Michel Didym, ex-directeur du théâtre de la Manufacture à Nancy est accusé de violences sexuelles. Alice a porté plainte contre lui pour viol. Nous l'avons rencontrée, elle déplore que le parcours des victimes demeure difficile. Samedi elle participera au rassemblement place du Palais Royal à Paris.
C’était il y a un an, au mois de novembre 2020. Alice écrit une longue lettre au procureur de la République de Nancy. "J’ai porté plainte parce que je voulais que l’on voit qui il était".
Dans un courrier de plusieurs pages, que le journal Libération s’est procuré, elle accuse Michel Didym, l’ex-directeur du théâtre de la Manufacture de Nancy, comédien, metteur en scène connu et reconnu, de l’avoir violée huit ans plus tôt. Une soirée de 2012. Un rendez-vous sous un prétexte professionnel. "Je sens ses doigts qui se rapprochent de mon sexe. Et finalement ses doigts dans mon sexe. Et là, il y a comme un réveil. Il faut que ça s’arrête", écrit Alice dans sa lettre au procureur, révélée par le journal Libération.
Ça a été très dur de passer la porte du commissariat.
Puis, tout naturellement, pour suivre la procédure, Alice doit raconter cette soirée avec Michel Didym. Une personnalité à Nancy. Elle est convoquée au commissariat de police de Nancy. Et lorsqu'elle rentre dans le bureau, elle se retrouve face à un homme."C’est difficile de raconter ce qui t’es arrivé, à un homme, devant un homme, que tu ne connais pas. Tu ne choisis pas l'enquêteur que tu as en face de toi. Ça a été très dur de passer la porte du commissariat".
L’enquête et la première année de procédure qui ont suivi
A la fin du mois de septembre, Michel Didym est placé en garde à vue dans les locaux de la sûreté départementale. La suite normale du dépôt de plainte. Il est accompagné de son avocat qui assiste à la confrontation. "Chaque partie est restée sur ses positions", explique Philippe Guillemard, avocat, vendredi 1er octobre. Ce jour-là, devant les enquêteurs, selon François Pérain, le procureur de la République, le metteur en scène a déclaré "n’avoir eu aucune relation sexuelle avec une étudiante". Aussi, toujours selon le procureur, dans ses déclarations, la jeune femme a expliqué : "lors de cette soirée, le directeur lui aurait fait subir des pénétrations digitales lors d’une séance de massage improvisée". Puis, elle ajoutait : "lors de mon agression, je me suis sentie paralysée, comme "hors de mon corps". Elle indiquait également : "être restée ainsi inerte pendant un temps indéterminé jusqu’à ce qu’elle se rende compte de ce qui se passait. Elle prenait ensuite la fuite de l’appartement".
Est-ce que vous maintenez votre plainte pour viol ? Mais oui, je maintiendrai ma plainte pour viol jusqu’à ma mort !
Au mois d'avril, depuis la publication des premiers articles sur le site de France 3 Lorraine Alice ne souhaitait pas s’exprimer. Aujourd’hui, après ses révélations dans Libération, elle a changé d'avis. Et une nouvelle fois, elle rompt le silence avec ses mots. Au fil d’une discussion, surgissent chez elle, des souvenirs refoulés de cette journée dans le commissariat. Tout remonte. Les yeux embués de larmes, elle nous raconte : "l’enquêteur devant moi me pose trois fois la même question".
- Est-ce que vous maintenez votre plainte pour viol ?
- Mais oui, je maintiendrai ma plainte pour viol jusqu’à ma mort !
Puis après un silence, entre nous, l'entretien reprend :
- Quelle est votre sentiment à ce moment-là ?
- Je ne crois tellement pas à la justice nous dit-elle. Ce n’est pas une institution qui prend soin des victimes. J’ai porté plainte en novembre 2020, il y a presque un an. Ce n’est ni la police, ni la justice qui m’ont aidée là-dedans.
- Mais pourquoi ?
- Moi je fais du théâtre depuis que j’ai six ans, c’est ma vie le théâtre. Il m’a volé ma vie, c’est ça en fait ! Il m’a volé ma vie. (Elle le dira deux fois). Aujourd’hui moi je suis au bout du rouleau. Ce qu’on traverse ? On a des envies suicidaires, on a des flash-back. Je n’en peux plus. J’ai autre chose à faire de ma vie. Je voudrais juste que cela n’aie jamais eu lieu.
Le pouvoir d'un homme et d'une profession
Le témoignage d’Alice interroge sur le rapport au pouvoir de toute une profession. Le problème, ce n’est pas cet ancien directeur, c’est le théâtre. "Les metteurs en scène, les directeurs ont un pouvoir beaucoup trop important quand on commence dans le milieu du théâtre. On ne sait pas comment travailler, on doit faire confiance aux gens, et certains ne sont pas forcément là que pour faire du théâtre".
