Maurice Genevoix : la voix des combattants (4/5)

Au-delà de son témoignage publié dans « Ceux de 14 », Maurice Genevoix, l'écrivain-combattant s'est investi toute sa vie, sans compter, pour entretenir le souvenir de ses compagnons d'armes. Au fil des années, il est devenu le porte-parole de tous les combattants de 14-18.
 

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Entre 1916 et 1923, Maurice Genevoix a raconté au fil de cinq livres la guerre qu'il a vécue jusqu'en avril 1915. Un récit détaillé de plus de huit-cents pages. L'écriture comme exutoire après une épreuve indicible : s'il a réussi à coucher sur le papier ses souvenirs, il lui faudra plus de temps pour en parler en public. En 1931, son livre « H.O.E » est publié. Le titre fait référence aux hôpitaux d'opération et d'évacuation où il a séjourné. Il y raconte son retour à la vie civile et sa difficile réadaptation. Notamment l'incapacité à parler des horreurs auxquelles il a été confronté.

Est-ce vrai, tu espérais plus de chaleur et d'abandon. […] Est-ce ma faute si je sens avec cette force poignante que telles réalités demeurent inconnaissables à qui ne les a pas vécues.

Maurice Genevoix (« H.O.E », éditions Etincelles)

Après leur démobilisation, les difficultés matérielles rencontrées par certains anciens combattants vont les conduire à se regrouper en associations. En France, pendant tout l'entre deux guerres, elles jouent un rôle considérable et vont compter jusqu'à trois millions d'adhérents. Elles défendent leurs intérêts en demandant le versement de pensions ou des aides à la reconversion. Elles sont également un lieu de sociabilisation où l'on peut parler de son expérience de guerre.
Maurice Genevoix participe à cette vie associative. Sa renommée grandissante d'écrivain lui vaut d'être invité à prendre la parole et à prononcer des discours.

La guerre ne doit plus revenir. Nous voulons être des hommes libres et vivre dans la dignité et la paix.

Maurice Genevoix (cité dans les Cahiers de l'Union Fédérale des Combattants du 10 mars 1936)

Le pacifisme est un marqueur très présent dans ce monde combattant qui, guidé avant tout par un esprit d'entraide et de camaraderie, est resté dans son immense majorité apolitique et républicain pendant l'entre deux guerres. Maurice Genevoix s'inscrit dans ce mouvement. Nul militantisme chez lui.
Seule la volonté de témoigner le guide. Et son œuvre parle pour lui.  Les rescapés des combats s'y reconnaissent. Mais moins le grand public. Les deux ouvrages d'écrivains-combattants les plus vendus à l'époque sont « Le Feu » d'Henri Barbusse et « Les Croix de bois » de Roland Dorgelès. Un succès dénoncé par l'ancien combattant Jean Norton Cru dans « Témoins », son étude critique de 251 récits de guerre publiée en 1929.

Barbusse et Dorgelès tiennent à se poser en témoins mais ne veulent pas se compromettre, ne veulent pas s'attirer des démentis, car ils ont conscience de parler de ce qu'ils ne connaissent guère.

Jean Norton Cru (« Témoins », Presses Universitaires de Nancy)

 
En 1949, la réédition des cinq livres de guerre réunis sous le titre « Ceux de 14 » donne un nouveau souffle au témoignage de Maurice Genevoix. Son public s'élargit.
Il commence alors à être très sollicité par les associations d'anciens combattants. Il participe à des rassemblements, prend la parole et prononce des discours lors de cérémonies notamment à Verdun. Si Maurice Genevoix n'a pas participé à la bataille de 1916, ceux qui y ont combattu se reconnaissent dans ses écrits et voient dans l'ancien lieutenant leur porte-parole, lui qui sait si bien décrire l'enfer qu'ils ont connu et la force des liens qui les ont unis dans les tranchées.
En 1951, le Comité national du souvenir de Verdun est créé. Maurice Genevoix accepte de le présider. Sa mission : créer un lieu dédié à la bataille de 1916. Un Mémorial pour ne pas oublier les souffrances endurées par les combattants. Il en sera le président-fondateur.
A l'époque, le cinquantenaire des combats approche, et les vétérans vont bientôt être de moins en moins nombreux. Une souscription est lancée. Un site choisi : l'emplacement de l'ancienne gare de Fleury-devant-Douaumont, épicentre des dernières tentatives allemandes pour prendre Verdun en juin 1916. L'inauguration a lieu le 17 septembre 1967 en présence de 2 000 anciens combattants.

