Coronavirus : les naissances continuent malgré la pandémie

Au CHR de Metz-Thionville, en début avril, les équipes de la maternité régionale assistent les mamans qui s'apprêtent à mettre au monde leurs bébés, dans un contexte très particulier.

Chaque année 3.400 bébés viennent au monde à la maternité du CHR de Metz-Thionville, rien que sur le site de Mercy, à l'hôpital mère-enfant.

Quand l'épidémie de Covid-19 est arrivée en Alsace la question s'est posée, dans cette maternité de Lorraine, de la poursuite de l'activité au sein de l'établissement avec les garanties maximales de sécurisation des patient(e)s et des personnels.

La grossesse ne s’arrête pas avec le Covid et le Covid ne s’arrête pas à la femme enceinte.
- Dr Marie-Laure Eszto, chef du service  Gynécologie Obstétrique à l’hôpital mère-enfant du CHR Metz-Thionville

En période de pandémie il y a toujours des enfants à naître et des futures mamans qui ont besoin d'un suivi et parfois de traitements plus spécifiques, l'hôpital s'est organisé pour cette fameuse continuité de l'activité, entrant ainsi dans une nouvelle ère avec, au passage, de nombreuses modifications en termes d'organisation du travail et des soins. Dans le jargon hospitalier, on parle de "revue de l'ensemble des process pour sécuriser les parcours de soins".

Le docteur Eszto nous explique comment, dès le début de l'épidémie,  la maternité s'est adaptée pour pouvoir poursuivre toutes ses missions.

- Docteur Eszto, comment une maternité qui enregistre plus de 3.000 naissances par an, avec tous les flux de personnes -patients, familles, soignants- qu'une telle activité suppose, peut-elle "sécuriser" les parcours de soins?
''- Tout d'abord je voudrais préciser que le travail qui a été entrepris à la maternité du CHR l'a été avec l'ensemble des équipes, à Metz et à Thionville où ma consoeur le Dr Marie-France Olieric s'est particulièrement impliquée. Il a fallu dans un temps très court  revoir la plupart de nos process en termes d'accueil, de consultations, d'interventions, de suivi avant, pendant et après la naissance. Le tout dans un contexte où le Covid-19 peut potentiellement toucher n'importe qui, soignant ou patient. Dans ce contexte très anxiogène garantir la continuité des soins est apparue comme l'objectif prioritaire. Il faut savoir que selon les recommandations du Collège français d’échographie fœtale l’ensemble de l’activité d’échographie fœtale et de diagnostic prénatal est maintenu."

Maintien des consultations

- Toutes les consultations ont été maintenues?
''- En tout cas toutes celles nécessitant impérativement la présence de la patiente. Mais pour éviter à beaucoup de patientes de se déplacer à l’hôpital lorsque cela n'est pas absolument nécessaire la maternité a mis en place la télémédecine en un temps record, eu égard au matériel nécessaire et à la formation des équipes. Opérationnelle dès la première semaine d’avril la télémédecine est utilisée désormais pour de nombreux types de consultations; gynécologie, entretien prénatal précoce, consultations obstétricales à bas risque ou encore consultations d’anesthésie. Techniquement les patientes  reçoivent un lien sur leur téléphone portable ou leur adresse mail pour pouvoir se connecter avec la maternité. Cela n’existait pas dans notre hôpital avant l’épidémie.''

Depuis l'épidémie de Covid-19 les téléconsultations, ici avec le Dr Dahlhoff, se sont généralisées au CHR de Metz-Thionville. ©CHR Metz-Thionville

- Vous suivez également des patientes ''Covid'' à distance?
"- Absolument. Pour les patientes testées positives au Covid-19 mais dont l’état ne nécessite pas d’hospitalisation (que ce soit à cause du Covid ou pour une autre complication), une application de suivi journalier à distance est opérationnelle depuis le 3 avril. Cet outil de suivi permet de garder un lien avec les patientes et d’adapter leur prise en charge en fonction des réponses aux questions qui leurs sont posées chaque jour."