Moi je suis effarée quand les gens disent qu’ils ne savaient pas.
Depuis, Alice a quitté le milieu du théâtre. "Je pense que c’est ce qui m’a donné la force de porter plainte. Donc je n’ai plus de pression, et je suis très bien entourée et je ne suis pas seule", dit -elle. Et elle ajoute : "Moi je suis effarée quand les gens disent qu’ils ne savaient pas. Et je comprends pourquoi les victimes se taisent. On est tellement dépendant. Oui tout le monde savait et personne ne dit rien car tout le monde dépend de ces structures. Je comprends pourquoi les femmes abandonnent toutes avant la fin de la procédure. Il y a une présomption d'innocence pour les agresseurs mais pas de présomption de vérité pour les victimes".
Depuis plus d'un an, Alice est suivie par une thérapeute, spécialisée dans le soin post-traumatique. "Je suis suivie par une psychologue. J’ai 30 ans cette année. J’avais 20 ans quand ça m’est arrivé". Depuis les articles de France 3 Lorraine et du journal Libération, les réactions ne cessent de se multiplier. "Je pense qu’il est urgent que les victimes soient protégées dans des structures. Qu’il y ait des personnes dédiées à les écouter dans et hors de ces structures. Parce que dans le milieu tout le monde voit et la plupart se tait".
Dans ces témoignages que nous avons recueillis, elles décrivent notamment une prise de conscience de ce qu’elles ont vécu. Courageux, sincère et émotionnel à la fois. "Pourtant, la police et la justice n’ont pas cessé de me dire que mon combat ne devait pas être un combat féministe et que je devais surtout penser à moi. Mais si je vais porter plainte c’est aussi pour les autres. C’est évidemment politique. C’est pour protéger les autres. C’est parce que j’ai la chance d’en avoir eu la force".
La naissance de #MeTooTheatre
Aujourd’hui, les accusations d’Alice ont participé à la libération d’une parole, comme au cinéma il y a quatre ans. A travers le hashtag #MeTooTheatre sur les réseaux sociaux, les témoignages se multiplient. Des milliers de femmes s’expriment librement sur le harcèlement, les agressions sexuelles ou le viol. "C’est épuisant. Et on reste toute seule avec nos émotions", raconte en pleurant Alice. Cesser de se taire n’est pas si simple et évident pour les comédiennes, régisseuses ou encore les élèves dans les écoles de théâtre.
Ce qui nous protégera sur le long terme ce sont les liens que nous nous efforçons de créer. Il est urgent que les victimes soient protégées dans des structures.
Une première action publique est néanmoins prévue samedi 16 octobre. Un rassemblement devant le Ministère de la Culture à Paris, Place du Palais Royal, à 11 heures.
Pas de représentations pour Michel Didym à Lyon
Maintenant les premières décisions tombent. A Lyon, le théâtre des Célestins a décidé de reporter la représentation du spectacle "Habiter le temps" dont la mise en scène est signée Michel Didym. Les directeurs du théâtre des Célestins, Claudia Stavisky et Pierre-Yves Lenoir expliquent "qu’en raison du contexte de procédure judiciaire en cours et de "la gravité des accusations", l’établissement ne peut accueillir une pièce de Michel Didym".
Et le communiqué précise : "Si nous respectons le travail en cours de la justice – à ce jour, l’enquête préliminaire se poursuit et Michel Didym reste présumé innocent – nous ne pouvons rester sourds aux nombreuses voix qui se sont exprimées, ni assurer auprès de l’auteur, des comédiens, comédiennes, techniciens et techniciennes engagé.es sur ce spectacle, des conditions sereines de représentation. C’est pourquoi, avec la plus grande considération pour eux qui sont totalement étrangers à cette affaire, nous avons conclu que le spectacle mis en scène par Michel Didym ne pouvait être accueilli aux Célestins tant que la procédure judiciaire n’était pas aboutie".
Selon le Monde Diplomatique, en France, de 60 à 80 % des affaires de viol poursuivies ne sont pas examinées par les cours d’assises, où sont jugés les crimes, mais par les tribunaux correctionnels, comme des délits. Une pratique nécessaire pour lutter contre l’encombrement des assises, selon le ministère de la justice. Mais qui n’est pas sans incidence pour les victimes et pour le traitement de la récidive.
Après la plainte pour viol déposée par Alice, à l'issue de sa garde à vue, Michel Didym n'a pas été mis en examen. L’enquête en préliminaire se poursuit. Elle a été confiée à la brigade des mœurs de la sûreté départementale de Nancy.