Remonter le temps pour revenir aux origines de l’univers, jusqu’au Big bang, c’est ce que permet un nouvel outil créé grâce à l’association de physiciens, de mathématiciens, d’informaticiens et d'astrophysiciens. Ils viennent de publier un article scientifique dans la revue "Physical Review Letters".
Remonter aux origines de l’univers, une quête que partagent beaucoup de scientifiques, depuis longtemps. Un article récemment paru dans "Physical Review Letters" porte sur un nouvel outil, une "machine à remonter le temps", grâce aux mathématiques, à l’informatique et à la physique.
Bruno Lévy, directeur du centre Inria Nancy - Grand Est, Roya Mohayaee, chargée de recherche CNRS à l'Institut d'astrophysique de Paris (Sorbonne Université - CNRS), et Sebastian von Hausegger, chercheur à l'université d'Oxford, sont les auteurs de cet article.
Bruno Levy nous raconte pourquoi il poursuit ce rêve : "Vous regardez le ciel pendant une nuit d'été, bien étoilée, et vous êtes pris d'un vertige. Les distances sont gigantesques. Elles défient l'imagination. Des millions d'étoiles vous observent des confins du cosmos, et là, vous vous demandez comment ces étoiles sont arrivées là ? À quoi ressemblait l'Univers, il y a très très longtemps, aux origines, au Big bang, il y a 13.7 milliards d'années. À quoi ressemblerait le grand ballet de ces galaxies si on pouvait "repasser le film" à l'envers ?
Avec mes collègues physiciens Roya Mohayaee (IAP) et Sebastian von Hausegger (Oxford) nous avons travaillé ensemble pour construire un nouvel outil, une "machine à remonter le temps" mathématique, qui permet de "repasser le film à l'envers" pour aller voir, jusqu'à l'origine, le big bang".
Les formules mathématiques sont comme des formules magiques. L'ordinateur est comme une "baguette magique".
Bruno Levy, directeur du centre Inria Nancy - Grand Est
Comment ça marche ?
"Il est bien connu que l'électricité prend le chemin le plus court, le plus facile (c'est comme ça que marchent les paratonnerres.). Ceci est un cas particulier d'un principe général en physique, qui s'appelle "le principe de moindre action". Notre méthode se fonde sur un outil mathématique (qui s'appelle le "transport optimal"), qui est équivalent, sous certaines conditions, au principe de moindre action.
Nous avons travaillé ensemble depuis 2015 pour tirer le meilleur parti des points de vue complémentaires de la physique, des mathématiques et de l'informatique. C'est ce qui nous permet de reconstruire l'histoire de centaines de millions de galaxies en quelques heures dans un ordinateur.
Notre méthode est le résultat d'une coopération entre des physiciens, des mathématiciens et des informaticiens. Les physiciens construisent des modèles de ce qui se passe dans l'Univers, sous forme d'équations. Les mathématiciens étudient la manière de résoudre ces équations. Les informaticiens traduisent ces mathématiques en algorithmes et en programmes, qui permettent de "faire vivre" ces mathématiques dans un ordinateur afin de réaliser le calcul. Ici, nous avons utilisé un outil mathématique qui s'appelle le "transport optimal", en coopération avec Yann Brenier, mathématicien français qui a beaucoup développé ce domaine.
Les formules mathématiques sont comme des formules magiques. L'ordinateur est comme une "baguette magique" qui permet de leur donner vie et d'agir sur le monde, ou de mieux comprendre le monde. Les physiciens s'intéressent à ce que veulent dire les équations. Les mathématiciens s'intéressent aux équations "en elles-mêmes" et les informaticiens s'intéressent à "ce qu'on peut faire* avec les équations".
Comment fonctionne l'outil ?
"L'outil va partir d'une carte du cosmos qui donne la position en 3D des galaxies pour reconstruire "à l'envers" les trajectoires de toutes ces galaxies, du temps présent jusqu'au Big bang".
