A Reims, on a testé pour vous... la démocratie !

Ce vendredi se tenait au complexe sportif René Tys une "réunion-débat" sur le projet de Reims Grand Centre qui comporte, entre autres, la construction d'une salle de spectacle et d'une piscine. L'occasion de se jeter dans le grand bain de la "démocratie participative". On l'a vécu de l'intérieur.

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Il est 18 heures 15 au Complexe sportif René Tys, et je ne sais pas trop à quoi m’attendre… Comme beaucoup de ceux qui ont pris place autour des tables installées sur le parterre de la halle sportive, c’est ma première expérience de « démocratie participative ».

Démocratie participative. Ça sonne comme un pléonasme : la démocratie n’est-elle pas, par essence, participative ? Je m’interroge : existe-t-il donc aujourd’hui une démocratie non-participative ? J’ai des questions plein la tête.

C’est une première pour Reims aussi : on insiste bien là-dessus. Alors, encore, une question : comment faisaient-ils, AVANT ? Qui consultaient-ils pour prendre les grandes décisions de travaux, de réaménagement ? On ne le saura pas.


Tirée au sort

Il se trouve que j’ai été tirée au sort pour être invitée ici. Tirée au sort sur les listes électorales « en présence d’une huissier de justice », précisera l’animatrice de la soirée. Ça fait sérieux l’huissier de justice. Ça montre qu’il n’y a pas eu de tricherie ; c’est la caution d’un déroulement normal des choses, comme dans les jeux télévisés lorsque l’éternel et médiatique huissier vient donner le nom de la nouvelle star, de la nouvelle miss, du nouveau chouchou des médias people. Et puis, être tirée au sort, ça a quelque chose du jury d’assise, aussi : on me réclame pour opérer « mon devoir de citoyenne », alors je m’exécute, la conscience démocratique toute excitée.

Il n’y a pas que des tirés au sort, dans cette grande salle aux 3 000 places. Il y a les invités traditionnels : les représentants d’associations, de comités de quartier, de commerçants. Ces gens qui ont l’habitude d’être consultés, qui sont déjà bien engagés dans la vie publique. Un peu impressionnants, ceux-là, on a l’impression qu’ils détiennent les codes de la parole démocratique. Mais à ma table, ils ont l’air tous aussi nouveaux que moi, alors ça me rassure un peu. Question de solidarité.

On écoute beaucoup, on participe quand ?

A la tribune, les discours enthousiastes ont commencé. Arnaud Robinet, le maire de Reims, Catherine Vautrin, présidente de Reims métropole, un urbaniste aussi, présentent le projet : un complexe aqua-ludique et une patinoire, sur le site de la SERNAM, un immeuble de bureaux et un parking aussi. Des immeubles de logements, entre le monument aux morts et le cimetière, et puis sur le parking actuel des halles du Boulingrin. Une salle de spectacle, de grande capacité – 6000 places annoncées -. Malgré le fait que ces différents éléments soient « actés » et « décidés », on se félicite, à la tribune, de la démarche « participative », on tient à ce que les habitants « s’approprient » le projet, parce qu’il paraît que c’est « notre » ville. Pour le moment, on ne participe pas beaucoup, mais « il reste des marges de manœuvre », nous assure-t-on. Bref. On écoute surtout. Et on mange des bretzels et des cacahuètes.

Parce que cette réunion-débat se fait en mode « Cabaret », je cite l’animatrice. Plus « convivial », et idéal pour « travailler ».
Tiens ? Nous allons travailler ?

Pas facile, en fait, de « s’exprimer »


Autour de ma table nous sommes dix : Une couple de jeunes, un homme, une femme, au ventre arrondi. La trentaine, je dirais. Une femme venue seule, un peu plus âgée, mais pas tant que ça… Deux autres femmes, plus âgées, aussi, venues entre copines. A moins qu’elles ne viennent de faire connaissance et qu’elles aient déjà bien accroché. Un Monsieur plus âgé en face de moi, commerçant sur l’avenue de Laon, apprendrai-je plus tard. Une autre femme, une quarantaine d’années, aussi. On ne se présente pas, alors je suppute.
Et très vite, en effet, il faut se mettre au boulot : de grandes feuilles A3 nous sont distribuées avec trois questions, et trois grands espaces vides pour nous exprimer :
1. Que pensez-vous du projet de Reims Grand Centre ?
2. Ce serait un bon projet si…
3. Ce serait un mauvais projet si…

