Une équipe de chercheurs et de médecins de Nancy vient de faire breveter une invention pour aider des patients atteints d'une pathologie cardiaque. Un mini-exosquelette, imprimé en 3D, avec des matériaux biocompatibles. Le dispositif pourrait être proposé aux patients d'ici à 5 ans.
Ce dispositif d'assistance cardiaque biocompatible est une idée qui pourrait susciter un grand espoir chez nombre de patients.
Rencontrés en ce mois d'avril 2021, les deux inventeurs, le professeur Nguyen Tran, directeur de l’ecole de chirurgie de Nancy et le professeur Juan-Pablo Maureira, chef du service cardiologie du CHRU de Nancy en sont conscients. Mais d’emblée, ils préviennent. Il ne faut pas donner de faux espoirs aux patients. Il faudra encore un peu de temps et de financement pour que ce projet aboutisse.
Conserver le coeur natif
"Ce projet" n’est rien moins que le premier dispositif d’assistance cardiaque biocompatible. Une sorte d’exosquelette qui viendrait envelopper un cœur défaillant pour l’aider à battre au bon rythme.
"Ce système innovant permet une application mini-invasive qui ne détruit pas le cœur natif. Il a tout un système de mesures et de contractions et il est complètement implantable. Voilà le concept", nous explique le professeur Nguyen Tran, qui précise : "Aucun contact avec le sang, ce qui a l'avantage de limiter les risques de thrombose, c'est important". Le professeur Juan-Pablo Maureira complète : "L’objectif est d’aider les patients insuffisants cardiaques. On a déjà beaucoup de solutions en développement, dont certaines sont très efficaces. Cette innovation a l’originalité et l'avantage de conserver le cœur natif. Il s'agit d'une assistance qu’on implanterait par voie chirurgicale".
Ces travaux ont été publiés dans un journal scientifique : Journal of the Mechanical Behavior of Biomedical Materials
Masser le coeur malade
Des recherches, en partie financées par le Fonds européen de développement régional (FEDER), pour une idée qui a germé dans la tête du professeur Tran en 2016, après une visite à l’école de chirurgie du professeur Carpentier, inventeur du cœur artificiel.
Avec le professeur Pablo Maureira, ils ont imaginé un système sur-mesure pour le patient. Il sera adapté à la géométrie de son muscle cardiaque, comme une main qui viendrait masser, avec une très grande précision, l’organe malade. Si ce prototype a pu être mis au point, c’est grâce au travail d’une équipe pluridisciplinaire, composée de chercheurs et de médecins, avec l’aide d’une jeune société spécialisée dans les technologies liées au médical.
Imprimé en 3D
Imprimer un dispositif d’assistance cardiaque sur une imprimante 3D, l’idée paraît un peu folle. Pourtant, c’est bien de cela dont il s’agit.
Cette imprimante 3D fonctionne avec de la poudre de titane. Ce qui présente plusieurs avantages : "L’impression 3D métallique nous permet de créer des prototypes de manière rapide sans être gêné par toutes les contraintes d’usinage de ces matériaux biocompatibles", nous explique le Docteur Antoine Chalon, aujourd’hui responsable scientifique de la société nancéienne Velvet Innovative Technologies et qui a fait tout son travail de thèse sur l’exosquelette cardiaque.
On a imprimé le prototype avec une poudre de titane.
"On a imprimé le prototype avec une poudre de titane "Niobium".
Cette poudre est à la fois imprimable et présente une bio-intégration fantastique. "L'impression en 3D permet du sur-mesure. Pour chaque cœur qui est malade, la conformation n’est pas la même. La zone détériorée n’est pas la même. Les endroits, où il faut exercer une pression précise, ne sont pas les mêmes. Elle permet aussi d’avoir des matériaux plus légers et plus adaptés à la bio-intégration", nous explique le professeur Tran.
Nous sommes capables de faire des simulations en trois dimensions, sur un ordinateur, avec des milliers d’éléments qui vont interagir et permettre de prédire ce qu’il va se passer, avec une grande précision.
Ce qui permet d’arriver à un tel résultat tient aussi dans les progrès des technologies numériques.
