C'est un documentaire qui ne laisse pas indifférent. Il nous parle de forêt, de gibiers, de paysans et de chasseurs. Il nous parle gros sous, mais aussi nature et écosystème. Voici trois raisons de revoir "Invasion sangliers".
Quatre fois plus en vingt ans. La population de sangliers dans les forêts françaises a été multipliée par quatre en deux décennies, alors que la plupart des espèces animales voient leur nombre diminuer. Quelles sont les causes, les conséquences et les solutions face à cette prolifération? C'est l'objet du documentaire de Nicolas Cailleret. Voici trois bonnes raisons de revoir Invasion sangliers (replay à visionner au bas de cet article).
1- Promenons-nous dans les champs (et dans les bois)
C'est une image de carte postale sylvestre. Au coeur d'une forêt du Grand Est batifole une petite famille bien touchante : maman laie, suivie de ses petits marcassins clopin-clopant. Mais derrière ce cliché façon conte de fées existe une réalité beaucoup plus triviale. La population de sangliers a quadruplé en vingt ans. La forêt n'est plus en mesure de nourrir cette densité de gros gibiers.Une fois qu'ils ont mangé tous les glands, dont ils sont friands, ils quittent la forêt pour rechercher leur subsistance ailleurs. La première victime de leur surnombre est la forêt elle-même. Sa dynamique de régénération naturelle est perturbée et les tout premiers acteurs mécontents sont les forestiers, qui doivent engager des fonds pour protéger les jeunes plants.
Une fois les ressources forestières épuisées, les ongulés sauvages sont contraints d'aller se servir eux-mêmes dans d'autres espaces : les champs en lisière de forêts.
Et c'est là que le bât blesse, car les agriculteurs voient le fruit de leur travail ruiné par le gibier et montent au créneau pour mettre un terme à ces dégâts. Leur tout premier réflexe est d'accuser les chasseurs de ne pas faire leur travail.Des cultures de maïs en lisière de forêt, c'est demander à un gamin d'ouvrir un réfrigérateur plein de pâtisseries et de lui dire : "il ne faut pas toucher!"
- Jean-Claude Génot, ingénieur écologue pour le parc naturel régional des Vosges du Nord.
Saviez-vous qu'autrefois les agriculteurs étaient détenteurs du droit de chasse? Ainsi chassaient-il eux-mêmes les gibiers qui menaçaient leurs cultures. Mais en cédant leur droit de chasse aux sociétés de chasse, ils ont cessé de gérer leurs ennuis eux-mêmes.
De leur côté, les fédérations de chasse se sont engagées à indemniser les dégâts causés par les gibiers. Plus largement, elles se sont engagées à maintenir un équilibre entre populations de gibier et la forêt. Une simple affaire de responsailité et de bon sens?
On ne peut pas mettre en péril une exploitation agricole pour notre loisir.
- Pascal Perrotey, directeur du fonds départemental d'indemnisation des dégâts.
2 - Un petit sou, des gros sous, toujours des gros sous
Ce n'est pas si simple. D'abord parce que les fonds d'indemnisation ne sont pas inépuisables. En raison de l'augmentation massive des dégâts, les fédérations de chasse qui alimentent ces fonds voient venir le moment où elles ne pourront plus les indemniser. Chaque année, ce sont 60 millions d'euros en moyenne qui sont versés aux agriculteurs en compensation des cultures détruites.
Les estimations et les négociations qui encadrent les constats de dégâts font l'objet d'âpres discussions entre les partenaires: pour les uns il s'agit d'indemniser au juste prix, ni plus ni moins, pour les autres l'enjeu de l'investissement personnel rend l'indemnisation toujours insuffisante:
- "On a l'impression que vous travaillez contre les agriculteurs", reproche un agriculteur alsacien à un membre du fonds départemental d'indemnisation.
- "C'est une impresion, pas une certitude", répond l'homme.
- "Avec le fil des années, ça devient une certitude..."