A nous de compléter. Et croyez-moi, ce n’est pas une mince affaire. Je prends le stylo, je tire la langue, l'air concentré, et j’attends les réponses de mes neuf co-débatteurs. Vous allez me dire que je me planque derrière mon rôle de scripte, c’est un peu le cas. C’est assez difficile, d’ailleurs de se lancer et de dire ce que l’on pense franchement à 9 parfaits étrangers, j’ai pas été éduquée comme ça, moi. D’ailleurs, pour les autres, ce n’est pas facile non plus, on s’égare, on papote, "quels types de commerces"," quelle apparence pour les bâtiments" etc. On ne comprend pas trop quel type de réponse ils attendent de nous, là-haut, à la tribune. Il paraît que tout sera lu, pris en note, synthétisé avec attention. Alors on s‘accroche.

Et puis, assez miraculeusement, avec un petit côté magique, le débat s’organise : qu’est-ce qu’on en pense, au fond, de ce projet ? Si on est tous d’accord pour dire qu’il faut faire quelque chose du site de la SERNAM, et qu’une piscine, c’est vraiment incontournable, on s’accroche sur l’utilité d’une salle de spectacle et d’évènements sportifs de 6 000 places : « Ne serait-ce pas redondant avec les salles d’Epernay et de Châlons ? », dit-on à ma droite… « Et le bruit ? » « C’est essentiel pour attirer de gros spectacles et de grosses manifestations sportives », dit-on à ma gauche. « Pourra-t-on repartir en train ? », s’interroge-t-on encore.

Ca devise joyeusement, respectueusement, ça expose des arguments, et on égraine les sujets, on considère tous les aspects des éléments du projet… Et d’un coup, j’ai l’impression que ça marche : on débat, on propose, on imagine. Et ça, c’est assez chouette à vivre avec des gens choisis au hasard, et qu’on ne connaît ni d’Eve, ni d’Adam.

Débattre, ça accélère le temps qui passe

Les trois quarts d’heure consacrés à notre réflexion passent donc à vive allure, et déjà, l’animatrice nous tend le micro pour « restituer » nos réflexions. A chaque table une idée, une remarque, positive, négative. Et c’est drôle : elles sont à peu près identiques partout… Au-delà de l’impression désagréable de ne pas être révolutionnaire, on se dit que, finalement, nous poussons tous dans le même sens : les tables du grand cabaret démocratique veulent un espace piéton, avec des sites connectés entre eux et avec les autres quartiers, des transports doux, des arbres. Un site pas trop construit d'ailleurs, où l’on respire, où l’on vient en famille, et qui « bouge » toute la journée. Un site où l’on se mélange, entre générations, entre travailleurs, amateurs de loisirs, de culture, entre habitants et touristes. Une ville rêvée à 500 donc, entre les murs de René Tys. 

Tant que bien sûr, les impôts locaux n’explosent pas.

Les élus réagissent à nos propositions, Arnaud Robinet se réengage, comme dans sa campagne, à ne pas augmenter les impôts. Et à prendre en compte tout ça. D’autres réunions sont prévues, pour aller un peu plus dans les détails, dans les plans, dans le concret.

Puis, ça y est : tout le monde se lève, après deux heures de réunion-débat, c’est fini. Et cela discute encore à la sortie, en allumant une cigarette, en cherchant sa voiture. En patientant dans les embouteillages pour sortir du parking.

Alors ? A quoi ça sert ? 

On dit souvent que l’essentiel est de participer. Enfin, en général, c’est ce que l’on dit aux perdants. Et je ne suis pas sûre que nos grandes idées fassent leur chemin jusque dans les plans, jusque dans la pierre, jusque dans la vie, future. Mais bizarrement, j’ai quand même l’impression d’avoir gagné. Un peu plus d’engagement, un peu plus d’ouverture aussi. Et l’envie, peut-être de recommencer, pour voir jusqu’où cela nous mène.
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