L’usine à rails de la vallée de la Fensch va-t-elle changer de propriétaire dans les semaines à venir? L’offre de rachat formulée par le fond de pension turc Oyak arrive à son terme à la fin du mois d’octobre 2019.
La dernière usine française de production de rails sur le point de passer sous pavillon turc? La réponse est attendue avec impatience par les salariés que nous avons rencontrés à la mi-octobre 2019.
"Ca fait plus de vingt ans que je travaille dans cette usine."
En tous cas le dernier, (Greybull, NDLR) on n’en veut plus" explique Djamal Hamdani, représentant CFDT. Celui qui siège au conseil d'administration de British Steel France ajoute: "Depuis qu’ils sont là, les effectifs ont diminué, et les investissements sont au point mort" . La lassitude se lit sur les visages des sidérurgistes de la vallée de la Fensch, les seuls à laminer des rails en France, "les rails les plus rapides du monde quand même" car l’usine d’Hayange fournit une partie importante des lignes à grande vitesse de l’Hexagone.J’ai déjà connu quatre propriétaires différents, alors un de plus…
- Djamal Hamdani, représentant CFDT
De la lassitude, mais aussi de l’inquiétude : l’activité sidérurgique de Greybull, le propriétaire actuel, a été rebaptisée British Steel à sa prise de contrôle en 2014. Mais au printemps dernier, elle a été mise en faillite par le gouvernement anglais. A la fin de l’été, le mandataire judiciaire britannique a annoncé qu’Ataer Holding, une filiale du fond de pensions turc Oyak qui possède aussi des parts dans l’automobile et la grande distribution, a obtenu un mandat exclusif de négociation.
En clair, le groupe turc a formulé une offre de reprise, et pour une période de deux mois, il a accès aux données sensibles de British Steel dont sa comptabilité et ses livres de comptes.
Un calendrier compliqué
Le délai accordé par le mandataire court jusqu'à la fin du mois d'octobre. Mais du côté de la direction française du groupe, on avoue avoir peu d'informations à propos des ambitions turques: "Je crois que les Turcs sont surtout préoccupés par les usines anglaises du groupe, nous on a très peu de nouvelles d'eux" explique Gérard Glas, le PDG de British Steel France. En Angleterre, le site géant de Scunthorpe emploie 4.500 salariés. Ses hauts fourneaux et son aciérie à coulée continue fournissent notamment le site d'Hayange en semi-produits : les blooms qui sont ensuite laminés en Moselle en rails de différentes longueurs, jusqu'à 108 mètres. Sans blooms, pas de rails. Toute rupture d'approvisionnement provoquerait un arrêt des installations lorraines, pourtant engagées dans des contrats d'approvisionnement avec la SNCF sur plusieurs années. Ce scénario catastrophe, la plupart des acteurs du marché l'excluent : parmi les produits longs, le rail est rentable et même très profitable: il a fait gagner plusieurs dizaines de millions d'euros nets à son propriétaire l'an dernier.De Saint-Saulve à Hayange
"L'usine est rentable, avec des clients sérieux mais c'est vrai qu'on aimerait sécuriser l'approvisionnement avec un industriel français, ce qui n'est plus le cas depuis le début des années 2000 et la fin de la fourniture des blooms par la coulée continue de Serémange" poursuit le PDG français. Selon nos informations, le sort d’Hayange serait aussi lié à celui de Saint-Saulve, ex Ascoval. Des travaux ont commencé dans l’usine nordiste pour lui permettre de couler et de laminer des blooms carrés, compatibles avec les installations de la vallée de la Fensch.Dans tous les cas, l'usine à rails trouvera un repreneur, je ne suis pas inquiet.
- Gérard Glas, PDG de British Steel France
Le gouvernement français, qui s'est démené pour trouver un repreneur à l'usine du Nord, verrait d'un bon oeil un contrat d'approvisionnement entre les deux sites français. Il pourrait même faire pression sur le futur nouveau propriétaire d'Hayange pour que celui-ci se fournisse en blooms de Saint-Saulve, à hauteur de 100.000 tonnes par an selon nos informations.
Le gouvernement a les moyens théoriques de le faire car en vertu du décret dit Alstom de 2014, le gouvernement français peut s'opposer au rachat d'activités dites stratégiques par des entreprises étrangères. En échange, le gouvernement garantirait au futur repreneur le renouvellement des contrats SNCF.
Pour les salariés que nous avons rencontrés, l’intérêt allemand dépasse tous les autres "c’est une boîte solide, qui embauche et investit. Tout le contraire de ce qu’on fait en Lorraine depuis les années 70".
Tant que durent les négociations exclusives avec Oyak, le groupe sarrois ne peut théoriquement pas discuter d'une reprise, ni faire d'offres "mais on garde le contact, et je ne serais pas étonné qu'on ait une surprise de dernière minute" résume Gérard Glas, le PDG de British Steel France, grand connaisseur de toutes les péripéties de la sidérurgie lorraine des 40 dernières années.