Un habitant de Saulxures sur Moselotte dans les Vosges retrouve une pierre gravée par des soldats russes employés comme bûcherons dans des compagnies disciplinaires. Un épisode méconnu de la première guerre mondiale.
Accéder à la roche gravée par les travailleurs russes en 1918, cela se mérite. Compter deux heures de marche depuis le centre de Saulxures-sur-Moselotte mais l’effort est récompensé car la balade est magnifique au milieu des sapins géants.
Jacky Villière, le découvreur de la roche et sportif accompli, est aussi notre guide. Le club vosgien n’est pas en reste, ses membres nous font escorte. Chaque sentier ou virage est un régal pour les yeux et les parfums.
Comme tous les habitants de Saulxures-sur-Moselotte, Jacky Villière amoureux de la Russie et dont l’épouse est ukrainienne, avait eu vent de cette histoire de soldats russes vivant et travaillant dans la forêt pendant la première guerre mondiale.
Le massif escarpé qui fait aujourd’hui la joie des randonneurs fût aussi le bagne des travailleurs russes. La mémoire s’estompant avec la disparition des anciens, Jacky se met en tête de retrouver la fameuse roche gravée par les forçats en souvenir de leur passage.
Je savais qu’elle existait. J’ai cherché longtemps sur le chemin des Russes mais ce n’était pas le bon endroit
Jacky Villière
"Le chemin des Russes" lui, est bien connu des Saulxuronnes et Saulxurons. Car ce sont les travailleurs russes de la compagnie 7/8 qui l’on aménagé afin de descendre les bois vers les scieries de la vallée. L’historien déodatien Jean-Claude Fombaron explique : "La compagnie de travailleurs russes 7/8 arrive au col du Morbieux en avril 1918. L’armée a besoin de beaucoup de bois pour l’aménagement des tranchées, la construction des baraquements, les roues de transport etc.." Ces travailleurs militaires font partie des 20.000 soldats du corps expéditionnaire russe envoyés par le Tsar en 1916 pour combattre auprès des français sur le front de Champagne.
A l’annonce de la Révolution de février 1917 et de l’abdication du Tsar, Ils s’organisent en soviets et exigent leur retour en Russie. Craignant la contagion aux troupes françaises, l’Etat-major décide de les retirer du front et de les isoler au camp de la Courtine dans la Creuse.
En septembre 1917, ils sont bombardés pendant trois jours et désarmés. A l’issue de cet épisode tragique et totalement méconnu, les mutins sont regroupés dans des compagnies de travailleurs militaires dans les Vosges et en Franche-Comté afin d’exploiter les bois à destination des nombreuses scieries travaillant pour l’armée.
La compagnie 7/8 vit dans des baraquements forestiers. On lui assigne l’exploitation des bois les plus beaux car les plus anciens donc les plus inaccessibles… Outre le chemin d’exploitation qui porte leur nom, Ils construiront un câble transporteur afin de faciliter l’acheminement des grumes vers la vallée de la Moselotte.
Une affection pour la France
Mais revenons à notre Sherlock Holmes vosgien à la recherche de la mystérieuse pierre… Après avoir patiemment exploré les abords du chemin des Russes, Jacky Villière finit par rencontrer un ancien ouvrier forestier. Celui-ci lui situe précisément l’endroit. La roche est un peu à l’écart, recouverte de lichens et de mousses.
Un nettoyage s’impose, alors apparait la belle inscription : "Bon souvenir des soldats russes. 4 août 1918." D’autres caractères cyrilliques apparaissent mais illisibles. Des signatures ? Jean-Claude Fombaron y voit un témoignage précieux dans sa formulation.
C'est émouvant car malgré la guerre et les vicissitudes qu'ils ont vécu, c'est une façon pour ces hommes déracinés de déclarer leur affection pour la France et sa population locale
Jean-Claude Fombaron, président de la Société Philomatique Vosgienne
Car même isolés dans la montagne, les Russes avaient des bons contacts avec les habitants. Une population vivant dans une région difficile, au climat rude et habituée pour sa subsistance aux travaux difficiles. Elle apprécie le courage et la dureté à l'ouvrage de ces travailleurs condamnés aux travaux forcés.
Après la démobilisation à la fin de l'année 1919, les travailleurs russes vont être rapatriés dans leur patrie d'origine en proie à la guerre civile. La majorité d'entre-eux demanderont à être débarqué dans un port "rouge". Quelques-uns choisirons de rester en France. Jean- Claude Fombaron en a recensé quatre qui feront souche à Saulxures-sur-Moselotte : Alexandre Baloukine qui sera employé de scierie puis imprimeur, Andreï Pomenko, mécanicien ; Grigory Loukachenko employé à l’hospice et Basile Chénine qui exercera la profession de chauffeur.