"Imaginez si nous pouvions dézoomer à quoi pourrait ressembler l'univers ! Vous imaginez que vous devenez de plus en plus grand. Au début, vous voyez votre ville, puis votre département, la France, l'Europe, la terre tout entière, le système solaire avec son étoile, le soleil, puis des millions de soleils organisés dans un tourbillon, la voie lactée. Ensuite, vous continuez de devenir de plus en plus grand, que voyez-vous ? Des galaxies, par milliers, qui sont autant de voies lactées, chacune est composée de millions de "systèmes solaires" Votre voyage vers l'infiniment grand s'accélère, votre taille devient inimaginable, des milliards d'années-lumière".
Nous avons joué à un jeu avec mes collègues astrophysiciens.
Bruno Levy, directeur du centre Inria Nancy - Grand Est
Comment savoir si c'est la réalité ?
"Comment on sait si on a "bien travaillé" ou pas ? Pour vérifier si une théorie en physique est bonne, on fait en général des expériences. Si les expériences donnent un résultat différent de la théorie, alors c'est que la théorie est fausse. En cosmologie, on ne peut bien sûr pas faire des expériences "pour de vrai", mais on peut en réaliser dans un ordinateur. Nous avons joué à un jeu avec mes collègues astrophysiciens. Ils ont réalisé dans un gros ordinateur une "simulation numérique" de l'évolution de l'univers tout entier, et ils m'ont envoyé le résultat pour voir si j'arriverai à revenir au point de départ. Le verdict ? On arrive à retrouver le point de départ avec une grande précision. Mieux encore, on arrive à retrouver au point de départ un certain "signal" que mes collègues astrophysiciens avaient caché dans les données".
Recréer tout l'Univers dans un ordinateur comme un jeu vidéo
"On peut imaginer des modèles, des équations, les lois de la physique, et les faire tourner dans un ordinateur pour recréer l'histoire de tout l'Univers, des origines comme un jeu vidéo, et se promener dans le "jeu vidéo" pour regarder. Que voit-on, alors ? On voit des espèces de toiles d'araignée, de filaments, ce qu'on appelle "le Cosmic web". Mais comment sait-on si c'est vrai ? Si les équations sont bonnes ? Si le "jeu vidéo" est comme la réalité ? On peut aussi observer directement le ciel, avec des puissants télescopes, et reconstruire des cartes 3D du cosmos. Les cartes 3D du cosmos reconstruites de cette manière mettent en évidence cette structure en toiles d'araignée".
A quoi peut servir une machine à remonter le temps de l'Univers ?
"On se pose actuellement des grandes questions en astrophysique. Les Étoiles dans les galaxies tournent plus vite que ce qu'elles devraient. Normalement, les galaxies ne pourraient pas rester stables avec cette vitesse des étoiles, qui devraient partir se disperser dans le cosmos. Tout porte à croire qu’il y a de la matière en plus, qu’on ne détecte pas pour le moment. Beaucoup de matière en plus, indétectable, qu'on a appelée matière noire (pour dire qu'on ne sait pas ce que c'est, rien à voir a priori avec les trous noirs d'ailleurs). Mais ce n'est peut-être pas de la matière. Peut-être qu'il faut revoir les lois de la gravité (ça ne serait pas la première fois, c'est déjà arrivé d'ailleurs par le passé, quand Einstein a revisité la théorie de Newton).
Le Big bang "bigbangise" beaucoup plus vite que ce qu'il devrait. On le sait depuis les années 1990, parce qu’on a pu mesurer très précisément la distance de certaines étoiles. Résultat ? Elles sont beaucoup plus loin que ce que l'on pensait. Ceci remet en cause le modèle. Les physiciens ont dû ressusciter un terme qu'Einstein avait abandonné dans ses équations. On a appelé ça l'"énergie sombre" mais on ne sait pas ce que c'est.
La matière noire et l'énergie sombre laissent des traces dans le fameux profil d'ondes que notre méthode permet de retrouver. Elle va permettre de tester des théories de la matière noire et de l'énergie sombre, en confrontant le profil d'ondes reconstruit suivant ces théories avec le profil d'ondes mesuré dans la réalité.
On espère avoir fabriqué un outil qui va aider à étudier ces questions sur lesquelles on bute depuis longtemps".