Moselle : malgré le Covid, le droit féodal du "bois bourgeois" résiste à Dabo

Le tirage du "bois bourgeois" n'avait pas pu avoir lieu en 2020, pour cause de pandémie. Il s'est effectué mercredi 10 novembre pour plus de 700 habitants de Dabo, qui perpétuent la tradition de l'attribution de bois domanial une fois par an.

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La cannelle titille les narines, le vin chaud cuit doucement sous le stand de l’association des arboriculteurs de Dabo. Covid oblige, le tirage du bois bourgeois version 2021 déroge à la tradition. Terminées les salles bondées, et les tireurs au coude à coude avec les scieurs.

La survivance de ce droit féodal permet chaque année à plus de 700 habitants de la commune de se voir attribuer un lot de bois sur pied. Depuis une vingtaine d’année, près de 300 d’entre eux ont choisi le "regroupement" : ils vendent collectivement leur bois, à un prix fixé par les trois marchands de bois qui se disputent les lots. Mais les irréductibles restent majoritaires : ils préfèrent tirer un lot, et le négocier directement avec les scieurs présents lors de la journée du tirage.

Une chance au tirage

Devant l’espace Léon IX, les ayants-droits patientent, à l’appel de leur nom. Cette année, on commence par la lettre D. Un par un, ils suivent le parcours fléché. D’abord le tirage, sous le contrôle de l’ONF : une simple feuille sur laquelle figure le numéro du lot, les essences d’arbres qui le composent, et le volume. Réservé selon le bon vouloir des comtes de Linange aux hommes, les veuves touchent une demi-part. Mais les femmes ne sont pas absentes pour autant, comme cette épouse : "je viens avec une procuration parce que mon mari travaille, mais franchement, je n’y comprends rien, il aura ce qu’il aura". Une fois les taxes payées à l’ONF et à la mairie, la partie commence : vendre son lot au plus offrant.

Dans la grande salle qui jouxte le gymnase, quatre scieries se disputent les lots. Le rituel est rodé : le tireur présente sa feuille, le marchand propose un prix, et invariablement le vendeur lui répond qu’il va faire le tour des autres. Et il revient ensuite au premier, ou pas. Autour de la table de la scierie Welsch, un jeune tireur tente le bluff : "en face ils m’ont dit 700". Gérard Welsch, lunettes au bout du nez, ne jette même pas un coup d’œil sur le lot. C’est non. Le tireur repart sans demander son reste. Sort plus favorable pour Cédric, un trentenaire à qui le concurrent a proposé 690. Le scieur le connaît, ici tout le monde se connait… Cédric est le compagnon de sa nièce : "on monte de 5 euros" avance le scieur, avant de se raviser, "allez, on dit 700, mais c’est parce que c’est toi". En une heure, le marchand a déjà acquis 11 lots, "et j'en espère beaucoup plus".

On marchande pour une dizaine d’euros, guère plus. En patois, très souvent, y compris parmi les jeunes, qui tiennent à cette tradition du tirage : "par rapport au regroupement, on perd de l’argent cette année, je pensais qu’avec la pénurie des matériaux on toucherait plus au tirage, mais c’est pas grave, c’est une bonne journée et je suis attaché au tirage, ça vient de mes ancêtres".

Droit féodal

Ce droit a été accordé au XVIIè siècle par les comtes de Linange afin d’attirer de la main d’œuvre dans la région, qui en manquait cruellement. Seuls ceux qui peuvent prouver que leurs ancêtres en bénéficiaient, en disposent aujourd'hui, à condition qu’ils résident eux-mêmes toujours dans la commune de Dabo. Sur 2400 habitants, un tiers seulement est éligible au bois bourgeois.

Isabelle Nassoy, la secrétaire de Mairie qui s’occupe de percevoir la taxe locale, est intarissable sur la tradition. Elle apprécie les retrouvailles que constitue le tirage : "avant on sentait la naphtaline, parce que les hommes sortaient leurs costumes, c’était la fête pendant deux jours, les enfants n’allaient pas à l’école pendant deux jours". Le tirage attirait les marchands, qui proposaient leurs produits aux habitants qui se déplaçaient encore peu. Les sommes perçues étaient parfois conséquentes : "" se souvent Isabelle Nassoy.

Dabo est la dernière commune lorraine à disposer de droits bourgeois. Celles qui en disposaient également ont progressivement préféré la solution du cantonnement : l’attribution de certaines parcelles de forêt contre la renonciation aux droits. En clair, une partie de la forêt domaniale, sur laquelle est prélevé le bois bourgeois, devient communale. Les revenus tirés du commerce du bois reviennent alors à la commune. Mais Eric Weber, le maire de Dabo, n’envisage pas une seule seconde cette possibilité : "les habitants y sont attachés et moi aussi, ça me poserait de gros problèmes" glisse-t-il dans un demi-sourire. A l’auberge du village, les tireurs déjeunent, le chèque en poche. Ils commentent l’actualité aussi, non sans ironie : "pas besoin de la prime pour l’énergie de 100 euros ! Ici à Dabo on a le bois bourgeois, c’est bien mieux".

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