Une archéologue américaine a contacté l'entreprise Dutriez de Bar-le-Duc pour obtenir des informations sur un pot de confiture de groseille retrouvé "au beau milieu de nulle part" au Texas. Il aurait été apporté là bas à la fin du XIXe siècle.
C'est une petit bout de Lorraine qui s'est retrouvé au Texas on ne sait comment. L'information est arrivée par courrier électronique sur la boîte de la Maison Dutriez de Bar-le-Duc (Meuse) le 14 juillet dernier. "Une archéologue américaine m'a contactée pour savoir si le pot qu'elle avait retrouvé au Texas provenait bien de notre entreprise" explique Anne Dutriez, la gérante de la Maison éponyme. "Elle souhaitait en savoir davantage sur le pot et notamment dans quelle verrerie il avait été coulé. C'est la première fois en vingt ans que je reçois une demande de ce genre !"
Trouvé dans une décharge près de San Antonio
A l'origine de la demande auprès de la maison Dutriez se trouve une archéologue américaine, Marni Francell. Elle travaille pour le Texas Parks and Wildlife d'Austin (Texas). Ses recherches portent sur l'histoire des premiers colons à la frontière du Texas.
Contactée par courriel Marni Francell nous a expliqué d'où provenait ce pot de confiture de Lorraine et en quoi il était intéressant pour ses recherches.
"Le pot a été trouvé dans une décharge située dans la zone naturelle de l'État d'Albert et Bessie Kronkosky près de San Antonio, au Texas, lors d'une enquête archéologique visant à inventorier les sites archéologiques avant d'ouvrir la zone naturelle de l'État au public".
Une relique bien identifiée
Pour Anne Durtiez les morceaux de verre correspondent à un pot de 90 à 100 grammes qui est postérieur à 1879. Un pot qui est toujours utilisé de nos jours pour la vente de la confiture de groseille épépinée, la spécialité de Bar-le-Duc.
Monsieur Amiable et mon grand-père faisaient partir 2000 pots tous les deux mois aux Etats Unis, donc il y avait 12.000 pots qui partaient chaque année aux Etats Unis depuis plus d'un siècle
Après un premier courriel le 14 juillet, l'archéologue américaine Marni Francell a envoyé des photos de sa découverte. Elle font apparaître des morceaux de verre qui ne laissent pas de doute sur leur origine en raison de sa croix de Lorraine gravée dans le fond. "Nous sommes la seule maison de Lorraine à utiliser cette sérigraphie au fond du pot" explique Anne Dutriez. "C'est très cohérent car Monsieur Amiable (NDLR un des anciens gérants de l'entreprise) et mon grand-père faisaient partir 2000 pots tous les deux mois aux Etats Unis, donc il y avait 12.000 pots qui partaient chaque année aux Etats Unis depuis plus d'un siècle"
Un pot de #confiture de #Lorraine de la fin du XIXe siècle, similaire à celui ci, a été retrouvé par des archéologues au #Texas ! @MaisonDutriez @F3Lorraine https://t.co/2eG3Zh5amg pic.twitter.com/0BvWjwNPoS
— Lodoïs GRAVEL (@LodoisGravel) July 30, 2021
L'archéologue Marni Francell confirme que le pot pourrait dater de la fin du XIXe siècle voire du début du XXe.
"Le pot de confiture est intrigant car il est très différent des assemblages d'artefacts moyens de la fin du XIXe siècle. Il n'a pas été fabriqué aux États-Unis, mais d'une manière ou d'une autre, il a fait son chemin du nord de la France au comté de Hill au Texas. Nous savons que le pot date quelque part entre 1880-1915 en raison de sa couleur pourpre. Le verre violet ou parfois appelé verre solarisé, est le produit d'une réaction chimique résultant de l'exposition au soleil. Lors de sa fabrication, le pot était transparent ou incolore. Ceci a été réalisé en utilisant du manganèse comme agent de compensation pour éliminer la couleur verte naturelle du verre "clair", cependant, une fois exposé au soleil, le verre devient violet. Aux USA, ce procédé a été utilisé avec les dates approximatives de 1880-1915, mais il a peut-être été utilisé plus tôt en France".
Un fragement de l'histoire du Texas
Ces recherches archéologiques au Texas peuvent paraître étonnantes pour nous français davantage habitués à des fouilles sur des ères bien plus anciennes, comme l'époque antique ou la période mérovingienne. Mais pour les américains elles ont du sens. "Il s'agit de mieux comprendre et de mieux connaître les premiers habitants de cette région du Texas à la fin du XIXe siècle" a expliqué Marni Francell à Anne Dutriez.
L'archéologue nous a précisé cela dans son courriel du 2 août 2021 : "Les fragments de pot ont été trouvés avec d'autres artefacts datant de la fin des années 1800 aux années 1950. Cette région du Texas était peu peuplée au XIXe siècle et ce n'est qu'après 1870 que les gens se sont dirigés vers ce que l'on appelle "le pays des collines" du Texas. Cela comprenait de nombreux colons européens. La recherche sur les actes indique que la décharge était associée à une propriété appartenant soit à la famille Polk qui a déménagé dans la région depuis l'État du Delaware, aux États-Unis, soit à William George Hughes, un immigrant anglais. Les deux propriétaires auraient utilisé la propriété pour faire paître le bétail. Hughes était connu pour élever des moutons Oxfordshire et Merino et des chèvres Angora. Les familles Polk et Hughes ont vendu leurs ranchs dans cette région au début du 20e siècle en raison des décès dans les deux familles".
Il faut rappeler que la conquête de l'Ouest des Etats Unis s'est faite massivement à cette période, et même si le Texas ne fait pas partie à proprement parler de l'Ouest, il en est frontalier. Il a connu des périodes successives où les colons ont semble-t-il laissé quelques traces venues de la Lorraine.
Le lieu où a été découvert le pot de confiture a été donné à l'Etat du Texas en 2011 pour l'usage du public. C'est ce que nous a expliqué en détail Marni Francell : "Entre 1946 et les années 1970, Albert et Bessie Kronkosky ont acheté des portions de 4 ranchs différents pour un total combiné de 3 814 acres de Texas Hill Country. Ce terrain a été donné par le domaine Kronkosky à l'État du Texas en 2011 pour l'usage et le plaisir des générations présentes et futures. Les fragments de pots de confiture ajoutent un peu de mystère, mais aident également à raconter l'histoire des premiers colons à la frontière du Texas".
Un savoir-faire unique depuis 1344
La confiture de groseille épépinée est une spécialité de Bar-le-Duc depuis 1344, et sa méthode de fabrication reste inchangée. C'est un jeu de patience qui consiste à enlever les pépins à l'aide d'une plume d'oie, ce qui vaut à cette confiture le surnom de "caviar de Bar-le-Duc".
Aujourd'hui l'entreprise "A la Lorraine" qui détient ce savoir-faire unique est labélisée entreprise du patrimoine vivant depuis 2013 ; un label qui a été renouvelé en 2019.