L'avenir du RC Lens : une équation à quatre inconnues

Ce mercredi, le journal L'Equipe estime que le Racing Club de Lens risque le dépôt de bilan dans les mois qui viennent, alors que les Sang et Or doivent bientôt montrer "patte blanche" devant la DNCG, le "gendarme financier" du foot français. Quels scénarios faut-il envisager désormais ?  

Le club risque-t-il le dépôt de bilan ?

C'est ce qu'affirme L'Equipe ce mercredi. Selon le quotidien sportif, le RC Lens aurait besoin de 7 millions d'euros pour payer ses fournisseurs et ses salaires jusqu'au mois de juin. Si cet argent n'arrive pas rapidement, les dirigeants et le commissaire aux comptes des Sang et Or seraient dans l'obligation légale d'informer le tribunal de commerce d'Arras de leurs difficultés financières, sous peine de s'exposer à des poursuites.

Lundi, au micro de France Bleu Nord, Gervais Martel avait pourtant écarté cette éventualité d'un revers de manche, de façon pour le moins virulente. "Vous croyez qu'on ne va pas finir la saison ? Est-ce qu'on a des retards de salaires, des retards de règlement URSSAF ? Si ça continue, je me garde le droit, en fonction de mon passage à la DNCG au mois de donner suite (sur le plan judiciaire NDR) à un certain nombre de choses qui se passent depuis quelques mois."   
"Ce sont des imbecillités", ajoute-t-il ce mercredi dans une interview au Parisien/Aujourd'hui en France. "Il n'y a aucun risque de dépôt de bilan". Rappelons toutefois que Gervais Martel - privé des fonds promis par son actionnaire majoritaire Hafiz Mammadov (4 millions en octobre 2014, 14 millions en janvier 2015) - avait évoqué lui-même ce risque en novembre devant des supporters lensois. "Comme l’a dit Gervais Martel, il y a un danger de dépôt de bilan", avait relayé le ministre des Sports, Patrick Kanner le 28 novembre, devant les journalistes venus assister à une visite du chantier du Stade Bollaert.  

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"Il manque un peu d'argent pour finir la saison, mais je n'ai aucune inquiétude", déclarait encore le président lensois, le 8 janvier, malgré un virement de 2.5 millions d'euros tombés dans les caisses du club mi-décembre. "Mon échéance, c'est le 31 janvier". Mais au 31 janvier, les 14 millions promis par Mammadov n'étaient toujours pas arrivés et Gervais Martel a du vendre Dimitri Cavaré au Stade Rennais dans les dernières heures du mercato d'hiver.  "J'ai juste dû vendre un joueur car, au 31 janvier, l'actionnaire n'avait pas honoré ses engagements et je n'avais pas reçu l'argent prévu", avait-il expliqué au quotidien belge La Dernière Heure. "Ce n'est pas de gaieté de cœur que l'on a vendu Dimitri Cavaré. C'était une question de survie", avait ajouté en conférence de presse, l'entraîneur lensois Antoine Kombouaré.

Pour autant, la vente de Cavaré était-elle suffisante ? Si le besoin de financement est véritablement de 7 millions d'euros d'ici juin, Gervais Martel a la possibilité de vendre encore d'autres joueurs. L'hiver dernier, Jean-Philippe Gbamin, Baptiste Guillaume et Wylan Cyprien intéressaient eux aussi des clubs français et étrangers. Seul souci, le mercato d'été n'ouvre officiellement qu'aux alentours du 10 juin. Ces ventes ne pourront pas être effectives avant le passage du RC Lens devant la DNCG. Rappelons qu'en cas de dépôt de bilan et d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire, "le club est (...) au terme de la saison, rétrogradé dans la division immédiatement inférieure à celle pour laquelle il aurait été sportivement qualifié la saison suivante" selon les réglements du football français (article 103). En clair, si Lens, déjà condamné à la Ligue 2, se retrouvait dans cette situation, cela signifierait une rétrogradation en National (3e division) minimum. 

Que va dire la DNCG ?  

Le RC Lens a rendez-vous le 26 mai prochain à Paris, à la Direction Nationale du Contrôle de Gestion (DNCG), l'instance de régulation financière du football français. Celle-ci se prononcera à la fois sur les comptes du club sur cette saison mais aussi sur le budget et le financement de la prochaine. Selon Le Parisien/Aujourd'hui en France, l'instance aurait déjà lancé des investigations au sujet du club artésien. La DNCG souhaiterait notamment savoir qui a réellement versé les 1.5 million et les 2.5 millions d'euros tombés dans les caisses du club en octobre et décembre, sachant qu'Hafiz Mammadov était dans l'incapacité de le faire. D'après L'Equipe, l'instance aurait même sollicité l'appui de TRACFIN, le service de renseignement du Ministère des Finances en charge de la lutte contre les circuits financiers clandestins et le blanchiment d'argent. Des doutes pèseraient également sur certains documents fournis par le RC Lens à la DNCG.

