"Yiddish" : trois raisons de revoir le documentaire de Nurith Aviv

Qu'est-ce qu'une langue évoque pour vous? La réalisatrice Nurith Aviv s'est posée cette question à propos du yiddish. Et l'a amené à des rencontres qui lui ont ouvert les yeux et les oreilles sur un monde insoupconné de poésie et d'ouverture culturelle. "Yiddish" : à revoir ci-dessous.

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Il s'agit de bien plus qu'une question de linguistique. Qu'est-ce qu'une langue évoque pour ceux qui la parlent, ses locuteurs, et pour ceux qui ne la parlent pas, mais aussi pour les auteurs, les poètes? Une musicalité? De l'affectif? Un symbole? Peut-être un petit peu de tout ça.

Au-delà de ses propres a priori, la réalisatrice Nurith Aviv a cherché à rencontrer le yiddish autrement, à travers les témoignages de six jeunes gens, juifs ou pas, installés dans divers pays. Six jeunes chercheurs, journalistes ou enseignants, qui ont tous en commun un amour particulier pour la poésie yiddish de l'entre-deux-guerres. 

Voici trois bonnes raisons de revoir Yiddish, le documentaire de Nurith Aviv, diffusé lundi 6 avril, à 23h00 sur France 3 Alsace, F3 Champagne-Ardenne et F3 Lorraine.
 


1. Découvrir une langue mal-aimée

C'est un constat ancré chez toute une génération de jeunes juifs israëliens : le yiddish reste la langue assimilée, liée au contexte historique de la Shoah gardant ainsi un caractère presque inquiétant. Elle pâtit d'une vision négative, véhiculée par la société ashkénaze de Berlin du début du XXe siècle, qui consistait à voir en l'usage du yiddish un frein à l'assimilation des Juifs dans la société allemande.  Un manque de prestige attribué au yiddish, comme à non nombre de langues vernaculaires.

Il respirait tout ce qui était mauvais, la diaspora, la faiblesse, la féminité [!]. Alors que nous voulions construire quelque chose de nouveau, de fort, de militaire, de viril.
- Dory Manor, journaliste, Tel Aviv

Le yiddish sème aussi le trouble car c'est une langue germanique, qui emprunte au russe, au polonais, à l'hébreu et aux langues slaves, mais qui s'écrit en caractères hébraïques. De quoi brouiller les pistes. De quoi s'autoriser à le qualifier de jargon, de "confusion de langues", selon les termes de Tal Hever-Chybowski, le père des Lumières juives ou Haskala, et de le vouer au mépris d'une société moderne qui se tourne vers l'avenir. 

C'est encore parfois palpable,  au cours des témoignages des jeunes gens rencontrés par la réalisatrice. Ainsi,Tal Hever-Chybowski, lorsqu'il évoque l'accent yiddish de sa grand-mère lorsqu'elle parlait hébreu, ne peut s'empêcher d'esquisser une petit geste de la tête et de la main qui traduit le dédain qu'il ressentait alors en l'écoutant.


2. Découvrir une autre dimension de l'amour

C'est sans compter l'esprit de résistance et de survie d'une langue. A ceux qui l'entendent et la partagent en famille, elle a le goût de l'amour. Ainsi le même Tal Heyer-Chybowski, quand il choisit d'apprendre le yiddish se met alors à échanger avec sa grand-mère, dans sa langue maternelle à elle. Et leurs rapports s'en trouvent totalement modifiés. Cette langue devient celle du plaisir partagé, de l'échange intergénérationnel, de l'affectif le plus profond.

Ou encore avec l'histoire de Valentina Fedchenko, jeune femme russe, qui a rencontré son futur mari, Arnaud, un Français, lors d'un stage d'été d'apprentissage du yiddish. La première langue de leur amour fut le yiddish.
Enfin, c'est pour Dory Manor que le choc culturel est le plus grand. Après avoir trouvé la langue yiddish inquiétante lors de son enfance, après l'avoir méprisée comme beaucoup de jeunes de sa génération, il la découvre lors de ses études universitaires et rencontre un monde inconnu et merveilleux. Une langue de culture cosmopolite et plurilingue, une langue qui "chaparde" aux autres langues. La langue passe du jargon confus à l'ouverture multiculturelle.

C'était une option juive différente, séculière mais cosmopolite, séculière mais pas nationaliste, séculière mais pas territorialiste.
- Dory Manor, journaliste et éditeur


3. Découvrir une richesse poétique

C'est ainsi que les six témoins du documentaire, découvrent, partagent et consacrent leur temps de recherche à la poésie yiddish. La poésie de l'entre-deux-guerres, particulièrement active à Vilnius en Lituanie, mais plus largement dans toute l'Europe jusque dans la diaspora new-yorkaise.

Une poésie vivante, incarnée par d'autres jeunes gens, qui expriment leurs émotions : le spleen, la recherche de la liberté, la sensualité, dans une langue qui véhicule des idées de fraternité et d'universalité. Une poésie qui rapproche les générations et vient combler un oubli culturel, un a priori datant des écrits de Kafka qui ne voyait dans cette langue "sans grammaire" (sic) aucune possibilité de voir naître de grands écrivains.

Et ces six témoins de déclamer avec ferveur les vers de leur poète favori, comme pour prouver au grand homme qu'il avait tort.
De la forêt
Tout est précieux pour mon oeil en sa course
tout est cher, essentiel pour ma stance :
les herbes, les arbres, la terre, une source, 
et du sommeil la lointaine nuance.
Et dans tout je rencontre un éclat
de l'infini.
                         Avrom Sutzkever
 
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