A cette première incompréhension vient s'ajouter une suspision : les agriculteurs, désabusés par les dégâts, voient désormais s'approcher le risque de la peste porcine africaine, véhiculée par le sanglier. Cela conforte leur sentiment que les chasseurs n'abattent pas assez de gibier. Ils les rendent responsables du fort taux de fécondité, à l'origine de la surpopulation des gros gibiers auquel s'ajoute le risque d'épidémie.Nous sommes la seule corporation à tout payer nous-mêmes. On doit assumer ces dettes et le monde de la chasse est exemplaire de ce côté-là : j'ai payé 1.900.000 euros de dégâts pour l'année passée sur mes propres fonds.
- Michel Thomas, président de la fédération départementale des chasseurs de la Meuse.
Les agriculteurs dénoncent la pratique de l'agrainage de dissuasion. Il s'agit pour les chasseurs, de semer des grains, en petites quantités au coeur des forêts pour, à la fois éviter que les gibiers n'aillent les chercher dans les champs, et les maintenir au coeur des forêts.
Sauf que ce système de dissuasion est parfois détourné pour nourrir plus et mieux les sangliers. Quand on sait que l'alimentation et le taux de fécondité sont liés, on comprend mieux que certains accusent les chasseurs de nourrissage.
Mais, continue l'ingénieur "la chasse n'est pas qu'une affaire de passion, c'est aussi une affaire de gros sous". Le risque est de passer de l'agrainage de dissuasion au nourrissage dans le but d'abattre le plus grand nombre de sangliers, et de satisfaire les chasseurs qui paient parfois cher leur droit de chasse.Si les animaux devaient compter sur les seules ressources de la forêt, ils s'adapteraient aux cycles de la forêt. Avec le nourrissage, il n'y a plus rien de naturel.
- Jean-Claude Génot, ingénieur écologue pour le parc naturel régional des Vosges du Nord.
Il y a encore quelques irréductibles qui ne voient que le tableau de chasse : ils ont payé pour tirer, il faut qu'il y ait du résultat.
- Thierry Tournebize, directeur adjoint du parc naturel régional de la Forêt d'Orient.
3 - Loup y es-tu ?
Indemnisations, clôtures, agrainage de dissuasion, ce ne sont pas les pistes de réflexion qui manquent pour lutter contre la surpopulation des sangliers. Et si la solution venait de la nature elle-même ? Et si le loup venait au secours de l'agriculteur ? En Italie, où le loup n'a jamais disparu, la part de sanglier dans le régime alimentaire du loup est de 49 %. En France, où le loup réapparaît, elle n'est que de 24 %, car l'animal trouve plus facile de s'attaquer à des proies domestiques.C'est en rétablissant les relations naturelles entre les espèces que l'on arrivera à retrouver un équilibre au sein des écosystèmes. Les questions pro ou anti loups n'auront plus lieu d'être car on atteindra un équilibre.
- Arnaud Hurstel, de l'observatoire des carnivores sauvages.
Les solutions existent en laissant tout simplement faire la nature, ou en faisant comme en Suisse, où la chasse n'est pas un loisir, mais une mission confiée depuis 1994 à des professionnels, le retour à l'équilibre peut être atteint. Dans tous les cas, la solution viendra de l'homme comme le problème est venu de lui.
L'exemple de la réintroduction du loup dans le parc de Yellowstone
L'ingénieur écologue Jean-Claude Génot s'appuie sur l'exemple de la réintroduction du loup dans le parc naturel de Yellowstone aux Etats-Unis pour expliquer le ré-équilibre naturel qui peut s'instaurer dans les forêts françaises grâce au retour du canidé.Dans ce grand parc naturel du nord-ouest américain, la chasse au loup avait fini par provoquer la surpopulation d'herbivores, tels que les wapitis. À leur tour, ces herbivores, par leur alimentation ont perturbé la régénération de la végétation. Celle-ci n'a plus joué son rôle de stabilisateur des sols d'où l'apparition de glissements de terrains et de problèmes liés à l'érosion.
À l'issue d'une vingtaine d'années de négociations, les acteurs locaux ont fini par accepter la réintroduction du loup et 14 loups ont été relâchés en 1995, bientôt rejoints par 17 loups venus du Canada. La première conséquence de cette réintroduction a été la baisse drastique du nombre de wapitis, puis sa stabilisation. Enfin les autres espèces d'animaux du parc ont pu être rééquilibrées : bisons, ours et cervidés coexistent désormais dans le parc.