Un jeune Mosellan a été condamné ce jeudi 20 octobre 2022 à 18 mois de prison au Maroc où il avait décidé de s'installer il y a 3 ans. La justice marocaine lui reproche d'avoir fait l'acquisition d'un véhicule de luxe acheté grâce à du Bitcoin, considéré comme illégal dans ce pays d'Afrique du Nord. Entretien avec le père de l'accusé qui se bat depuis la France pour le faire sortir de prison, ainsi qu'avec son avocat à Casablanca.
Le bac en poche, Thomas Clausi décide de s’installer au Maroc en 2019. Le jeune homme de 18 ans a un rêve : créer une banque en ligne africaine baptisée "Africa Pay". "Thomas est un fonceur. Il a toujours foncé", nous le décrit son père. "Je ne voulais pas trop qu’il parte mais il a eu une idée géniale. Son projet, c’était de monter la première néo-banque d’Afrique, à l’image de Revolut et Boursorama en France", nous explique Joseph Clausi ce vendredi 21 octobre 2022.
En 2021, Thomas Clausi poursuit le développement de son idée qu’il veut lancer dés l’année suivante, comme il l’explique lors d’une interview vidéo accordée l'année dernière à nos confrères de BFM Business. Une société qu’il veut "déployer dans 20 pays afin de permettre à tous les Africains de disposer d'un compte bancaire", précise un communiqué de la famille.
Mais ce qui devait être "une belle aventure digitale et solidaire" est stoppée nette le 22 décembre 2021. Quelques jours plus tôt, le jeune entrepreneur fait l’acquisition d’un véhicule de luxe auprès d’une vendeuse de nationalité française, elle aussi résidente au Maroc. Un modèle Ferrari de près de 400.000 euros qu'il décide de financer à l’aide de bitcoins, une monnaie virtuelle qui permet des paiements en ligne mais interdite depuis 2017 dans le royaume qui la considère comme "un système de paiement occulte".
De "terribles" conditions de détention
"Il ne connaissait pas la législation en vigueur dans ce pays. Il est jeune. À 20 ans, il a voulu se faire plaisir. La personne qui lui a échangé sa Ferrari contre des cryptomonnaies ne voulait plus faire affaire et s’est retournée contre lui du jour au lendemain", nous raconte le père de l'entrepreneur. Résultat, une plainte est déposée par l’ancienne propriétaire du véhicule, et le 22 décembre 2021, au volant de sa voiture, Thomas est arrêté "avec brutalité et mépris", explique le communiqué familiale.
"Elle a déposée plainte pour escroquerie et sous un faux témoignage d’agression au couteau. Heureusement que la police locale a tout de suite écarté cette dernière thèse, après une enquête et l’exploitation des images de vidéosurveillance", ajoute Joseph Clausi qui dénonce depuis l'arrestation de son fils, "une situation ubuesque qui se transforme en détention abusive".
Durant la nuit de son arrestation, le Mosellan est "déplacé dans trois commissariats. Dans le deuxième, il subit une humiliation, ainsi que des menaces physiques et morales. On lui fait signer des documents en arabe, alors qu’il ne maîtrise pas cette langue", poursuit le communiqué adressé aux médias en septembre l'année dernière. "Thomas est ensuite mis en isolement pendant douze jours, sans pouvoir téléphoner à ses avocats, aux consulats ou à sa famille", expose le texte.
Aujourd'hui, Joseph Clausi reste surpris par les conditions de détention subi par son fils: "Pendant les douze premiers jours de détention provisoire, il dormait à même le sol, il m’a dit : Papa c’était terrible. Quand il a été arrêté, il portait un costume et pendant ces douze jours, il n’a pu ni se changer ni se laver. Ils l’ont mis dans une cellule avec plus de 40 codétenus ! Avec une seule toilette et le droit à seulement une douche par semaine à l'eau froide. Il n’avait pas de matelas, il dormait sur des couvertures", raconte M. Clausi.
"J’ai été le voir une fois en prison, le parloir c’était juste insensé ! Une pièce de 30 m2 avec 20 détenus d’un côté et les familles de l’autre qui essayaient toutes de parler à leurs proches incarcérés. Je devais crier je t’aime à mon fils pour qu’il m’entende au milieu de tout ce bruit. J’ai chialé pendant 10 minutes. Croyez-moi, on est loin des films américains où on peut faire mine de se toucher main contre main à travers la vitre", témoigne le père de famille âgé d'une cinquantaine d'années.
Un long combat qui dure
Pétition, appels à l’aide dans les médias, aux autorités françaises... Joseph essaie par tous les moyens, depuis plus de 10 mois, de venir en aide à son fils né le 3 mars 2001.
D’origine italo-française, il n’a pas hésité a contacter également les autorités italiennes. "Il faudra l'appui du Ministère des Affaires étrangères français, mais surtout l'appui du Ministère des Affaires étrangères italien et du Consul italien au Maroc et du gouvernement Italien, pour qu'il reçoive des soins et une écoute qui l'aide réellement à tenir physiquement et moralement. Sans cet appui des autorités italiennes (qu’il remercie très sincèrement pour leur aide et leur humanité) il serait encore dans des conditions honteuses", détaille le communiqué.
