Maurice Genevoix : « Ceux de 14 », un livre pour mémoire (3/5)

Grièvement blessé en avril 1915, le jeune lieutenant Maurice Genevoix a trouvé dans l'écriture la force de surmonter cette épreuve. Ses huit mois de guerre, il va les raconter au fil de cinq livres. Un témoignage pour revivre et surtout pour rendre hommage à ses frères d'armes.
 

Artère humérale déchirée, nerfs sectionnés : c'est un parcours de douleur qu'a vécu Maurice Genevoix dans les mois qui ont suivi sa blessure. Après des premiers soins à Verdun, il est évacué vers l'hôpital militaire de Vittel, puis celui de Dijon. Les opérations s'enchaînent et l'affaiblissent. Angoissé à l'idée de perdre son bras, il est aussi accablé par un terrible sentiment de trahison vis à vis de ses compagnons.

Et ma guerre est finie. Je les ai tous quittés, ceux qui sont morts près de moi, ceux que j'ai laissés dans le layon de la forêt, aventurés au péril de la mort. »

Maurice Genevoix (« Les Eparges», éditions Flammarion)

Ayant appris la blessure de son ancien élève, Paul Dupuy, secrétaire général de l'Ecole normale supérieure, rend visite dès qu'il en a la possibilité à Maurice Genevoix. A l'hôpital de Dijon, il le trouve totalement abattu. Pour le sortir de cet état, il l'incite à écrire pour raconter les événements qu'il vient de vivre. Les faits sont encore présents dans sa mémoire et le lieutenant peut s'appuyer sur les carnets qu'il a tenus depuis sa mobilisation, ainsi que sur des courriers envoyés pendant ces huit mois.
A la déclaration de guerre, Paul Dupuy avait demandé aux élèves de l'Ecole normale supérieure qui avaient été mobilisés de lui donner des nouvelles. Maurice Genevoix, profitant de ses moments de repos, lui avait ainsi adressé plusieurs lettres. Il y relatait ce qu'il voyait et ressentait. Des récits qui se distinguaient de ceux des autres normaliens. Dupuy en appréciait le style, la précision et la force d'évocation. Par ses mots, Genevoix faisait voir et entendre la guerre. Il arrivait au secrétaire général de lire ces lettres aux élèves de l'école. Un récit très éloigné du bourrage de crânes qu'ils pouvaient alors trouver dans les journaux.

Reste à convaincre le lieutenant de se lancer dans l'écriture d'un livre. Il faut plusieurs mois à Paul Dupuy pour y parvenir. En décembre 1915, il le conduit chez Hachette où un contrat l'attend. Revenu vivre chez son père, Maurice Genevoix s'attelle à l'écriture. En moins d'un mois, il rédige les 269 pages de « Sous Verdun ». 

Le manuscrit de « Sous Verdun » est remis aux éditions Hachette en janvier 1916. Fin avril, il est publié dans la collection « Mémoires et récits de guerre ». Maurice Genevoix y relate scrupuleusement les événements qu'il a vécus entre août et octobre 1914. Mais les noms des protagonistes ont été changés par respect pour les familles de ceux qui ont été tués. Seul celui de Robert Porchon a été conservé, en hommage à son ami tué le 20 février 1915 aux Eparges et à qui il dédie cet ouvrage. Mais à la sortie de « Sous Verdun » en librairie, Maurice Genevoix est révolté. Des passages ont été censurés : dix pages ont été « caviardées ».
La date de publication du livre n'est pas anodine : la bataille de Verdun est alors en cours et certains passages seraient de nature à nuire au moral selon les censeurs. Car Maurice Genevoix n'occulte rien : les pillages par les soldats français, la vision insoutenable des chevaux éventrés, la peur, les hommes blessés soupçonnés de mutilation volontaire par les gendarmes, les ordres absurdes.

Pendant la bataille, du moins, on sait qu'on se bat. Mais après ? […] marches errantes, avance, recul, des haltes, des formations, des manœuvres qu'on cherche à s'expliquer, et que généralement on ne s'explique pas. Alors on éprouve l'impression d'être dédaigné, de n'obtenir nulle gratitude pour le sacrifice consenti.