- Lorsque cela est nécessaire, comment entre-t-on aujourd'hui à la maternité?
"- Il y a tois cas de figure, trois protocoles de prise en charge:

  • La prise en charge des patientes qui viennent et qui ont  le covid-19
  • La prise en charge avec dépistage des patientes qui ont des signes de Covid-19
  • Et bien sur la prise en charge des patientes qui n’ont pas le Covid-19

Il y a levée de doute dès l'entrée dans l'établissement pour  tous les patients qui viennent à la maternité. Des externes (jeunes médecins) de 5e et 6e année, tutorés par le médecin de garde, filtrent les entrées. Ils accueillent et informent les patients sur les conditions d’accès à la maternité.
Ils leurs distribuent un dépliant d'information sur le suivi de la grossesse  pendant l’épidémie de Coronavirus. Ils prennent la température des patients et réalisent également un  interrogatoire  sur la recherche des signes classiques de l’infection Covid-19. Le cas échéant ils informent le médecin de garde qui décidera de l’opportunité de réaliser ou non un prélèvement (un test).
Concernant les mesures de protection, les patientes symptomatiques qui en sont à leur troisième trimestre ou qui viennent pour une consultation de gynécologie ou de cancérologie  se voient toutes proposer un masque. Le conjoint quant à lui reste systématiquement en dehors de l’établissement. Tout cela peut paraitre anxiogène mais en réalité les parents sont rassurés par l’ensemble de ces mesures."

- On a bien compris qu'il y a des cas de figure où la venue à la maternité est nécessaire pour certains actes, pour les naissances bien sûr, mais aussi quand des complications surviennent en cours de grossesse et nécessitent une hospitalisation. Or vous avez précisé que vous prenez en charge également les patientes dites ''Covid-19'' au sein de la maternité. De quelle façon?
''- Que ce soit aux urgences obstétricales ou dans les salles de naissances il a fallu développer des parcours parallèles. Pour les urgences il y a désormais le parcours urgences ''classique" et un parcours ''patientes Covid ou suspectes Covid''. Les circuits entre ces deux parcours ne se croisent jamais. Pour la salle de naissance c’est la même chose avec un circuit pour les patientes ''non Covid'' et un circuit ''Covid ou suspectées Covid."

- On sait qu'on peut être porteur du virus et être totalement asymptomatique. Comment déterminer dans ce cas qu'une patiente est ''non Covid''?
''- C'est exact, les patientes ''non covid'' entrent dans ce circuit après un interrogatoire poussé et tracé dans leur dossier, pour la patiente comme pour son conjoint."

Pour entrer en salle de naissance la patiente et son conjoint doivent être asymptomatiques et portent un masque durant toute la durée de l’accouchement.

"Le conjoint reste confiné avec sa compagne dans la salle de naissance et quitte la maternité immédiatement après, sans même passer par la chambre.

 Chaque cas est unique

- Et pour les patientes ''Covid'' qui accouchent?
"- Pour les patientes "Covid" qui doivent accoucher, il y a une sage-femme ainsi qu’un médecin d’astreinte rappelé spécialement pour l'accouchement, ainsi qu'un pédiatre si c'est nécessaire. Tous sont  dédiés uniquement à la prise en charge de ces patientes. Il y a donc séparation complète de la prise en charge de la patiente "Covid" par rapport aux autres. Dès son arrivée d'ailleurs elle sera suivie et prise en charge par la même sage-femme, identifiée par une tenue spécifique, lui est exclusivement dédiée et qui par conséquent ne s’occupera pas de patientes ''non covid'' lors de la même journée.''
 
- Quels sont les moyens dont vous disposez pour les deux types de prise en charge ''Covid et non Covid''?
''- Nous avons sept salles de naissances  dont une est dédiée exclusivement "Covid"."

Pour les patientes ''Covid'' qui nécessitent une hospitalisation en cours de grossesse il y a actuellement 12 places dans le secteur Covid de la maternité.

"Un secteur je le précise qui est complétement séparé du reste des autres  services de la maternité. Ce secteur est lui-même séparé en 2 zones, une pour les patientes qui ont le covid-19 et l'autre pour celles suspectées d'être infectées par le virus."