Les vitesses de calcul des ordinateurs, mais aussi les modélisations qui permettent de tester toutes les solutions en trois dimensions, sont des atouts majeurs, comme nous l'explique Antoine Chalon. "Désormais, nous avons des puissances de calcul gigantesques. Nous sommes capables de faire des simulations en trois dimensions sur un ordinateur avec des milliers d’éléments qui vont interagir et permettre de prédire ce qu’il va se passer avec une grande précision. Nous arrivons à reproduire correctement les pressions qui doivent s’exercer sur le muscle cardiaque. Nous avons testé le dispositif dans le cas de figure le plus défavorable, avec un cœur (animal) à l'arrêt. Le dispositif et la prothèse ont fait tout le travail. On arrive à obtenir une pression physiologique et donc une circulation du sang tout à fait normale. L’impression 3D métallique nous permet de créer des prototypes rapidement, sans être gêné par toutes les contraintes d’usinage de ce type de matériaux biocompatibles".
Avec cette solution, tous les cas de figure peuvent être envisagés et être testés rapidement.
Bio-électricité pour l'avenir
Le Dr Chalon imagine l'avenir. Avec son équipe, il travaille sur la possibilité d’une batterie auto-rechargeable par les mouvements du patient.
"L'usage de la bio-électricité, générée par les muscles et les mouvements, serait une façon intéressante d'espacer au maximum les phases de recharge. À l'instar des voitures électriques ou hybrides qui utilisent l'énergie du freinage pour se recharger, ce type de mécanisme permettrait d'optimiser l'autonomie du dispositif. Cette option est pour le moment une hypothèse. Le fonctionnement actuel de l’assistance cardiaque prévoit des alertes largement en amont de l’épuisement des réserves d'énergie. Dans le cas d’un déchargement total, le système est conçu pour se désactiver dans sa position la plus ouverte, afin de causer le moins de risques pour le patient."
Une membrane biocompatible
Entre le cœur et l’exosquelette, il a fallu imaginer un dispositif assez fin pour ne pas nuire au fonctionnement, assez souple pour s’adapter et qui est biocompatible.
C’est à ce moment que le professeur Nguyen Tran a pensé à l’Institut Jean Lamour de Nancy. Le laboratoire de l’Université de Lorraine est une référence mondiale sur la recherche dans le domaine des matériaux.
Jean-Philippe Jehl, enseignant-chercheur à l'Institut Jean Lamour (CNRS / Université de Lorraine) a relevé le défi. Il est docteur en science des matériaux. Avec son équipe, il propose une membrane très innovante : "La membrane a un rôle important dans la mesure où elle vient constituer l’interface entre le cœur et l’exosquelette pour protéger le tissu cardiaque et l’organe pour éviter toute inflammation. Elle doit être biocompatible. Cela rend éligibles quelques matériaux. Nous testons le chitosane (dérivé de la chitine) et le tamarin (datte indienne). Le chitosane est d'origine animale, crevettes ou mues de cigales." Des matériaux qui passent par différentes phases et qui servent d’encre à une imprimante 3D très particulière : une bio-imprimante. (La bio-impression est une application biomédicale des procédés de fabrication additive permettant de produire artificiellement des tissus biologiques). Elle permet d’imprimer une membrane ayant la forme exacte du muscle cardiaque qu’elle va protéger.
Aurélia Poerio, doctorante à l'Institut Jean Lamour (CNRS / Université de Lorraine), est chargée de la fabrication de ces membranes. Pour elle, aussi, le sur-mesure est la clé : "Cela présente un grand intérêt dans le cadre de l’individualisation de la membrane. Il s'agit de pouvoir s’adapter à la géométrie cardiaque particulière d’un patient. Elle va jouer le rôle d’une sorte de chaussette de contention qui viendra gérer les déformations attendues".
Brevet déposé
Il reste encore du chemin pour finaliser les recherches.
Pour le professeur Nguyen Tran, il faut optimiser encore ce prototype. "Il y a des choses à améliorer. Par exemple, les capteurs, en fonction de la fréquence et de la pression aortique. Si le patient est hypertendu, il faut qu’il appuie fort. C'est un vrai défi. Il faut réduire au maximum le mécanisme pour pouvoir implanter correctement. Il faut plus d'autonomie de la batterie. Il faut travailler à un dispositif ultra léger, car beaucoup de patients, qui pourraient être concernés, sont âgés".
À ce stade, en plus de la publication d'un article scientifique, un brevet a été déposé. Le projet a été qualifié auprès de l’incubateur lorrain, dans le but que cette innovation soit portée par une entreprise lorraine : Velvet Innovative Technologie.
Selon le professeur Nguyen Tran, avec les bons financements, cette innovation pourra être, dans cinq ou six ans, une proposition médicale de plus, à la disposition des médecins et des patients insuffisants cardiaque.