Le confinement des libraires n'en finit pas de faire couler de l'encre. Les professionnels du secteur demandent que les livres soient considérés comme des biens essentiels. Pendant ce temps, ils s’organisent pour maintenir un système de "click and collect" (commandez/retirez).
Ils demandaient le maintien de l'ouverture des librairies. Ils ont obtenu...la fermeture des rayons livres des grandes surfaces, effective ce lundi 02 novembre 2020. Les libraires protestent contre la concurrence déloyale des grands groupes de vente en ligne comme Amazon alors qu'eux sont tenus au confinement.
D'abord autorisées à ouvrir, les grandes enseignes comme la FNAC ont finalement dû fermer leurs rayons livres. Une situation ubuesque que raille le dessinateur Joann Sfar:
En Meurthe-et-Moselle, le maire (LR) de Saint-Max, Eric Pensalfini, est de ceux qui ont pris un arrêté pour garder ouverts les commerces non-alimentaires.On a ouvert un boulevard à Amazon.
Mathieu Klein, le maire (PS) de Nancy, estime que c’est une fausse bonne idée. Ces décisions sont rapidement annulées par le tribunal administratif. Il signe avec une cinquantaine d’élus locaux une lettre ouverte au premier ministre qui demande un réexamen de la "notion ambiguë de commerces non essentiels". D’autres communes, comme Ludres, ont décidé de garder leur médiathèque ouverte en "sans contact".
Commander sur internet et retirer ou se faire livrer
Pour garder la tête hors de l'eau, les libraires redoublent d'efforts. "Les 2 derniers mois de l'année représentent près de 30% de notre chiffre d'affaire", explique Olivier Huguenot, gérant de la librairie Le neuf à Saint-Dié des Vosges et président de l'Association des libraires indépendants de l'Est. Chez lui, on propose le retrait à l'extérieur du magasin mais on essaie aussi de faire vivre la librairie autrement, par des lectures confinées sur les réseaux sociaux, des dessins en direct et même des livraisons."On voit bien l'importance du livre aujourd'hui avec la réouverture des écoles. Ce n'est pas qu'un bien de consommation c'est un symbole de la culture en France."
"Occuper le terrain au maximum"... A la librairie BD La parenthèse de Nancy, tout le monde est aussi sur le pont pour organiser le point retrait et préparer les commandes. Concrètement, vous pouvez leur téléphoner en leur demandant "L'arabe du futur" par exemple et venir le chercher dans la foulée à l'entrée de la boutique.
Stéphane Godefroid, le co-directeur, explique: "On a tout fait pour être le plus prudent possible. Sur les 130 libraires de notre réseau d'indépendants, il n'y a eu aucun cas de covid. Les librairies ne sont pas des clusters... La fermeture des rayons livres des grandes surfaces rétablit une équité. Sans cela, on était mort. Mais on aurait préféré un pied d'égalité où tout le monde travaille. L'Etat a préféré la position où personne ne travaille."
Un libraire qui estime même, comme d'autres, qu'il ne faudrait plus sortir de nouveautés chez les éditeurs jusqu'à réouverture.
La pression des Goncourt
Le prix Goncourt devait être décerné le 10 novembre. Il est suspendu en "soutien total" aux libraires. D'autres prix littéraires ont emboité le pas des académiciens. Un prix Goncourt s'écoule en moyenne à 400.000 exemplaires. Pas question que les librairies indépendantes n'en profitent pas pour les sages de Drouant.Pour Nicolas Mathieu, notre prix Goncourt lorrain, "avant qu’il ne soit question de grands principes de résistance, il s’agit d’entendre la voix de ces commerçants. La France a un réseau très dense de librairies indépendantes. C’est unique en Europe. Elles font exister un éventail de livres beaucoup plus grand. Ça serait terrible que ça disparaisse."
Les livres nourrissent ce que nous sommes.
La toile en ébullition
La nancéienne Lily Marlu (dessin ci-dessus) imagine avec humour et tendresse des solutions alternatives.
Pour la grande Rebecca Dautremer, c'est la violence d'une main coupée:
Chez Riad Sattouf, on lève la main et on demande gentiment au gouvernement:Et ce ne sont pas forcément les plus jeunes les plus rock-and-roll. Le lorrain Claude Ponti, mythique illustrateur jeunesse, termine sa "lettre ouverte aux esprits fermés" par cette phrase : "La culture vous a nourris. Ouvrez les librairies et fermez-la!"
L'appel a la désobéissance de Philippe Claudel
L'écrivain lorrain Philippe Claudel, lauréat du Goncourt des lycéens et du Renaudot, a partagé ce lundi 2 novembre un appel. Voici son texte:"Libraires, de grâce, désobéissez !
Pour nous, lectrices, lecteurs, écrivaines, écrivains, ouvrez vos commerces qui nous sont essentiels. Essentiels pour penser, essentiels pour rêver, essentiels pour nous rencontrer par les livres, pour nous connaître, nous comprendre et comprendre le monde.
Libraires, de grâce, désobéissez !
En ces temps où notre société est sujette à bien des peurs et des interrogations, la culture du livre, sa transmission et son accès, sont essentiels, quoi qu’en pense le gouvernement, pour chaque citoyenne et chaque citoyen.
Libraires, de grâce, désobéissez !
Afin que notre jeunesse, à laquelle on demande réflexion et mesure, profondeur et tolérance, sache que le commerce du livre est un pilier fondamental de toute société qui se veut éclairée et éclairante.
Libraires, de grâce, désobéissez !
Ouvrez vos librairies, à toutes et à tous, dans le respect des gestes barrières et des précautions sanitaires, afin que la culture prenne la place qui lui revient, et que l’ignorance ne tue pas davantage que n’importe quel virus."
Philippe Claudel