- Que se passe-t-il si l'état d'une patiente se détériore, si elle est en détresse respiratoire?
''- Si une hospitalisation doit survenir elle aura lieu dans le secteur le plus en lien avec sa pathologie et qui sera le plus à même de la traiter avec un maximum d'efficacité. Si cette pathologie est en lien avec la grossesse est sera hospitalisée dans le service Covid de la maternité. Si son état se détériore avec détresse respiratoire et nécessite des soins intensifs elle ira en secteur Covid ''classique'' où les équipes rompues aux techniques de soins intensifs et de réanimation peuvent la prendre en charge. Mais il ne peut y avoir de réponse générale à votre question car chaque cas est unique et nécessite une décision collégiale de l’équipe médicale.''

- Quel est votre sentiment sur la façon dont le Covid-19 impacte la vie de la maternité?
''- Par rapport aux polémiques que l'on peut entendre ici ou là, moi je n'ai aucun état d’âme en tout cas,  car je n'en ai tout simplement pas le temps. L'hôpital a mis en place une plateforme d'écoute et d’assistance psychologique pour les patients et les  personnels, des psychologues passent également dans les services. Depuis le début  de cette pandémie tous les professionnels de soins ont fait beaucoup d’efforts pour s'adapter, créer ces nouveaux circuits, se former, simuler des situations d'urgence et continuer à soigner. Toutes les mesures mises en place s’éloignent peut-être de l’idéal que l’on se fait d’une naissance. Mais pendant cette période l'effort doit être collectif car nous devons tout faire pour sécuriser tout le monde. Ce que je peux dire  c'est que la réactivité des personnels soignants a été extraordinaire.

Ce que cette crise met en évidence, c'est avant tout les capacités d’adaptation de réactivité et d’innovation des équipes.

"Après la crise il faudra réfléchir sans doute à la pérennisation de certaines procédures d’urgence mises en place de manière si efficace dans ce contexte particulier.''

Groupe de parole

Si l'encadrement de la maternité se félicite, à juste titre, de l'effort réalisé par les équipes soignantes, il n'en demeure pas moins que ces dernières ont été durement impactées par la situation. Un groupe de parole privé s'est constitué d'ailleurs sur un célèbre réseau social afin que les sages-femmes, les aides-soignantes  puissent échanger, se soutenir, échanger et partager leur ressenti.
Nous avons pu joindre l'une d'entre elles, une sage-femme qui souhaite garder l'anonymat et que nous prénommerons Juliette.

On a dû s’adapter très vite.
- Juliette, sage-femme

Extraits choisis:

Des services réorganisés
''Tous les services ont été chamboulés. Le "cohorting" (littéralement regroupement en cohorte: ce terme désigne le regroupement de patients infectés ou colonisés par le même agent infectieux afin de confiner leurs soins dans unseul lieu)  autrement dit le service qui s’occupe des  personnes Covid dans la maternité a été installé en lieu et place du service des grossesses à risques. Il est scindé en deux zones,  Le pré-cohorting pour les cas suspects et le cohorting pour les cas positifs."

Une nécessaire adaptation
"- D’habitude chaque sage-femme est dédiée à un service type: maternité, grossesse à risques, urgences gynécologiques et obstétricales. Avec l'arrivée du Covid-19 il a fallu se réorganiser très vite.  Par exemple pour créer pouvoir créer la zone Covid-19 il a fallu déplacer le service de grossesse à risque dans le service maternité. Du coup des collègues de maternité qui n'avaient jamais travaillé dans un service de grossesse à risques ont dû s'adapter. On a fait avec les moyens du bord.''

