Marcel Ferry travaille comme brocanteur, ferronnier d’art et céramiste. Entre autres. En cette fin janvier, il n’a pas l’intention de s’arrêter, il multiplie les projets. Le dernier en date : faire revivre la tradition des grès flammés.
A le voir se déplacer lentement, et parfois avec difficulté en cette fin janvier 2020, on pourrait douter de ses capacités à travailler encore. Mais son sourire désarme l’auditeur: "ma tête fonctionne à merveille, c’est en dessous que ça a du mal" rigole Marcel Ferry.
Sa vie de labeur l’a abîmé, mais l’octogénaire semble puiser dans des ressources de malice infinies: il ne peut plus monter les escaliers qui mènent à son atelier de moulage? Il a installé un monte-charge sur mesure, qui lui permet des allers retours à sa guise. Sa cour et ses ateliers à Rambervillers (Vosges) débordent de ferraille à forger, d’argile, et de meubles brocantés.
Les grès flammés
Marcel Ferry le reconnaît volontiers : "c’est souvent le hasard qui m’a porté, la chance aussi un peu, et le travail beaucoup". Son dernier projet paraît titanesque : faire revivre les grès flammés de Rambervillers, une production qui a failli s’éteindre il y a quatre ans, quand la petite-fille de Marcel a jeté l’éponge.Le grand-père s’y est mis longtemps, de 1974 à 2015. Sur un coup de dés : sur l’ancien site de production historique des grès flammés, la Société Anonyme des Produits Céramiques de Rambervillers, il découvre des moules à l’abandon au début des années 70, que les enfants cassent pour en faire de la craie. Marcel sauve les moules de la destruction. A son grand étonnement, les moules sont signés par les plus grands noms de l’Art Nouveau Nancéien, comme Majorelle ! Alors ferronnier d’art de métier, il convainc l’industriel Alphonse Cythère, "l’inventeur" des grès flammés de Rambervillers au bleu métallique proche de la céramique japonaise, de le former. Pour Marcel c’est le début d’une aventure de quarante ans, qu’il mènera de front avec la ferronnerie et la brocante.
Sauvés de l’oubli
En 2016, sa petite-fille qui avait repris l’affaire familiale, arrête l’activité. Marcel ne cogite pas longtemps, il déménage son ancien dépôt de brocante, il y installe ses fours, ses moules, et son monte-charge. Il a subi plusieurs opérations à la hanche et aux genoux, mais rien ne l’arrête, de la préparation de la barbotine à la cuisson. Son ingrédient de base, le grès, est une production locale. Cette argile à forte teneur en silice, Marcel la cuit deux fois, pour assurer une parfaite vitrification, et donc étanchéité à ses pièces, "qui doivent servir ! Si je fais une cruche, elle doit être étanche à 100% ".Ecole de Nancy
L’artisan veille sur ses moules. Des pièces qui lui permettent de produire encore aujourd’hui des grès signés par Schneider, Virion ou Gruber, sans compter Majorelle. Mais l’ancien pupille de la nation, qui a connu la guerre d’Algérie comme appelé, ne regarde pas derrière lui : "je veux avancer ! Récemment j’ai fait un pingouin, puis deux, et maintenant je vais faire des petits" explique-t-il joyeusement, tout en admirant une pièce qui sèche depuis deux semaines : une splendide tête de veau ! Marcel se réjouit du regain d’intérêt pour les grès flammés : "avant les gens les abandonnaient dans les greniers, aujourd’hui la céramique revient à la mode et j’en profite puisque lors de mes dernières portes ouvertes j’ai vendu 140 pièces, alors qu’avant je pouvais rester des mois sans rien vendre".Son secret
Impossible de voir l’émaillage. Marcel sourit : "c’est mon secret". Nous ne saurons pas comment il donne à ses céramiques cette teinte bleutée très caractéristique. Le coup de main, le savoir-faire, les connaissances et l’expérience accumulée, Marcel voudrait les transmettre. Pas pour passer la main, pour accompagner, comme lui l’a été tout au long de sa vie.La retraite? "Jamais ! C’est pour les vieux".