et il n’est pas dit que son électorat se mobilisera comme il s’est mobilisé pour l'élection présidentielle
Jérôme Pozzi, docteur en histoire contemporaine à l'Université de Lorraine
L’histoire nous apprend que pour remporter des circonscriptions, il faut soit être porté par une victoire à la Présidentielle, soit être bien implanté localement. Le RN n’a ni l’une ni l’autre.
En effet, le RN n'a pas d’implantation locale. Il investit un maximum de candidats pour récolter des voix mais le parti n’a que sept députés à l’Assemblée nationale. Cela dit, son électorat est très mobilisé et comme Marine Le Pen a fait un bon score, peut-être que l’élan est encore possible pour eux mais les Législatives auront lieu dans six semaines, les 12 et 19 juin 2022 et il n’est pas dit que son électorat se mobilisera comme il s’est mobilisé pour l'élection présidentielle.
Même dans les départements des Vosges et de la Meuse où la candidate RN est largement passée devant Emmanuel Macron ?
Dans les circonscriptions où son électorat a beaucoup progressé comme en Meuse et dans les Vosges, il existe déjà des personnalités politiques bien implantées. Par exemple dans la 2ème circonscription des Vosges à St-Dié dont le maire, David Valence, est proche de LREM, Macron est arrivé en tête. Donc rien n’est joué pour les Législatives. Certaines circonscriptions sont depuis quelques temps tangentes comme celle de Lunéville en Meurthe-et-Moselle où à chaque présidentielle, le RN fait de bons scores, mais dans les faits il n’arrive pas à transformer l’essai et remporter la circonscription.
Pour quelles raisons ?
D’abord, la loi électorale n’est pas favorable à un certain nombre de partis politiques. Pour accéder au second tour, il faut obtenir 12,5% des votes des inscrits. Or, si vous avez une abstention de 50% comme en 2017, ça veut dire que pour aller au second tour, il faut faire 25%. Des candidats qui font 25% des inscrits au premier tour, c’est loin d’être évident. Ensuite, dans les cas où le candidat du RN irait au second tour, il y a une forme de front républicain qui se met en place pour barrer la route au parti d’extrême droite.
Quels sont pour vous les principaux enjeux des partis politiques pour les prochaines législatives ?
Pour moi, la question essentielle est la suivante : LREM va-t-elle retrouver sa majorité pléthorique qui est aujourd'hui de 345 députés ? Il n’est pas impossible que dans six semaines, certains ne retrouvent pas les bancs de l’Assemblée nationale. Emmanuel Macron se retrouverait alors avec une majorité plus étriquée. Se pose aussi la question des alliances : est-ce que les partis vont réussir à faire des alliances pour placer des candidats au second tour ? On pense ici à la dynamique à gauche autour de Jean-Luc Mélenchon. Les jours qui viennent vont être déterminants en termes de stratégie.
Enfin, il y a l’enjeu financier. On ne le souligne pas assez mais le financement de la vie politique est lié au résultat que font les candidats au premier tour. Un parti politique petit ou gros a intérêt à présenter un maximum de candidats aux Législatives. C’est ce que va essayer de faire Eric Zemmour pour obtenir cette manne financière, pareil pour le PS et LR endettés. Avec des scores inférieurs à 5% aux présidentielles, ils ne seront pas remboursés de leurs dépenses de campagne.