Des soupçons qui ont fait bondir Gervais Martel, lundi, dans son interview à France Bleu Nord. "Ça me rend fou furieux", s'est-il écrié. "Je deviens faussaire à 60 balais ! Je ne sais pas où on se trouve. Je vais donner toutes les réponses s’ils me demandent, à la DNCG, de nous expliquer. Avec nos avocats, avec les gens qui ont participé aux réunions, on donnera toutes les réponses. Ce n’est pas du 100%, mais du 10 000% par rapport aux documents qui ont été donnés". Le 17 décembre dernier, après un passage devant la DNCG, Gervais Martel avait évoqué un possible changement d'actionnaire. Un accord, présenté à l'instance, indiquait qu'Hafiz Mammadov cèderait ses parts à un autre homme d'affaires azerbaïdjanais, Anar Mammadov (sans lien de parenté), s'il ne parvenait pas à remplir ses engagements financiers à l'égard des Sang et Or. Mais quelques jours plus tard, l'actionnaire majoritaire des Sang et Or contre-attaquait sur le site Haqqin.az, criant à la falsification de signature. Un coup de gueule relayé à l'époque par La Voix du Nord et face auquel Gervais Martel s'était contenté de botter en touche. "C'est un problème entre Azéris. Mammadov, il a envoyé des virements qui ne sont jamais arrivés, Maintenant, la signature elle est pas bonne. Pour moi, ça n'a rien à voir avec le RC Lens. Au 31/12, il y aura une décision qui sera prise. Soit il fait face à ce qu'il a promis, soit il ne fait pas face et il y aura un autre actionnaire", avait-il déclaré au micro de Canal +, sans sourciller.



Aujourd'hui, quatre mois et demi plus tard,  Gervais Martel remet en cause le fait même qu'Hafiz Mammadov ait pu porter de telles accusations . "Je n’apprécie pas du tout ce qui peut être dit, répété, en plus venant d’un soi-disant site azéri où Hafiz Mammadov aurait dit ça", a-t-il expliqué lundi à France Bleu Nord. Pour autant, ce changement d'actionnaire que Gervais Martel avait annoncé en décembre comme certain ne s'est jamais concrétisé... "L’actionnaire est Hafiz Mammadov et il compte bien le rester", déclarera-t-il le 16 janvier après un nouveau passage devant la DNCG. Un revirement à 180°...  

A quelques semaines de son nouvel oral, Gervais Martel préfère jouer désormais la carte de la victimisation, quitte à s'en prendre frontalement à l'instance qui statuera sur le sort du club. "Je me demande aujourd’hui s’il n’y a pas un acharnement sur le club. Le recrutement refusé en janvier, je trouve ça invraisemblable. Les notions de dépôt de bilan annoncées au mois de septembre, je trouve ça invraisemblable." Une référence aux propos tenus en début de saison par  Richard Olivier, le président de la DNCG. "Lens ira-t-il au bout de la saison ? Je ne le crois pas, malheureusement. Les faits nous ont toujours donné raison", avait déclaré ce dernier au journal L'Equipe. "Nous faisons simplement un contrôle antidopage financier, en s'assurant que les clubs n'engagent pas plus de dépenses qu'ils ne peuvent en assumer...Nous protégeons les championnats pas les clubs". Pour réussir son grand oral le 26 mai devant la DNCG, Gervais Martel devra donc donner des gages sérieux et fiables sur la capacité du club à financer sa prochaine saison en Ligue 2. Mais au regard des promesses non tenues de ces 12 derniers mois, le "gendarme financier" du foot français a de quoi être très méfiant.

D'autant qu'à l'issue de ses deux dernières saisons en Ligue 2, les comptes de la SASP Racing Club de Lens présentaient d'importants déficits d'exploitation :  -16M d'euros en 2012-2013, -20.7M d'euros en 2013-2014. Ces déficits expriment la différence - hors transferts -  entre ce que l'activité du club rapporte et ce qu'elle coûte. A chaque fois, c'est l'actionnaire majoritaire (Crédit Agricole Nord de France puis Hafiz Mammadov) qui a du boucher les trous. Mammadov est-il de nouveau en mesure aujourd'hui de remettre 10 à 15 millions d'euros dans le club, sommes qui correspondent aux besoins de financement évalués par Gervais Martel ? Le souhaite-t-il ? Là est la question.  

Martel et Mammadov peuvent-ils encore s'entendre ?

