Insultes, rejet, mais aussi difficultés administratives ou dans l’emploi: à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre l’homophobie et la transphobie ce 17 mai, nous avons demandé à des personnes transgenres quelles formes cette discrimination prenait dans leur quotidien.
"On doit être respecté, tout simplement." Il y a deux ans maintenant, Eden a annoncé à ses amis, à sa famille, son souhait de commencer une hormonothérapie et de se faire appeler "il". Une expérience difficile pour le jeune Alsacien, aujourd’hui âgé de 27 ans, qui a dû se confronter à la réaction de certains de ses proches. "Pour eux, on sera jamais un homme, constate-t-il. On n'entre plus dans les cases de la binarité donc il y a aussi une forme d'inquiétude, et des réflexions blessantes qui sont assez difficile à encaisser."
"C'est très, très dur pour tout ce qui est famille, pour presque tout le monde", renchérit Alice, qui a désiré que son prénom soit changé pour préserver son anonymat. Entre deux trains, nous rencontrons cette membre du collectif STS dans un café de Strasbourg, la valise encore au bras. "Pareil, dans mon cas, j'ai perdu des membres de ma famille, poursuit-elle. C'est une rupture. […] Et en plus, par la suite, on se fait accuser. On te dit que c'est ta faute, que c'est toi qui es le problème. C'est vraiment le monde à l'envers."
Insécurité sur la voie publique
Une première forme de rejet qui intervient très tôt dans le parcours de personnes transgenres, au moment où, souligne Eden, "c’est tous [leurs] repères qui sont complètement chamboulés, tout s’effondre". Et qui ouvre la voie aux actes de discrimination qui, selon l’estimation donnée par l’étude menée en 2014 par le comité IDAHO et le think tank République et diversité, ont touché 60 à 85% des personnes transgenres interrogées (281 au total).Les agressions, telles que celle survenue place de la République à Paris le 31 mars 2019, en sont peut-être la part la plus médiatisée. Les chiffres du ministère de l'Intérieur, rendus publics le 14 mai, incluent les violences transphobes dans la catégorie des "infractions "anti-LGBT"", en hausse de 34,3% en 2018. Si elle n’a pas vécu elle-même d’agression, Alice reconnaît ne se sentir "absolument pas" en sécurité sur la voie publique. "Il y a eu des reportages, ces deux, trois dernières années, sur le harcèlement dans la rue, souligne-t-elle. Tu multiplies ça par cent, et ça, c'est ce que vivent les personnes qui sont considérées hors-norme par rapport au sexe ou au genre. Parce que ça va d'un petit commentaire, d'un jeune qui rigole, ce qui n'est déjà pas très agréable, à des insultes ouvertes et des bandes où tu as vraiment peur."
Comme ce jour où elle s’est fait invectiver sur son parcours de jogging, ce qui l’amène aujourd’hui à s’interroger sur le maintien de son trajet habituel. Mais ce vécu peut grandement varier selon la manière dont ils sont identifiés par des inconnus, ce qui "crée un besoin médical" vers la chirurgie, souligne Alice. "Le traitement hormonal m'a quand même donné une apparence physique très masculine, confirme Eden. Pour aller acheter le pain, faire des courses, ça me facilite grandement la vie, c'est vrai, et je me sens mieux. Dès l'instant où je ne suis pas obligé de rentrer dans les détails sur mon identité, sur mes papiers, ça va."
Etat civil: "on s'expose à des propos transphobes"
Car quand l’état civil ne suit pas, faire valoir son identité peut devenir un parcours du combattant. "Ça peut être la santé, ça peut être l'éducation, ça peut être toute formalité, par exemple pour voter, énumère Alice. Ça peut être Pôle Emploi, déjà parce que la recherche d'emploi, tu es grillée d'office. Mais même par rapport à toute institution, comme les assurances, pour tout. Par exemple, mon assureur, quand il m'écrit, il me dit toujours monsieur.""Ça se traduit par des papiers d'identité, de carte vitale, qui ne sont pas à jour. Quand on va à la pharmacie, quand on reçoit un courrier en recommandé, pour des petites choses quotidiennes de la vie… C'est assez compliqué parce que notre apparence ne correspond plus du tout au bout d'un moment aux papiers qu'on a."
Eden
Le jeune homme, qui est accompagné par l'association L'Hêtre à Mulhouse, a entamé les démarches qui lui permettront d’obtenir son changement d’état civil. En attendant, il reconnaît que ces obstacles ordinaires lui donnent "l'impression d'être un petit peu dans une usurpation d’identité".
Si le parcours pour faire reconnaître son identité auprès de l’Etat français a évolué ces dernières années, notamment en 2016, les démarches restent longues. "Ça met beaucoup de temps et en attendant nous, on souffre, plaide-t-il. C'est une souffrance, tous les jours, au quotidien." L’inadéquation de ses papiers le force ainsi à s’expliquer sur sa transidentité, face à des inconnus souvent, ce qu’Eden vit comme une "violation de [son] intimité". "C'est un laps de temps durant lequel on s'expose justement aussi à des propos transphobes, souligne-t-il. On est vraiment en stand-by et c'est super difficile à vivre."
Exclusion dans l'emploi
Un état de fait qui a des conséquences réelles dans les parcours de vie des personnes concernées. "J'ai fait des coming-out dans plusieurs emplois, narre ainsi Alice. Et chaque fois ça a été compliqué. Avec les collègues, dans la plupart des cas, ça s'est très bien passé. Avec la hiérarchie, je pense qu'ils ont essayé d'aménager les choses dans un premier temps. Ils se sont rendus compte que ce n'était pas possible par rapport à leurs idées. Après, ils mettent des objectifs qui sont impossibles à atteindre pour trouver un prétexte." A 50 ans, Alice ne travaille donc plus que dans le cadre de son engagement militant, et ce malgré "un super parcours professionnel".Le premier poste d’Eden, en tant que monteur-ajusteur, a aussi été une expérience douloureuse. En contradiction avec la manière dont il est déjà perçu à l’époque, il a "été présenté à l'équipe en tant que femme". "J'ai malgré tout tenté d'expliquer, mais ça s'est quand même mal passé au final. […] J’ai eu des réflexions du type "Pardon mademoiselle", "Est-ce que tu peux me passer ça, s'il te plaît, miss?" des mains sur les hanches, des choses comme ça." Des gestes et propos qui ont mis fin prématurément à sa collaboration au sein de l'entreprise et qu’il craint de voir se répéter, alors qu’il s’apprête à passer de nouveaux entretiens d’embauche.
Quand on les interroge sur les pistes pour améliorer leur situation, c’est donc la question des papiers qui arrive en tête des réponses. A commencer par la dé-psychiatrisation des démarches de changement d’état civil. Alice, elle, pointe du doigt la mention-même du genre sur les documents d’identité. En attendant, "il y a des choses très, très simples à faire, déjà en termes d'informations publiques et de formation, ajoute-t-elle. Et ça commence dès l'école. Et ce n'est pas de dire que c'est une minorité ou un trouble médical inexplicable, c'est de dire que le sexisme et les stéréotypes de genre pénalisent tout le monde, sauf peut-être une petit minorité de gens très privilégiés."