Maurice Genevoix : sa Grande Guerre (2/5)

A 23 ans, le jeune diplômé de L'Ecole Normale supérieure va être plongé dans l'horreur de la Première Guerre mondiale. Une épreuve qui va le marquer dans sa chair et qu'il n'oubliera jamais. Un moment fondateur : c'est sur ces champs de bataille de la Meuse qu'un grand écrivain allait naître.
 

Sous-lieutenant de réserve depuis qu'il a effectué son service militaire, Maurice Genevoix est affecté au 106e régiment d'infanterie. Il prend la route de Châlons-sur-Marne le 3 août 1914. La caserne Chanzy est presque vide : le régiment d'active, affecté à l'armée du général Sarrail chargée de la défense de Verdun, a déjà pris la route pour se positionner face à la frontière allemande. Le 22 août est l'une des journées les plus meurtrières de la guerre : 27 000 soldats français sont tués sur l'ensemble du front. Pour compenser les pertes du 106e R.I, les hommes encore stationnés à Châlons doivent rallier leur régiment. L'itinéraire de Maurice Genevoix en Meuse commence.

L'heure est à la guerre de mouvement et, face à la poussée des Allemands, à la retraite. Pour stopper leur avancée vers Paris, une contre-offensive est déclenchée le 6 septembre. C'est la bataille de la Marne. Maurice Genevoix et ses hommes y participent sur le front de Meuse. Les 9 et 10 septembre, ils sont engagés dans les combats de la Vaux-Marie.

Pour la première fois, Maurice Genevoix est confronté à la guerre de près lors d'une nuit de fureur. Sous la pluie, les hommes du 106e entendent les hurlements de soldats allemands dont les silhouettes crèvent l'obscurité et déferlent sur leurs positions. Les combats sont particulièrement violents. Cette nuit-là, Genevoix se retrouve isolé. Profitant des ténèbres, portant un casque à pointe récupéré sur un cadavre et parlant allemand, il parvient à rejoindre les lignes françaises après avoir abattu trois soldats ennemis d'un coup de revolver dans la tête ou dans le dos.

Tant de sensations intenses et neuves, [...] Bouleversement autour de moi, en moi. Trois semaines, et me voici devenu un soldat.

Maurice Genevoix (« Sous Verdun », éditions Flammarion)

A partir du 13 septembre, le régiment reprend sa marche vers le nord, repoussant les troupes allemandes. Après quelques jours à tenir des positions avancées autour de la place forte de Verdun, Maurice Genevoix et ses hommes rejoignent les Hauts-de-Meuse. Le 22 septembre, ils renforcent un autre régiment dans les bois de Saint-Remy, le long de la Tranchée de Calonne, cette route forestière tracée en 1786 par le ministre de Louis XVI, Charles Alexandre de Calonne.
Là ils découvrent un autre type de guerre. Dans ces forêts, l'ennemi est invisible. Chaque bruit est une source d'angoisse. Cette nature, que Genevoix aime tant, devient hostile. Le jour de leur arrivée, le lieutenant Henri-Alban Fournier, dit Alain Fournier, l'auteur du Grand Meaulnes est tué. Maurice Genevoix écrira plus tard : « Quand j'ai appris, longtemps après, qu'Alain Fournier avait disparu dans les bois de Saint Rémy, l'idée s'est faite en moi, et depuis ne m'a plus quittée, que parmi ces voix en détresse, suppliantes ou révoltées, j'avais entendu la sienne ». La chronologie des événements permet aujourd'hui de savoir qu'il n'en a rien été. Mais cette pensée illustre le douloureux souvenir vécu par les combattants qui ne pouvaient aller chercher leurs camarades sans risquer d'être tués.

C'est l'heure où, la bataille finie, les blessés qu'on n'a pas encore relevés crient leur souffrance et leur détresse.Et ces appels, ces plaintes, ces gémissements sont un supplice pour tous ceux qui les entendent.

Maurice Genevoix (« Sous Verdun », éditions Flammarion)


Le 24 septembre, les Allemands attaquent les positions de la Tranchée de Calonne. Les coups de feu claquent dans les bois. Les balles s'écrasent dans les troncs d'arbre et tuent. Ce jour là, Maurice Genevoix échappe de peu à la mort : une balle le frappe au ventre... mais s'écrase sur un des boutons de sa capote. L'assaut allemand est brisé. Dans les jours qui suivent, le front se fige. Les armées s'enterrent. Genevoix et ses hommes sont envoyés au repos avant de rejoindre un nouveau secteur.

C'est juste à la limite des Hauts, un petit patelin dans une vallée. J'en aime le nom, parce qu'il sonne clair et franc. On aimerait se battre là.
- Mais ce nom ? Dis-je.
- Les Eparges.