Nous autres, à peine sortis de l’adolescence, quand nous nous retournions ainsi, nous ne voyions que des fantômes. Mutilés dans notre corps, mutilés dans nos amitiés. [...] Désormais, derrière nous, il y aura ce Mémorial. Il nous rend[…] nos camarades toujours vivants.

Maurice Genevoix le 17 septembre 1967

Lieu de pélerinage au cœur des paysages toujours marqués par la bataille, le Mémorial est conçu comme un temple du souvenir. En guise de reliques, des uniformes, des armes et surtout des photographies, des carnets et des lettres recueillis auprès des anciens poilus pour les sauver de l'oubli ou de la destruction.

Tous ces pauvres souvenirs amassés, au goût de mort et d'ancien courage, font un bric-à-brac terrible et poignant. C'est le grenier de l'enfer.

Michel Bernard (« Pour Genevoix», éditions La Table Ronde)

Des objets au service de la mémoire de tous les combattants, quelle que soit leur nationalité, comme le martèle Maurice Genevoix dans son discours : « Jeunes et vieux, amis, ennemis réconciliés, puissent-ils emporter de ces lieux, au fond d’eux-mêmes, une notion de l’homme qui les soutienne et les assiste !… Puisse la lumière qui va veiller ici les guider enfin vers la Paix ! ».
L'année suivante, le général De Gaulle, né comme lui en 1890, invite Maurice Genevoix à prononcer un autre discours à l'occasion des cinquante ans de la deuxième bataille de la Marne. En cette année 1968, alors que les anciens combattants de 14-18  commencent à disparaître, la Grande Guerre suscite de moins en moins d'intérêt et les jeunes générations ont tendance à se détourner de ces « poilus » qui radotent sur un conflit d'un autre temps. Les mots prononcés par Maurice Genevoix le 18 juillet 1968 sonnent comme un plaidoyer pour que cette expérience ne soit jamais oubliée : « Mes camarades, mes camarades ! […] Il faut avoir senti, à la poussée d’un parapet contre l’épaule, la brutalité effrayante d’un percutant qui éclate ; avoir entendu pendant des heures, du fond de l’ombre, en reconnaissant toutes leurs voix, monter les gémissements des blessés ; avoir tenu contre soi un garçon de vingt ans, la minute d’avant sain et fort, qu’une balle à la pointe du cœur n’a pas tué tout à fait sur le coup, et qui meurt, conscient, sans une plainte, les yeux ouverts et le visage paisible, mais de lentes larmes roulant sur ses joues. »

Vous étiez là, mes camarades. C’est pour vous, pour vous tous que je parle. Vous êtes là comme au premier jour. Et vous voyez : votre pays se souvient de vous. Il sait qu’il faut vous respecter, vous entourer, vous remercier – et vous croire. L’Histoire de France a besoin de vous.

Maurice Genevoix le 18 juillet 1968 à la butte Chalmont

Témoin infatigable, Maurice Genevoix va continuer à être le porte-drapeaux des anciens combattants. Tout au long des années 1970, il est accueilli dans les studios de radio ou sur les plateaux de télévision. A quatre-vingts ans passés, sa vivacité d'esprit, sa malice et sa bienveillance font le bonheur des téléspectateurs du Grand échiquier de Jacques Chancel ou d'Apostrophes de Bernard Pivot. Des émissions où l'écrivain revient régulièrement sur son expérience de guerre.
En 1972, dans une émission intitulée « Témoins », il est interviewé par Pierre Bellemare. Il lit des extraits de « Ceux de 14 » et raconte son expérience de la guerre. D'un coup, une émotion intense le saisit. La caméra s'arrête. L'expérience terrible vécue par Maurice Genevoix à 24 ans le hantera jusqu'au bout...

Bibliographie : quelques lectures pour aller plus loin...

« Les Anciens Combattants », d'Antoine Prost (éditions Gallimard) : une étude détaillée permettant de comprendre dans quelles conditions sont nées les associations d'anciens combattants dans l'immédiat après-guerre. Un mouvement qui atteste du traumatisme qu'a créé la Grande Guerre dans la société française.


En 2016, à l'occasion de sa réouverture, le Mémorial de Verdun a consacré une exposition à sa naissance puis à sa renaissance. Le catalogue de l'exposition publié à cette occasion revient sur le rôle majeur joué par Maurice Genevoix dans la genèse de lieu de mémoire.

« Maurice Genevoix : la ferveur du souvenir » de Laurence Campa (éditions La Table Ronde) revient de son côté sur l'implication de Maurice Genevoix au service de la mémoire combattante. Elle présente de nombreux articles, préfaces et discours signés par l'écrivain.

 
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