RC Lens : même avec 15 millions, Martel reste à la merci de Mammadov

Dans une interview à paraître ce mercredi dans France Football, Gervais Martel dit disposer de 15 millions d'euros prêts à être injectés dans les caisses du RC Lens la saison prochaine. Mais une fois encore, sans l'aval d'Hafiz Mammadov, l'actuel actionnaire majoritaire, rien ne sera possible. 

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A deux semaines de son grand oral à Paris, devant la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), Gervais Martel tente une nouvelle fois de rassurer les supporters lensois dans une interview accordée à France Football (à paraître ce mercredi). Le président du RCL assure notamment qu'il disposerait de "15 millions d'euros en compte courant bloqué" via sa société GIM2, actionnaire minoritaire de RCL Holding, la structure qu'il a créée en 2013 avec le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov pour racheter les Sang et Or et qui possède aujourd'hui le club. Cette somme correspondrait aux besoins du RC Lens pour la prochaine saison de Ligue 2. "Si j'en parle, c'est que je l'ai trouvé cet argent", déclare Gervais Martel dans les colonnes de l'hebdomadaire. "J'ai trouvé des gens à l'extérieur qui me connaissent, qui apprécient le RC Lens et ont conscience que c'est un club extraordinaire. Peut-être entreront-ils un jour dans le capital, ou pas. On verra ça plus tard...". Il évoque aussi un "partenaire issu d'un pays européen beaucoup plus proche de la France", qui aurait "pignon sur rue et les reins solides", mais dont il ne souhaite pas encore dévoiler l'identité. "Ce qui est important, c'est que j'apporte la garantie à la DNCG que j'ai bien 15 millions d'euros bloqués sur un compte pour assurer la survie du club. Et je vais les amener ces 15 millions !"

Mammadov, obstacle juridique

Seul souci - et de taille - Gervais Martel et ses nouveaux partenaires ne pourront pas injecter cet argent sans l'aval d'Hafiz Mammadov, l'actuel actionnaire majoritaire du club. Le président lensois le reconnaît d'ailleurs dans son interview à France Football. "Soit il accepte d'être dilué par rapport à un nouvel entrant dans le capital du club, soit il accepte de céder ses parts parce qu'il ne peut pas tenir ses engagements. On en est là aujourd'hui".

Pour comprendre l'enjeu, il faut remonter au 27 juin 2013. Ce jour-là, Gervais Martel dépose au greffe du tribunal de commerce de Paris les statuts d'une nouvelle société, sise avenue Kleber dans le 16e arrondissement de la capitale : RCL Holding, nouvel acquéreur à 99% du Racing Club de Lens. C'est Martel qui apporte, via sa société GIM2, le capital de départ qui s'élève à seulement... 1000 euros. Quelques jours plus tard, le 6 juillet, RCL Holding procède à une augmentation de capital très conséquente : un nouvel actionnaire, le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov, fait son entrée et injecte par ce biais 12 millions d'euros. Aujourd'hui encore, le conglomérat de l'homme d'affaires azerbaïdjanais détient 99.99% des actions et GIM2 seulement 0.01%.


