Violences après la mort de Nahel : pourquoi interdire les réseaux sociaux est une mauvaise idée

Alors que plusieurs communes de France ont vécu plusieurs épisodes nocturnes de violence après la mort de Nahel, les réseaux sociaux sont pointés du doigt par les autorités, mais aussi par des habitants. Mais c’est une erreur, selon Anne Cordier, professeur à l'université de Lorraine et spécialiste des pratiques numériques des jeunes.

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Cinq jours après la mort de Nahel à Nanterre, tué par le tir d’un policier et les dégradations importantes qui ont suivi en France, la question du rôle des réseaux sociaux a ressurgi. TikTok et Snapchat en particulier sont pointés du doigt par les autorités. Les phénomènes de concours d’incitation seraient à l’œuvre. Snapchat et sa « Snap Map » ont été mis en cause. l’AFP rapporte : "'En 2005, on n'a pas été impacté par les émeutes et là si, parce qu'il y a TikTok, Snapchat' : nombre de Marseillais, choqués par des scènes de pillage inédites, notamment dans les quartiers Nord, en veulent aussi aux réseaux sociaux."
Nous avons posé la question à Anne Cordier. Elle est enseignante-chercheuse en sciences de l'information et de la communication, spécialiste des usages et pratiques numériques, particulièrement des jeunes, à l'Université de Lorraine. Elle vient de publier un ouvrage, "Grandir informés, les pratiques informationnelles des enfants, adolescents et jeunes adultes". (cf editions)
Pour elle : "les réseaux sociaux sont un espace sur lequel les jeunes se rassemblent pour le meilleur et pour le pire." Pour le meilleur, cela mène à des actions comme récemment pour la défense de l’environnement ou pour une mobilisation dans les établissements pour le droit des jeunes filles. Mais, c'est exactement le même phénomène qui permet aux jeunes de se rassembler pour détruire des biens publics. "Ce n’est pas l’outil qui est en cause. Les réseaux sociaux sont l’espace qui favorise la mise en relation. Là, on a une frange de la jeunesse qui se met en relation par colère."

Phénomène d’amplificateur

Les réseaux sociaux amplifient les phénomènes de challenge et d’émulation qui existent par ailleurs. Anne Cordier explique : "Les sociabilités sur les réseaux sociaux reposent beaucoup sur l’organisation de concours ou de défis. Les professionnels de santé alertent régulièrement sur ce phénomène qui conduit parfois à la mise en danger de soi ou d’autrui." Pour elle, les adolescents en général ont "une grande conscience de ce qu’ils font. On aurait tort de croire qu’ils sont manipulés par l’outil. Il faut comprendre profondément ce qu’il se passe." Ce qui change tout une fois encore, c’est le phénomène d’amplificateur. "Il y a une forme de dissémination sur des territoires qui peut-être n’auraient pas été touchés. L’aspect " virtuel" permet la dissémination dans des territoires physiques. La vraie question est le rapport aux institutions, à l’ordre, à la République.

Couper les réseaux sociaux ?

Quelques voix se sont élevées ces derniers jours appelant à fermer les réseaux sociaux ou à les interdire aux plus jeunes. "Cela n’aurait aucun sens", pour Anne Cordier. "Il y a un double problème. D’abord, c’est un risque pour la démocratie. Aujourd’hui, on couperait les réseaux sociaux pour empêcher les jeunes de dégrader. Et demain ? On voit déjà ce qui est à l’œuvre dans d’autres pays non démocratiques. Le second problème est une démission éducative." Cette démission éducative au numérique, elle est parentale, mais surtout sociétale et politique.
À noter : la circulation d’une "fake new" sur les réseaux sociaux à ce sujet 

Une question d’éducation numérique

Concernant les vidéos de violence et de pillages, elle nous explique : "les réseaux sociaux font partie d'un écosystème de violence plus global ici, que l'on ne peut pas réduire uniquement à du mimétisme ou du challenge ces phénomènes. De fait, il faut comprendre ces effets de groupes et ce qui motive des collectifs ainsi constitués. Et ne pas les prendre à la légère. Car finalement parler de mimétisme, aussi paradoxal que cela puisse paraître au vu des intentions politiques, c'est ne pas mettre ces acteurs en situation d'être responsables pleinement de leurs actes."

Anne Cordier est convaincue qu’il ne faut pas interdire les réseaux sociaux aux moins de 15 ans. "Les études de terrain montrent que cela peut être un vecteur d’accès à l’information. C’est aussi un outil de démocratisation. Les inégalités sociales se jouent aussi là. Pour le moment, on est dans le temps de l’urgence. Mais, il faut travailler le rapport aux institutions et à la République et non d’interdire un espace d’interaction en ligne." Le problème des parents est que souvent, ils sont très loin de maîtriser les outils numériques qu’utilisent leurs enfants. C’est aussi une question d’éducation numérique. Une question pour les parents, pour la société et pour les politiques.

La preuve de cette faille se trouve dans l’usage immodéré que font les jeunes de ces outils. Ils peuvent, très bien, être surveillés et leur adresse IP tracée par la police. "C’est la preuve d’une méconnaissance totale du fonctionnement des réseaux sociaux" et du numérique en général. 

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