Un brin de culot et beaucoup d’humour. À l'occasion de la journée mondiale de la liberté de la presse, célébrée chaque 3 mai, le dessinateur de presse mosellan Yan Lindingre nous livre son point de vue sur la censure en France, à l’ère des réseaux sociaux.

En 2016, il a créé le prix “Couilles-au-cul”, remis chaque année pendant le festival Off de la bande dessinée d'Angoulême, pour distinguer le courage artistique d'un dessinateur. Son univers drôle et incisif fait mouche. Auteur de bande dessinée et scénariste pour l’émission culte Groland, l’ancien rédacteur en chef du magazine Fluide Glacial est devenu au fil des années un grand nom du dessin de presse. On retrouve ce Messin toute l’année dans le Canard Enchaîné, Siné Mensuel, la presse locale et bientôt dans le journal Le Monde.

Qu’en est-il de la liberté de la presse en France ?

Yan Lindingre : Certes, il y a des pays beaucoup plus “hard”, comme l'Iran par exemple, où les dessinateurs sont menacés de mort chaque jour et où il y a une vraie censure d’État. En France, on n’en est pas là, c’est rarissime qu’un dessinateur soit condamné par un tribunal. C’est la preuve qu’on ne vit pas une oppression permanente ici. Mais la censure peut frapper partout et prendre plusieurs formes. En fonction de celui qui détient tel ou tel média, il y a des choses que l’on peut plus ou moins dire ou dessiner. Il y a une petite censure diffuse, au cas par cas, selon l’actionnaire. Et certains dessinateurs craignent pour leur existence, même en France. Les dessinateurs de Charlie Hebdo vivent toujours avec des gardes du corps.

Existe-t-il une autocensure chez le dessinateur ?

Yan Lindingre : Si l’on compare les époques, je dirai peut-être qu’il y a plus d’autocensure aujourd’hui. On réfléchit un peu plus à deux fois en parlant de certains sujets, comme le conflit israélo-palestinien, les conflits, la religion, les minorités visibles ou invisibles. Par exemple, j’ai l’impression qu’il a fallu attendre d’apprendre qu'il y avait au moins 30.000 Palestiniens morts à Gaza, pour pouvoir se permettre d’en parler réellement. De mon point de vue, c'est atterrant. Je suis contre l’antisémitisme et contre tous les racismes, mais on doit pouvoir dessiner sur tous les sujets. Il ne faut juste pas être complètement à côté de la plaque.

… Et la censure à l’ère des réseaux sociaux ?

Yan Lindingre : Une partie de la censure actuelle vient des réseaux sociaux. Il m’arrive moi-même d’être mal à l’aise devant un dessin, je peux ne pas l’aimer. Mais des dessins qui seraient passés inaperçus, qui avaient une durée de vie d’un jour ou d’une semaine avant, ont une durée de vie éternelle sur les réseaux sociaux maintenant. Ils peuvent voyager plus facilement dans d’autres pays, où ils peuvent choquer encore plus. Chez beaucoup de lecteurs, aussi, il y a parfois une confusion entre les personnages que l’on représente et ce qu'ils s'imaginent comme étant notre avis. On ne peut pas représenter des beaufs, car on nous prend au premier degré. On peut très vite se faire traiter de grossophobe, de sexiste, ou autre. Mais on ne va pas s'interdire de dessiner des stéréotypes, c’est le propre de la caricature, du dessin de presse.

Peut-on rire de tout ?

Yan Lindingre : Comme le dit le dessinateur Vuillemin, oui, quand c’est vraiment drôle. Si on est sûr de tenir une idée vraiment amusante, on ne doit pas s'empêcher de la suivre. Personnellement, je me considère plutôt comme un mec de gauche, mais je ne fais pas de dessin militant. Et je peux très bien me moquer de la gauche, au contraire, je ne m’en prive pas. Je pense qu’on peut rire de tout, tant qu’il n’y a pas d’appel à la haine ou de dimension infamante. Tant que ça n’est pas systématique et que ça ne vire pas à l'obsession, au mode de pensée. On ne peut pas taper systématiquement que sur les musulmans, par exemple, autrement, c'est problématique.

La France se classe au 21ᵉ rang mondial dans le classement Reporters sans frontières de la liberté de la presse et gagne trois places en un an. Dans son rapport 2024, RSF souligne qu’au niveau mondial, "les États échouent à protéger le journalisme".

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