Les statuts de RCL Holding accordent cependant un partage des pouvoirs plus équilibré entre les deux associés. L'entreprise est une Société par Actions Simplifiée (SAS), une forme juridique souvent choisie par des jeunes "start-up". Un entrepreneur peu fortuné mais avec des idées peut ainsi être accompagné financièrement dans son projet par un gros actionnaire sans prendre le risque d'être dépossédé de son "bébé". Lorsqu'il crée RCL Holding en juin 2013, Gervais Martel divise son apport personnel de 1000 euros en deux types d'actions : 500 "ADP1" et 500 "ADP2". Quand Mammadov fait son entrée il acquiert, lui, 12 millions d'actions "ADP2". Or les articles 10.2 et 10.3 des statuts de RCL Holding stipulent que la totalité des "ADP1" donnent 40% des voix à leurs détenteurs, la totalité des "ADP2" 60%. Grâce à seulement 500 euros d'actions "ADP1" dont il est l'unique titulaire, GIM2 (Gervais Martel) détient ainsi 40% au conseil d'administration. Et mieux encore, il dispose d'une minorité de blocage sur bon nombre de décisions importantes, comme le détaille l'article 19 des statuts. Ainsi, aucun des deux associés ne peut décider seul, unilatéralement, d'"une augmentation de capital", ni de "toute fusion, scission, apport, dissolution de la Société". Ces statuts lient totalement Gervais Martel à Hafiz Mammadov, et réciproquement...
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Aujourd'hui, pour verser 15 millions d'euros au club, Gervais Martel doit faire transiter cet argent par RCL Holding qui détient la SASP Racing Club de Lens. Comme le rappelait récemment Gilles Deshayes, le directeur financier des Sang et Or, dans une interview à But! Lens, "seul l’actionnaire peut verser sur les comptes courants." Pour y parvenir, il faudrait donc que RCL Holding décide d'une augmentation de capital au profit de GIM2, l'actionnaire minoritaire, ou que le Baghlan Group rétrocède à celui-ci tout ou partie de ses parts. Car pour l'instant, la société de Gervais Martel ne possède pas assez d'actions pour effectuer un versement en compte courant dans RCL Holding. Il faut en effet disposer d'au moins de 5% du capital social, dans le cas d'une Société par Actions Simplifiée (SAS). Or GIM2 n'en possède que 0.01%... ce qui, juridiquement, condamne Gervais Martel à l'impuissance. A moins que Mammadov accepte de diluer ou de céder ses parts.

Jusqu'ici Martel n'a pas convaincu Mammadov

Dans son interview à France Football, Gervais Martel estime qu'il parviendra à convaincre la DNCG qu'il fait "en sorte que M. Mammadov accepte une cession d'un certain nombre de ses parts dans le capital ou même une cession totale". Mais problème là encore : le président lensois a déjà entonné ce refrain en décembre dernier devant cette même instance. Gervais Martel avait assuré à la DNCG qu'un changement d'actionnaire allait intervenir au 1er janvier 2015 : un certain Anar Mammadov (sans lien de parenté), fils du ministre des transports azerbaïdjanais, devait reprendre les parts d'Hafiz Mammadov si ce dernier ne parvenait pas à lui rembourser une avance de 2.5 millions d'euros. "Ce ne sera pas un one-shot, ça s'inscrit dans la durée car il faut assurer la pérennité du club", avait affirmé le président lensois. Finalement, rien ne s'est passé. Hafiz Mammadov avait nié avoir signé un quelconque accord en ce sens et même crié à la falsification de signature via un site internet azéri. "Il y a eu une possibilité qu'un autre Mammadov se substitue au premier", confirme Gervais Martel dans son interview à France Football. "Il a bien honoré une échéance en avançant de l'argent à Baghlan Group. C'était un bon deal qui permettait à Hafiz de revenir par la suite. Mais cela n'a pas dû coller entre eux. Je ne suis pas non plus caché sous les bureaux pour savoir ce qui se trame là-bas".


Après l'imbroglio Anar/Hafiz, le patron des Sang et Or avait de nouveau assuré fin février à La Voix du Nord qu'il avait convaincu Mammadov de "rendre ses parts". "Hafiz nous a dit qu’il ne voulait pas quitter le club, qu’il voulait l’aider à s’en sortir, mais on voit bien pour l’instant qu’il ne peut pas le faire. (...) Aujourd’hui, ce qu’il nous a dit, c’est qu’il est quelqu’un d’honnête, et que si vraiment il voyait qu’il ne pouvait toujours pas (payer) à la mi-mars, il rendrait ses parts. Parce que s’il ne verse rien, et qu’il ne rend pas les parts, on est morts. C’est pour ça qu’on est allé lui présenter ça. Notre proposition ne l’a pas fait sauter de joie (...). ll rend les parts à moi-même et ensuite, à moi de trouver des solutions avec nos avocats d’affaire pour que d’autres personnes rentrent dans le capital". "La porte ne peut pas s'entrouvrir à partir du moment où un actionnaire a 100%", expliquait-il encore une fois, début mars, à L'Equipe. "S'il n'a pas les solutions, il ne va pas nous emmener tous au cimetière. Il a été le sauveur du club mais on ne peut pas vivre sur le passé. Je ne vois pas son intérêt à s'accrocher. (...) Il a tout perdu de toute façon. Si le club est cédé, ce sera pour 1 euro symbolique. Il doit comprendre qu'on est au bord du précipice et qu'on doit s'en sortir. Avec l'image qu'il a depuis six mois, c'est un moyen pour lui de dire : désolé je n'ai pas pu, maintenant je sors. C'est l'intérêt général." Visiblement Hafiz Mammadov n'a pas le même sens de l'intérêt général. Mars est passé et rien n'a bougé.