Maurice Genevoix (« Sous Verdun», éditions Flammarion)


Son récit sans fard de ce qu'il a vu et vécu de la guerre, Maurice Genevoix le poursuit au fil de quatre autres livres : « Nuits de guerre » en 1917, « Au seuil des guitounes » en 1918, « La boue » en 1921 et « Les Eparges » en 1923. Une pentalogie qui sera publiée dans son intégralité en 1949 sous le titre « Ceux de 14 ».

Dès la sortie du premier volume, le style de l'écrivain est salué. Guidé par un véritable sens de la poésie, il fait de la nature dans laquelle les hommes font la guerre un personnage à part entière. Tantôt enchanteresse, tantôt hostile. Parti en été, blessé au printemps, il a vécu ces saisons en enfer et, par ses descriptions, plonge le lecteur dans les bois de Saint-Remy ou les pentes boueuses de la crête des Eparges.

Devant nous, au-delà des prairies trouées d'entonnoirs innombrables, le Montgirmont soulève son échine de glaise rouge; son flanc s'affaisse vers la plaine et démasque un éperon dur, lancé comme une étrave sur l'étendue glauque des marais.

Maurice Genevoix (« La boue », éditions Flammarion)
 

Premier livre de Maurice Genevoix, « Sous Verdun » est en lice pour le prix Goncourt en 1916 mais c'est « Le feu » d'Henri Barbusse, déjà introduit dans les cercles littéraires, qui est couronné. Pour autant, le jeune écrivain est très vite reconnu comme l'un des meilleurs témoins de la guerre de 14-18. Jean Norton Cru, qui analyse dans les années 1920 plus d'une centaine de livres touchant à la guerre, fait sortir du lot les récits de l'ancien lieutenant. Pas de lecture politique des événements ou d'arrangement avec la réalité chez lui. Le récit est vrai. Et ceux qui ont vécu cette guerre ne s'y trompent pas. Ils retrouvent dans ses lignes ce qu'ils ont vécu : les combats, mais aussi toute le quotidien dans les tranchées ou au repos. La vie dans la guerre. Le langage. Tout sonne vrai chez Genevoix qui n'a qu'une ambition : témoigner

Ce que nous avons déjà fait... En vérité, c'est plus qu'on ne pouvait demander à des hommes. Et nous l'avons fait.

Maurice Genevoix (« Les Eparges », éditions Flammarion)

Le récit de « Ceux de 14 » est à la première personne. Mais Maurice Genevoix sait s'effacer et, au fil des pages, ce sont près d'une centaine de personnes qui s'expriment. L'écrivain restitue leurs accents. Raconte leurs doutes. N'occulte ni leur brutalité, ni leur fragilité. A travers ses mots, il ressuscite les disparus et rend hommage à tous ses compagnons de tranchées. Des hommes qui n'avaient pas trente ans et ont perdu leur jeunesse voire leur vie sur les champs de bataille. Récit de souffrance et de fraternité, « Ceux de 14 » est dédié aux camarades du 106 de Genevoix. Il ne les a jamais oubliés.

Bibliographie : toutes les citations de cet article sont extraites de l'édition de « Ceux de 14 » publiée en 2013 chez Flammarion. Préfacée par Michel Bernard, spécialiste de l'oeuvre de Maurice Genevoix, elle est complétée par un dossier que Florent Deludet a consacré aux hommes du 106ème Régiment d'infanterie. Les nombreuses photos permettent de donner un visage aux compagnons d'armes de Genevoix.
« Les Eparges » a par ailleurs fait l'objet d'une adaptation illustrée par Bernard Puchulu aux éditions de La Martinière en 2017. Un trait superbe et un travail sur la couleur évoquant certaines photographies d'époque. En appui d'extraits du livre, il donne à voir l'enfer de la bataille de 1915. Un livre qui a obtenu le soutien du département de la Meuse.
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