Sans ses indemnités de parlementaire, il n’aurait pas pu créer Emmaüs. C'est en Meurthe-et-Moselle qu'Henri Grouès dit "l'abbé Pierre" est élu député en 1945. Plus tard, le Mosellan Raymond Etienne devient l'un de ses fidèles compagnons de route. Sa fille, Véronique, évoque quelques souvenirs.
Décembre 2003, l’abbé Pierre est présent à Woippy, près de Metz (Moselle) pour l’inauguration d’une pension de famille. Ce lieu est destiné à accueillir une quinzaine de personnes en détresse. "C'est la première et la seule pension de famille gérée par la Fondation Abbé Pierre. C'est une réponse, une solution de logement pour des personnes qui ont des parcours de vie chaotique et de souffrance" explique Véronique Étienne. Elle est alors âgée de huit ans mais se souvient parfaitement de cette journée. Son père, Raymond Etienne, est un compagnon de route de l'abbé. Il sera entre autres élu premier Président d’Emmaüs France, exerçant ce mandat jusqu’en 1996. C'est aussi un des créateurs de la Fondation Abbé Pierre en 1987, pour laquelle il a été Président de 1998 à 2017.
L'abbé Pierre dégageait un charisme et une lumière. Il avait toujours le mot juste
Véronique Etienne, directrice de la Fondation Abbé-Pierre du Grand Est
Sa fille, Véronique assume pleinement l'héritage. Elle est aujourd'hui directrice de la Fondation Abbé-Pierre du Grand Est. Les rencontres avec l'abbé Pierre, Véronique "ne les compte plus". Elles ont cependant le même parfum : "je l'ai côtoyé jusqu'à ce qu'il nous quitte et à chaque fois, l'abbé Pierre dégageait un charisme et une lumière. Il avait toujours le mot juste. On ressortait toujours boosté de ses interventions ou des discussions qu'on pouvait avoir avec lui. Mes souvenirs d'enfant de l'abbé Pierre ? Un monsieur un peu âgé, très gentil et passionnant à écouter".
Personnalité emblématique, l'abbé Pierre marque l'histoire du XXème siècle à travers ses combats en faveur des mal-logés. Tout est parti d'un appel sur une radio après la mort d’une sans-abri le 1er février 1954 : "mes amis, au secours, une femme vient de mourir gelée cette nuit". Sans le vouloir, l'abbé va devenir une star. "Il avait beau avoir du charisme et en imposer comme on dit, il n'en demeurait pas moins une personne accessible", déclare Véronique Etienne, "tout le monde pouvait lui parler, l'approcher. C'était un people avant l'heure, une vedette mais proche des préoccupations et des gens. Ceux qui l'ont côtoyé disaient souvent qu'il nous mettait les batteries à pleine charge après une simple discussion, des vraies discussions simples mais profondes. Il était accessible et ses mots étaient toujours clairs. C'est sans doute pour ces raisons qu'il est très longtemps resté la personnalité préférée des Français".
Pour Véronique et tous ceux qui ont partagé des moments avec lui, l'abbé Pierre reste sans surprise un modèle, "notamment sur l'engagement. Il a toujours douté : suis-je juste ? Est-ce que j'en fais assez ?.... Sa force est qu'il n'a jamais baissé les bras, jusqu'à sa mort".
Entre Moselle et Meurthe-et-Moselle
Au-delà de sa relation avec la Moselle de son ami Raymond Etienne, l'abbé Pierre entretient également une amitié particulière avec la Meurthe-et-Moselle. C'est à Nancy qu'il entre en politique en devenant député du MRP, le parti chrétien-démocrate issu de la Résistance, six ans durant, jusqu’en 1951. Dans sa permanence installée rue des Dominicains, il accueille, autour d’un poêle, les plus démunis. Ne cachant pas "son absence de sens politique", pacifiste convaincu, Henri Grouès - son vrai nom - déconcerte vite son mouvement par ses prises de position de gauche. Déjà, il se bat pour le droit au logement, inscrit en 1946 dans le préambule de la Constitution. "Il existe une misère extrême. C'est là que doit porter notre effort d'abord", défend-il. Député atypique, il reverse ses indemnités parlementaires aux sans-abri. "Son mandat de député, il l'a davantage exercé à Paris qu'en Meurthe-et-Moselle" explique Véronique Etienne, "mais ce que je retiens de son passage dans ce département, c'est sa rencontre avec Jean Prouvé". L'abbé Pierre demande à l'architecte de concevoir et construire une maison correspondant à un appartement normalisé (environ 50 m2) comprenant deux chambres, un vaste séjour prolongé par une cuisine ainsi qu'un bloc sanitaire ménager. Cette maison devait servir de démonstration et inciter la fabrication de logements individuels ou collectifs suivant des procédés industriels. "C'était l'équivalent de la 2Cv pour l'habitat" résume Véronique Etienne, "ce concept de la maison pour tout le monde n'a pas connu de développement. C'est dommage. C'était pourtant une solution pour lutter contre le mal logement".
À l’occasion du 70ème anniversaire de l’Appel de l’Abbé Pierre, Mathieu Klein, maire de Nancy et Président de la Métropole du Grand Nancy, dévoilera une plaque commémorative sur l’ancienne permanence parlementaire de Henri Grouès dit "l’Abbé Pierre" ce jeudi 1er février 2024 à 11h30 au
55, rue des Dominicains à Nancy. "L'abbé Pierre nous manque. Son charisme, son engagement et son humilité" conclut Véronique Etienne.