Cela fait donc des mois que Gervais Martel tente de convaincre Hafiz Mammadov de lâcher prise. En vain. Même les soutiens appuyés du gouvernement français et de l'Etat azerbaïdjanais n'ont pas permis de faire plier l'homme d'affaires. "Il reste persuadé qu'il pourrait revenir un jour", répète encore aujourd'hui le président lensois dans son interview à France Football. Difficile dès lors de convaincre la DNCG d'un départ imminent du patron du Baghlan Group...

Impasse juridique

Il y a deux semaines, le journal L'Equipe évoquait "les relations distendues entre Gervais Martel et son actionnaire principal". Le quotidien sportif parlait même d'une "stratégie de pourrissement" menée par Hafiz Mammadov pour asphyxier le club et provoquer le départ de Martel, quitte à risquer le dépôt de bilan. Lens ne serait pas non plus la priorité de l'homme d'affaires. Il est vrai que Mammadov semble encore avoir quelques ardoises à honorer dans son pays, notamment pour son autre club de foot, le FC Bakou, dont les salaires, les impôts et les factures n'ont pas été payés pendant plusieurs mois. Son retour récent - et inattendu - à la présidence du conseil de surveillance de la Bank of Azerbaijan - une banque privée qu'il détenait avec sa famille et dont il avait été écarté en mai 2014 - ne nous dit rien de concret sur sa capacité à investir de nouveau au RCL.


Si Hafiz Mammadov continue de rester sourd aux appels de Gervais Martel, quelle solution restera-t-il au président lensois ? "Il continue à dire qu'il va pouvoir payer. Moi, je n'y crois pas", estime-t-il. "On va avancer tranquillement avec nos juristes. Je suis déjà passé à une seconde étape. Si Mammadov ne peut pas faire face à ses engagements, je dois le sortir pour faire perdurer le RC Lens." Ce genre de conflits entre  associés n'est pas rare et de nombreux juristes se sont déjà penchés sur la question. Mais Gervais Martel a un handicap de taille à surmonter : lorsque les statuts de RCL Holding ont été rédigés en 2013, aucune "clause d'exclusion" n'y a été incluse en cas de défaillance ou de conflit entre les actionnaires.  "L’exclusion d’un associé doit impérativement être prévue dans les statuts", explique l'avocat Jean-Baptiste Rozès, dans un article rédigé en septembre dernier pour le site site juridique Village de La Justice. "Sans une clause d’exclusion, un associé ne peut pas être exclu et une situation de blocage peut alors apparaître. (...) L’article 544 du Code civil, selon lequel la propriété est, en effet, le droit de jouir et de disposer des choses de la manière la plus absolue, rend impossible l’exclusion d’un associé si cette dernière n’a pas été prévue par les statuts. (...) Aucun texte ne permet au juge de prononcer l’exclusion judiciaire d’un associé. (...) Dans ces conditions, en l’absence de clause statutaire spécifique, l’inexécution de ses obligations par un associé ne peut conduire qu’à une demande judiciaire de dissolution de la société."

Va-t-on en arriver là ? Si Gervais Martel et ses avocats entreprennent une action en justice contre Hafiz Mammadov pour tenter, malgré tout, de forcer son départ, cela prendra des mois, pour ne pas dire plus. La DNCG, elle, n'attendra pas. "J'ai des leviers de négociation", assure Gervais Martel dans France Football. "Si le club est en Ligue 2, c'est de sa faute. Donc la valeur du club n'est plus la même. Hafiz n'est pas fou. Il a tous les documents en main. Les options sont multiples pour lui. On va trouver un accord. Je n'ai pas eu des heures et des heures de rendez-vous pour ne pas avoir avancé sur des choses précises".  Difficile en tout cas d'imaginer qu'un homme qui a investi une vingtaine de millions d'euros à Lens puisse s'en aller sans aucune contrepartie... 
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