Joseph Clausi nous confie : "Moi j’ai 50 ans, je peux vivre avec un petit morceau de pain mais un jeune de 20 ans, vous vous imaginez ?! Depuis que le haut commissariat des droits de l’Homme et surtout les autorités italiennes sont allés à sa rencontre, il est dans une cellule avec moins de monde et il peut me téléphoner plus souvent, deux fois par jour, pendant huit minutes. Avant, je pouvais ne plus avoir de nouvelles de lui pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines, car il n’y avait qu’un téléphone que se partageait la quarantaine de codétenus".
Incarcéré depuis le 22 décembre 2021, Thomas a été reconnu coupable d’ "escroquerie", d'usage prohibé de cryptomonnaie jeudi 20 octobre 2021, et condamné à 18 mois de prison par le tribunal de Casablanca. Avant ce procès, père et fils se sont livrés à une longue bataille juridique. "Ce Jugement a été reporté 18 fois ! Mon fils est en déperdition psychologique. S’il avait à nouveau été reporté, il aurait encore été plus atteint qu’il ne l’est déjà", déclare le père.
En plus de sa peine d’emprisonnement, le Mosellan a écopé d’une amende de 3,4 millions d'euros. "Les douanes marocaines lui réclament de fortes pénalités alors qu’il n’existe aucune loi au Maroc sur les crypto monnaies".
Une absence de texte législatif
Au Maroc, Thomas Clausi est représenté par Mohamed Aghnaj, avocat au barreau de Casablanca. "En tant que représentant de l’accusé, on a interjeté appel", nous apprend le conseil du jeune Mosellan ce vendredi 21 octobre 2022.
Pour lui, en l'absence de loi claire et précise sur le Bitcoin et la cryptomonnaie au Maroc, "le droit pénal ne peut s’appuyer sur une référence vague. Le parquet et l’office des charges considère son usage illégal sur le territoire marocain mais il n'y a pas de texte législatif clair et précis sur ce point", détaille Mr Aghnaj.
L'avocat revient sur le procès qui s'est tenu jeudi 20 octobre et pendant lequel il a défendu son client : "Parmi ce qui lui a été reproché, il y a la destruction d'un chèque. Mais sur ce chef d’accusation, il a été acquitté par le tribunal. Nous avons démontré que la valeur du chèque lui appartenait. Deuxième chef d’accusation, l’escroquerie. On l’accuse d’avoir induit la vendeuse en erreur en faisant usage de la cryptomonnaie mais ce n’est pas de l’escroquerie, car celle qui s'est dit lésée a accepté ce type de paiement. Ce n’est pas une escroquerie au sens du droit pénal. Si on considère que ce paiement est illégal, il faudrait dans ce cas inculper les deux parties, puisque la vendeuse a elle aussi accepté ce type de transaction", défend le conseil de Thomas Clausi.
"J’ai toujours soutenu son acquittement car personne n’a eu de dommages dans cette affaire. La voiture a été retournée à la vendeuse, alors qu’elle même n’a pas retourné la cryptomonnaie qu’elle a reçu", déclare l'avocat de Thomas Clausi.
Une restitution du véhicule qui "n'annule pas les préjudices subis par ma cliente", a défendu de son côté Me Mohamed Belkedioui, l'avocat de la partie civile lors de l'audience, rapporte un journaliste de l'Afp.
Me Mohamed Belkedioui représentait également l'autre plaignant, un Marocain, celui qui a accusé Thomas Clausi de l'avoir escroqué en lui donnant le chèque sans provision au nom d'une tierce personne, obtenu par le jeune Français en échange de bitcoins, pour s'offrir trois montres de luxe.
L'accusé a affirmé devant la cour qu'il ne "savait pas que ce chèque était sans provision, qu'il avait rendu deux des montres et qu'il était prêt à rendre la troisième".
Le tribunal l'a condamné à dédommager le propriétaire des montres à hauteur de 40.000 dirhams (près de 3.900 euros), en plus de l'amende de 3,4 millions d'euros en faveur de l'administration des douanes.
Désormais, l'avocat de Thomas espère une nouvelle audience dans un mois. "Le dossier va êtretransmis à la chambre criminelle en appel. On aura la possibilité de rediscuter de l’affaire en totalité. Au mieux, Thomas peut être libéré, mais si le ministère public fait lui aussi appel, il peut à nouveau risquer cinq a dix ans de prison".
"18 mois papa, j’en ai déjà fait 10"
Joseph Clausi ne désespère pas de revoir son fils libre. "Je suis presque content qu’il est enfin pu être jugé hier. Mon but c’est qu’il sorte de là et qu’il refasse sa vie. Je ne veux pas que mon fils soit au dessus des lois, mais qu’il soit jugé équitablement et qu’il ait des conditions de détention humaine", nous livre-t-il.
À la suite de son procès hier, Thomas a appelé son père : "Ouf enfin, je sais où je vais, c'est ce qu'il m'a dit. Il sait que c’est 18 mois maintenant. Il m’a dit : 18 mois papa, j’en ai déjà fait 10", confie ému le cinquantenaire. D'une voix tremblante et en larmes, il nous confie le rêve désormais de son fils, emprisonné avec d'autres détenus dans une cellule à plus de 2.500 km de la Moselle : "Je sais que tu dépenses beaucoup d’argent papa, je rêve de sortir et de pouvoir me reposer pendant quelques jours, sans personne, au calme et loin de tout. Papa s'il te plaît, n’importe où, en Meuse ou dans un chalet, j'en rêve, n’importe où, sans personne, je veux juste être enfin seul pendant une semaine".