Près de Pont-à-Mousson en Meurthe-et-Moselle, un centre de formation prépare une trentaine d’étudiantes à un nouveau métier lié au soin par le cheval. L’équicien. Il s’agit de la seule école du genre en Europe.
Le métier d'équicien, oui pas de faute de frappe "équicien", date de 2014. Et il est encore très peu connu. Son nom associe le cheval et le praticien. Le terme équicien a été déposé officiellement à l’INPI. L'unique centre de formation est situé près de Pont-à-Mousson, en Meurthe et Moselle.
Ne dites surtout pas à la créatrice de cette certification professionnelle reconnue par l’Etat français, qu’il s’agit en gros d’équithérapie ! « Nous ne soignons personne, nous ne dépendons pas du ministère de la Santé, précise Isabelle Claude, passionnée d’éducation et d’équitation, fondatrice du centre équit'aide.
On travaille sur la relation. Pour nous, le cheval est un médiateur. L'idée c'est de créer un lien avec lui et les personnes en situation de handicap qui viennent chez nous ».
L'équicien considère la personne dans son intégralité, comme sujet et ne la réduit pas à sa pathologie : il doit partir de ce que sait faire la personne et non pas de ses incapacités.
Présidente de la fédération handi cheval, Isabelle Claude a rédigé plusieurs ouvrages de référence sur la relation entre l'Homme et le cheval. Dont "Le Cheval miroir" (édition Camaïs) et "Le Cheval médiateur" (éditions Belin). Elle donnera plusieurs conférences sur l'équicie lors du prochain salon du cheval à Villepinte à partir du 23 novembre.
"On travaille sur le ressenti"
La spécialité de cette association baptisée Equit’aide handi cheval, basée à Lixières en Lorraine, est non seulement de former mais aussi d’accueillir. Ce matin là, un groupe de jeune enfants déficients visuels est en pleine séance de travail. Accompagnés par des équiciens formés ou en devenir, les enfants entament avec le cheval une relation de proximité. Sans le voir, ils sentent, touchent l’animal, participent aux soins.
Sandra est éducatrice spécialisée à Jarville près de Nancy. Elle accompagne dans ce centre les enfants dont elle s’occupe, depuis plus de 16 ans. Et elle a pu observer des évolutions majeures dans leur comportement suite à ces ateliers.
"On ne vise pas le fait de les faire monter à cheval. Mais on travaille sur le ressenti, les dénivelés des sols, la posture.
Ce qui m’a frappé c’est que j’ai vu ici des enfants qui ne parlaient pas, prononcer leurs premiers mots.
"Le cheval ça déclenche des choses en eux".
Co-fondateur avec Isabelle Claude de l’association équit’aide, Etienne Albert a participé à la création du diplôme et attache lui aussi une importance particulière aux mots pour décrire cette approche originale.
Pour nous le cheval est un partenaire. Et l’équicien est un observateur averti. Car le cheval réagit dans l’instant.
"Avec ses sens hyper développés, il renvoie une émotion, comme un miroir. Et comme tout partenaire on s’attache à leur bien être. Les personnes en situation de handicap qui sont accueillies chez nous sont stimulées par cette relation", résume Etienne Albert.
Alan, grand gaillard souriant de 16 ans, en jogging-basket-bonnet, est accueilli à l’institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique de Jarville. Il se rend au centre Equit’aide deux jours par semaine depuis un an. « Avant j’avais la bougeotte, avec le cheval, ça m’a permis de me poser. Je ne savais pas qu’ils étaient si sensibles, confie-t-il. J’arrive maintenant à voir comment il se sent avec des détails".
Après l’atelier pratique, vient le « temps de reformulation ». Une séance de 30 minutes autour d’une table. Pendant laquelle les accompagnants professionnels et les équiciens, 11 en tout lors de notre rencontre, dressent le bilan du jour. En compagnie des enfants en situation de handicap. « Tu as touché le cheval, tu as réussi à te mettre en appui, bravo, félicite l’équicienne. Tu as fait corps avec lui, vous avez même respiré au même rythme que Jerry (NDLR : le cheval) ».
Une approche différente
Autiste et déficient visuel, Nathan (prénom modifié), casquette vissée sur la tête, exprime à sa manière le plaisir qu’il a eu pendant cette séance d’équitation pas comme les autres. C’est d’abord le contact avec le cheval qui est privilégié. L’animal est observé de près. « Ils sont attentifs à la personne qu’ils ont sur leur dos ».
Au même moment dans la salle de cours du bâtiment administratif, à quelques mètres du manège et des box, la promotion des étudiantes de première année est en plein travail. Essentiellement des filles, une quinzaine, qui sortent du bac, avec comme obligation de posséder un certain niveau d’équitation. Originaires de la région Grand Est et d’ailleurs. Elles ont choisi cette formation pour allier leur passion pour le cheval avec le secteur social. L'admission s'effectue sur entretien avec une épreuve écrite de 3 heures.
Ici on place la personne aidée, l’aidant et le cheval sur le même niveau, explique Lena, de Nancy. C’est ça qui me plaît.
« Le cheval apporte beaucoup, je ne voulais pas travailler dans le milieu classique de l’équitation, où l’argent prend trop de place", ajoute Berengère originaire de la Sarthe. « Une vraie prise en compte de la personne, avec une dimension sociale et du respect pour le cheval, voilà ce que je cherchais et ce que j’ai trouvé, renchérit Jeanne. Ici le cheval n’est ni un objet ni une personne, c’est un animal et on le traite comme tel, avec soin mais sans le personnifier, ni lui demander de jouer un rôle médical ou humain».
Leur formation, axée sur la théorie et de nombreux cas pratiques en troisième année, va durer trois ans. Ces équiciennes pourront ensuite ouvrir une structure et mettre leur formation au service de ceux qui comme elles, envisagent le cheval comme un médiateur.