Maurice Genevoix (dans « Sous Verdun », éditions Flammarion) 

Pendant ces journées de septembre, les Allemands ont réussi à prendre la ville de Saint-Mihiel. Un point avancé constituant une hernie dans la ligne de front qui fait peser une lourde menace sur les voies de communication assurant le ravitaillement de la place forte de Verdun. Ce secteur, sur lequel les Allemands se retranchent, préoccupe particulièrement l'état-major français. Il va multiplier les offensives en 1915 pour réduire ce saillant.
Maurice Genevoix se retrouve au cœur de ces opérations. La crête des Eparges est un observatoire qui domine la plaine de la Woëvre, et offre une vue sur les positions allemandes comme françaises. Au loin, on aperçoit les côtes de Moselle derrière lesquelles se trouve Metz, capitale de cette Lorraine germanisée, où transitent les troupes. Pour prendre ce sommet, il faut des obus et des munitions. On en manque cruellement à l'automne 1914. Alors que les conditions météorologiques se dégradent, que la pluie, le brouillard et, à partir de novembre, la neige rendent plus difficiles les conditions de vie des combattants, l'offensive se prépare. Des barbelés sont posés. Des tranchées et des mines creusées sous les positions ennemies. Si les hommes du 106e R.I subissent quelques escarmouches, la période reste relativement calme, rythmée par les séjours en première ligne, en réserve ou à l'arrière. Le 17 février, Maurice Genevoix et ses hommes rejoignent leurs positions de combat. A quatorze heures les mines explosent. C'est le signal du début de l'attaque de la crête des Eparges. L'artillerie commence à pilloner les positions allemandes.

« Pour la première fois de la guerre, aux Eparges, ils ont connu l'expérience redoutable du martèlement d'artillerie, du feu roulant. […] le regard des hommes est fixé, comme hypnotisé, vers la crête.

Nicolas Czubak & Pascal Lejeune (« Les Eparges /Die Combres-Höhe », éditions Dacres)

Après une heure de bombardement, les vagues d'assaut s'emparent des premières lignes allemandes où des soldats hébétés et terrifiés se rendent. Maurice Genevoix et ses hommes vont passer cinq jours sur ces pentes boueuses, parsemées de trous d'obus, où l'air est empli d'une odeur de poudre mélangée à celle des corps déchiquetés. Sur ce mouchoir de poche qu'est la crête des Eparges, ils vont découvrir cette violence de guerre qui atteindra son paroxysme à Verdun, un an plus tard.
Les Allemands multiplient les contre-attaques. Les artilleries des deux camps s'acharnent. Et les combattants vivent un véritable enfer. Ils tentent d'échapper aux bombardements qui enterrent un compagnon, puis le déterre... Le sous-lieutenant Robert Porchon, l'ami de Maurice Genevoix, blessé au front, est tué par un éclat alors qu'il rejoint un poste de secours. Genevoix échappe lui à la mort, une nouvelle fois : l'obus qui s'abat sur la position qu'il occupe tue ou blesse tous les compagnons qui l'entouraient.

«Quel sens ? Tout cela n'a pas de sens. Le monde, sur la crête des Eparges, le monde entier danse au long du temps une espèce de farce démente, tournoie autour de moi dans un trémoussement hideux, incompréhensible et grotesque.

Maurice Genevoix (« Les Eparges », éditions Flammarion)

 
Le bilan de ces journées est très lourd. Sur les 120 hommes de la compagnie de Maurice Genevoix, seuls 17 sont encore aptes au combat. Les autres sont blessés, morts ou portés disparus. Les combats pour la prise de la crête vont se poursuivre avec intensité jusqu'au 10 avril. Les pertes s'élèvent à 20 000 soldats, français comme allemands, pendant ces deux mois. Parmi les tués, de nombreux officiers.

C'est pendant cette période que Genevoix est promu lieutenant. Sa réputation de « trompe-la-mort » a fait le tour des compagnies ; elle rassure les nouvelles recrues. Des nouveaux visages et une jeunesse qui vont lui redonner foi en sa mission après le choc et la lassitude éprouvés en février.
Le 24 avril 1915, les Allemands, reprennent l'initiative et tentent de contourner la crête des Eparges par l'ouest. Une puissante offensive est déclenchée en direction de la Tranchée de Calonne. La surprise est totale pour les Français. Maurice Genevoix et sa compagnie sont immédiatement envoyés en renfort pour stopper l'adversaire qui est parvenu à enfoncer le front. Le 25, alors qu'il se trouve brièvement à découvert, un tireur allemand l'atteint de trois balles : deux atteignent le bras gauche, la troisième lui entaille la poitrine.

«Est-ce qu'on me porte ? Je n'ai pas perdu connaissance ; mon souffle fait un bruit étrange, un rauquement rapide et doux ; les cimes des arbres tournoient dans un ciel vertigineux, mêlé de rose et de vert tendres»

Maurice Genevoix (« Les Eparges », éditions Flammarion)

Evacué à Verdun, hospitalisé, Maurice Genevoix vient de terminer sa guerre. Une longue convalescence l'attend. Il ne sait pas encore que, bientôt, il va raconter son expérience au fil de cinq livres, donnant naissance à l'un des plus précieux témoignages sur la Grande Guerre : « Ceux de 14 ».

Bibliographie : pour aller plus loin, deux ouvrages qui traitent des combats menés en Meuse, là où Maurice Genevoix a combattu :
  • « Sur les traces de Maurice Genevoix et Ceux de 14» par Jean-Christophe Sauvage et Jean-Marie Lecomte (éditions Noires Terres) : un ouvrage qui se base sur le récit de l'écrivain pour raconter les combats de Meuse de 1914 et 1915 en les replaçant dans leur contexte avec de nombreux éclairages historiques.
  • « Les Eparges / Die Combres-Höhe» par Nicolas Czubak et Pascal Lejeune (éditions Dacres) : confrontant les points de vue français et allemands, le livre revient sur les quatre années de guerre aux Eparges. Depuis les premiers combats de 1914 jusqu'à la libération du secteur par les Américains en 1918 en passant par les combats de 1915.
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