Equipée comme une cosmonaute
"Les conditions de sécurité sont drastiques et je suis équipée comme une cosmonaute puisque je travaille dans ce service Covid-19. Mon équipement? Outre la blouse blanche que j'enfile en arrivant à l’hôpital, je mets par-dessus une blouse jetable que je garderai seulement à l’intérieur du service. Pour entrer dans chaque chambre de ce secteur, j’ai un équipement particulier à mettre, que j’enlève dès que je ressors de la chambre: masque FFP2, sur-blouse, charlotte, lunettes de protection et gants. Je reste très peu et je désinfecte la chambre plusieurs fois par jour hormis le sol (le sol est désinfecté par une ASH, NDLR). Naturellement je réduis au maximum les allers et retours dans les chambres.  Je trouve tout cela anxiogène et fatiguant car c’est une réflexion constante, continue,  pour être sûres que nous sommes toujours dans les bons gestes avec le bon équipement."

Le Covid-19 change la relation aux autres
"Ça change évidemment la relation avec les patientes qui ne voient plus, derrière mon masque, les sourires que je leur adresse habituellement. Et puis il n’y a plus tous ces petits gestes: toucher une épaule, une main. Des gestes  que nous faisons naturellement dans ce métier où on entre dans l’intimité des femmes à ce moment particulier de leur vie. Ce lien, ces gestes essentiels, on ne les réalise plus. Avec les collègues c'est différent là encore. On respecte la distanciation sociale. En salle de repas par exemple  chacune d’entre-nous  fait en sorte d’être à plus d’un mètre des autres. Il y a moins de sourires, moins de rires."

Des patientes isolées
'' Pour elles c’est compliqué, du fait  que les visites ne sont pas autorisées. Hormis la présence du papa dans la salle de naissance au moment de l’accouchement et seulement à ce moment-là, avec port de masque obligatoire.  Lorsque le bébé est arrivé, il n’y a plus de ""peau à peau'' ce contact si important, ce qui n’est pas évident pour établir le lien mère-enfant. Cependant, l'allaitement n’est pas interdit si la dame respecte toutes les mesures d’hygiène. Il faut savoir qu'une maman positive au Covid-19 qui vient d'accoucher doit limiter les contacts au maximum avec l'enfant et rester à 2 mètres de son bébé."

Ambiance de guerre sanitaire 
" Depuis notre service de maternité dédiée au covid, nous voyons les hélicoptères aller et venir toute la journée. Nous savons que la situation est très difficile en réanimation. Et puis, je ne sais pas si je dois le dire en fait mais depuis nos fenêtres nous avons vue sur la morgue de l'hôpital, à l’entrée de laquelle il y a souvent un camion réfrigéré signe qu'il n'y a plus de place à l'intérieur. Là aussi nous savons ce que cela signifie..."

Colère, anxiété et concentration
'' Mon sentiment, comme celui de beaucoup de mes collègues du groupe de parole, balance entre la colère, l'anxiété et la concentration. Ce que je peux dire c'est que nous faisons tout ce que nous pouvons pour poursuivre les soins du mieux possible, même si nous aussi nous avons peur en arrivant dans le service ou en repartant chez nous. Mais nous avons ce sentiment que la dangerosité du Covid-19 a été largement sous-estimée, du moins au début. Sans parler du sous-équipement en tests et matériel de protection avec lequel il a fallu composer."

Voilà, tandis que chaque jour apporte son lot de drames, de défaites mais aussi de victoires dans les services de réanimation,  la vie continue et continue d'arriver dans ce service de maternité qui se bat chaque jour, lui aussi, contre le Covid-19.
 

Le Covid-19: transmissible de la mère à l'enfant?
C'est une question que les futurs parents posent souvent aux équipes médicales de la maternité en ce moment. La réponse qui leur est faite est invariablement la même:
En l'état actuel de connaissance et de la littérature médicale il n'y a aucun argument pour un risque de transmission de la mère à l’enfant. 
Mais attention le risque après la naissance est réel.
C'est pourquoi les mamans qui sont porteuses du Covid-19, si elle peuvent donner le sein moyennant de nombreuses précautions, doivent néanmoins respecter les gestes barrière (pas de ''peau à peau'' à la naissance, pas de bisou) ainsi qu'une distanciation -sociale- (!) d'avec leur propre bébé, dont le landau sera distant d'avec elles de deux mètres.
 
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