Huit femmes médecins sur dix ont été victimes de violences sexistes et sexuelles à l'hôpital. Alors que de nombreux témoignages affluent, Coraline Hingray, psychiatre au CHRU de Nancy et vice-présidente de l'association "Donner des elles à la santé", appelle à briser l'omerta.
Le mouvement #MeToo gagne l'univers hospitalier. Depuis les accusations de l’infectiologue Karine Lacombe à l’encontre du médiatique urgentiste Patrick Pelloux, les témoignages se multiplient dans le milieu de la santé. Des centaines de femmes dénoncent des agressions sexuelles et des remarques déplacées, notamment dans les hôpitaux. Coraline Hingray, psychiatre au CHRU de Nancy (Meurthe-et-Moselle) et vice-présidente de l'association "Donner des elles à la santé", n'est pas surprise par les révélations de violences sexistes et sexuelles à l'hôpital.
Des chiffres alarmants
Un collectif de médecins et de personnels hospitaliers, regroupés dans l'association "Donner des elles à la santé", publie ce 16 avril 2024 une tribune sur le harcèlement sexuel en milieu hospitalier dans le journal Le Monde. Coraline Hingray, la vice-présidente de cette association, est médecin psychiatre au CHRU de Nancy (Meurthe-et-Moselle). Elle met en avant des chiffres alarmants : “huit femmes médecins sur dix ont été victimes de violences sexistes et sexuelles à l'hôpital, dont un tiers d’entre elles avec des gestes, attouchements ou agressions sexuelles. Cela touche aussi tous les corps de métiers de la santé, comme les infirmières ou les aides soignantes".
Comme chaque année depuis sa création en 2020, l’association a mandaté l’institut de sondages Ipsos pour l’étude des inégalités de genre des professionnels de santé. Le baromètre 2023, réalisé sur un échantillon représentatif de 500 à 520 médecins, dresse un constat édifiant :
- 82 % des femmes travaillant en milieu hospitalier se sont déjà senties discriminées au cours de leur carrière du fait de leur genre.
- 78 % des femmes médecins déclarent avoir été victimes de comportements sexistes.
- 30 % des femmes médecins déclarent avoir subi des gestes inappropriés à connotation sexuelle ou des attouchements sans leur consentement.
- 49 % des médecins hospitaliers considèrent que les règles de nomination aux postes à responsabilités sont transparentes.
Omerta et "esprit carabin"
La praticienne dénonce une omerta encore trop présente. “Je salue le courage de toutes les victimes qui sont en train de prendre la parole. Malheureusement, ces révélations ne nous étonnent pas plus que ça. Ces situations sont connues de tous et depuis longtemps. Il y a un vrai tabou. Le milieu de la santé est un petit milieu avec beaucoup d’entre soi. Les hommes sont surreprésentés dans les postes à responsabilités. Les agissements sexistes sont comme acceptés depuis des années, sous prétexte d’esprit carabin, d’humour, de séduction”. Le risque d’être prise pour la mijaurée de service ou de mettre en danger sa carrière a longtemps dissuadé les femmes de parler”, déplore Coraline Hingray, psychiatre spécialiste des traumatismes sexuels.
Les excuses de l’humour grivois ou de la séduction “bon enfant”, bien souvent reprises par les auteurs de violences sexuelles, ne fonctionnent plus
Coraline Hingray, psychiatre au CHRU de Nancy et vice-présidente de l'association "Donner des elles à la santé"
La vice-présidente de l’association “Donner des elles à la santé” se félicite néanmoins de la libération de la parole et des mesures mises en place à l’hôpital. “On a maintenant des cellules de signalement dans l’ensemble des établissements hospitaliers. Des engagements de tolérance zéro apparaissent. En faculté de médecine, ces comportements sont désormais abordés, on apprend à les dénoncer et à ne pas les reproduire. Les excuses de l’humour grivois ou de la séduction “bon enfant”, bien souvent reprises par les auteurs de violences sexuelles, ne fonctionnent plus. C’est un délit d’avoir des comportements sexistes”, conclut la psychiatre.
L’association “Donner des elles à la santé” a pour mission de faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes et de lutter contre les violences à caractère sexiste et sexuel dans le domaine de la santé.