Epinal : une "erreur" des services de l’État pourrait entraîner la faillite d’un garage spécialisé

Depuis six ans, Virgile Perrin construit des 2CV façon Burton à Corcieux. Il transforme la mythique Citroën en cabriolet, d’après les plans d’une société hollandaise. Mais les services de l’Etat refusent désormais de les homologuer, ce qui risque de provoquer sa faillite.

Ses mains ne tremblent pas, mais son émotion est palpable. Virgile Perrin vient de recevoir sa première convocation devant un tribunal, celui de Carpentras où il devra comparaitre avant la fin de l’année 2020. Un de ses clients, à qui il a vendu une 2CV Burton, se retourne contre lui : faute de carte grise, impossible d’utiliser le véhicule sur route. L’impatient lui réclame le prix de la voiture, et les frais de justice. Au total 35.000 euros.

Je comprends mes clients. Ils ont acheté une voiture, et ils la regardent garée devant chez eux sans pouvoir en profiter, mais je suis de bonne foi 

Virgile Perrin, propriétaire du garage Corcieux Auto Concept

2CV version sportive

L’aventure Burton démarre pour lui il y a six ans, lorsqu’il importe un premier modèle des Pays-Bas. Là-bas, un passionné de la 2CV en transforme à toutes les sauces, mais c’est le modèle Burton qui fait craquer le professionnel. La Citroën à tout faire est métamorphosée en cabriolet deux places, aux allures de sportive des années 20. La motorisation reste la même, le plaisir intact : vitesse de pointe coincée à 80 kilomètres par heure, mais posée au sol la Burton prend des airs de bolide.  "Pour la première, on a dû monter un dossier de trente pages afin de l’homologuer. On nous a demandé quelques modifications, qu’on a faites, et c’était parti" explique le passionné de mécanique.
Son garage reçoit un appel par semaine : des amateurs de toute la France veulent un exemplaire, qu’il importe de Hollande ou construit avec son équipe sur place, à Corcieux. Le châssis et le moteur restent celui d’une 2CV. La carte grise obtenue porte la mention "2CV Burton".

Erreur de la Préfecture

Au fil des ans, 35 véhicules passent ainsi par le garage, tous sont homologués sans problème. Mais au printemps 2019, le système se bloque : la Préfecture à qui il a soumis cinq demandes refuse de délivrer les certificats d’immatriculation. "Sauf pour un véhicule, pourtant identique aux autres, à n’y rien comprendre" fulmine le carrossier. Quatre Burton se retrouvent donc sans cartes grises, déjà vendues et livrées aux clients, qui ne peuvent pas les conduire.

Le Vosgien demande des explications, envoie courriers et mails, obtient un rendez-vous à la Préfecture de son département : "le secrétaire général un peu gêné m’a dit que ses services avaient commis une erreur en homologuant mes Burton, et qu’elles n’auraient jamais dû recevoir de carte grise". Incompréhension totale : si lui a construit 35 voitures, au total en France une centaine de Burton circulent actuellement car deux autres carrossiers se sont lancés dans l’aventure. Il enrage : "cent fois la même erreur, dans plusieurs dizaines de préfectures ? C’est impensable".
Son garage qui compte aujourd’hui huit salariés, qui travaillent indifféremment sur des voitures anciennes comme modernes. Les deux activités se complètent, et pendant le confinement "la restauration nous a bien aidé à tenir le coup, plus personne sur les routes donc on n’avait quasiment plus de boulot, heureusement qu’on avait des chantiers en cours qui nous ont bien occupés" poursuit Virgile.

Dans l'étau

A l’approche de l’hiver l’étau se resserre : il ne peut plus prendre de commandes, et perd une grosse partie de son chiffre d’affaires, autour de 200.000 euros par an. Mais il va surtout devoir certainement rembourser ses clients : "il y en a pour 100.000 euros au bas mot, que nous n’avons plus évidemment. Si on doit rembourser nos clients, je mets la clé sous la porte, et mes huit salariés pointeront au chômage".

Le carrossier plaide la bonne foi, et ses dizaines de dossiers validés par les services de l’Etat. Il comprend ses clients, frustrés de ne pas pouvoir profiter d’une voiture qu’ils ont payée à la commande : "certains sont patients, mais d’autres vont me mettre au tribunal, c’est logique".
Au bout de la route en lacets qui grimpe en direction de Gérardmer depuis Corcieux, Virgile Perrin enfonce l’accélérateur. Le moteur de la 2CV prend 5000 tours/minute, il hurle à la mort.
Calme et déterminé, son conducteur garde la tête froid : "avec ma femme on se bat pour le garage tous les jours depuis six ans. On rend service, on dépanne, on a même remis en route les pompes à essence. On fait parler de Corcieux et des Vosges dans toute l’Europe avec les Burton. Hors de question d’abandonner. J'irai jusqu'au bout".

"Une erreur identifiée"

Joint par téléphone, le secrétaire général de la Préfecture des Vosges, Julien Le Goff, assure que "nous sommes en contact régulier avec Monsieur Perrin, et que nous l’accompagnons dans ses démarches". Le haut fonctionnaire explique également que ses services "sont sensibles à la situation dans laquelle se trouve ce professionnel de l’automobile, mais que la loi doit s’appliquer". Pour lui, s’il y a bien eu une défaillance qui a entrainé la délivrance d’autant de cartes grises jusque-là, "c’est bien à cause une erreur, que nous avons identifiée". Selon nos informations, elle ne vient pas de la Préfecture des Vosges en tant que telle.
Julien Le Goff propose que Virgile Perrin "présente devant Direction régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement (DREAL) un véhicule 2CV Burton dans les quinze jours afin que les services concernés puissent examiner avec lui la possibilité de l’homologuer selon les normes européennes en vigueur".
Interrogé sur cette proposition, le professionnel de l’automobile a réagi promptement : "c’est précisément ce que je demande depuis le début".
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