Dans l'interview publiée ce mercredi dans Le Parisien, Gervais Martel assure qu'il a rencontré récemment Hafiz Mammadov. "Je n'ai jamais été vraiment pessimiste, même si Mammadov a eu des difficultés. Mais depuis quelques jours, je suis serein. La pérennité du club est assurée. Je peux dire aux supporteurs lensois qu'ils auront une belle équipe en Ligue 2 la saison prochaine. (...) Je n'ai évidemment pas le nom de tous les joueurs qui seront là. Mais (...) je connais le budget dont nous disposerons". L'homme d'affaires azerbaïdjanais va-t-il remettre enfin de l'argent dans le club ? Va-t-il faire entrer ou céder ses parts à de nouveaux actionnaires ? Le président lensois n'en dit pas plus.


De son côté, le journal L'Equipe livre une toute autre version, évoquant "les relations distendues entre Gervais Martel et son actionnaire principal". Selon le quotidien sportif, Hafiz Mammadov n'entendrait ni vendre le club, ni remettre un centime tant que Gervais Martel resterait aux commandes. Lens ne serait pas non plus la priorité de l'homme d'affaires. Il est vrai que Mammadov semble encore avoir quelques ardoises à honorer dans son pays, notamment pour son autre club de foot, le FC Bakou, dont les salaires, les impôts et les factures n'ont pas été payés pendant plusieurs mois. Son retour récent - et inattendu - à la présidence du conseil de surveillance de la Bank of Azerbaijan - une banque privée qu'il détenait avec sa famille et dont il avait été écarté en mai 2014 - ne nous dit rien de plus sur sa capacité actuelle à investir au RCL. L'Equipe parle au contraire d'une "stratégie de pourrissement" qui aurait pour but d'asphyxier le club pour provoquer le départ de Gervais Matel, quitte à risquer le dépôt de bilan.

Il convient de rappeler que Gervais Martel, contrairement à une idée reçue, n'est pas un simple salarié d'Hafiz Mammadov mais un associé à part entière de l'Azerbaïdjanais, au sein de RCL Holding, la société parisienne qui détient le RC Lens. Si Gervais Martel ne possède que 1 000 euros d'actions (0.01% du capital de la holding) contre 12M d'euros pour le Baghlan Group d'Hafiz Mammadov (99.9%), les statuts de cette Société par Actions Simplifiée (SAS) lui donnent 40% des votes au conseil d'administration. L'Azerbaïdjanais a beau disposer de 60% des voix, il ne peut pas prendre un certain nombre de décisions sans l'aval de Gervais Martel. Et réciproquement bien entendu. L'article 19 des statuts (voir document ci-dessous) impose ainsi l'unanimité des associés pour "l'adoption ou la modification de toute clause (...) relative à l'exclusion d'un associé (...)" mais aussi "relative à la composition, nomination et révocation des membres du conseil d'administration". En clair, Hafiz Mammadov ne peut pas écarter Gervais Martel de RCL Holding, ni lui retirer la présidence qui lui a été confiée. De même, le patron du Baghlan Group ne peut décider seul, unilatéralement, d'"une augmentation de capital", ni de "toute fusion, scission, apport, dissolution de la Société".          
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Dans la configuration actuelle donc, Gervais Martel et Hafiz Mammadov sont condamnés à s'entendre. Au risque d'envoyer le Racing Club de Lens dans le mur.

Des solutions de secours sont-elles envisagées ?

La situation des Sang et Or inquiète en tout cas plusieurs personnalités politiques de la région qui semblent prendre très au sérieux ce risque de blocage et de dépôt de bilan. Selon L'Equipe, le président PS du Conseil Régional,  Daniel Percheron - qui a longtemps soutenu Gervais Martel - et le sénateur-maire socialiste d'Orchies, Dominique Bailly, travailleraient à des alternatives, avec un tour de table effectué par des entrepreneurs locaux (à hauteur de 8 millions d'euros) et un projet d'actionnariat populaire, à la manière de ce qui se fait en Espagne, en Allemagne, voire dans certains clubs anglais. Un projet qui se passerait peut-être de Gervais Martel, dont on connaît l'opposition au principe des "socios"...


"A ce stade, il est un peu trop tôt pour communiquer, entre le derby qui arrive et les échéances qui attendent le club", nous a répondu Dominique Bailly qui a récemment contribué à un rapport intitulé "Vers un modèle durable du football professionnel français". "Ce qui est sûr, c'est qu'il y a des gens qui se tiennent prêts. Le Racing Club de Lens dépasse le simple cadre du sport, et il ne peut se résumer à une, deux ou trois personnes." Concernant ce projet d'actionnariat populaire, le sénateur-maire d'Orchies reconnaît s'y intéresser "depuis plusieurs années" et estime que le RC Lens doit "évoluer en terme de gouvernance". "Le RC Lens est une richesse unique que nous avons, avec ce stade rénové qui sera un nouvel écrin. Des "socios" à l'espagnole permettraient de s'appuyer les racines du club et l'engouement qu'il suscite. Ça offrirait aussi un actionnariat plus diversifié".  

Cependant, un tel projet ne semble pas pouvoir être mis en place tant que RCL Holding - la société d'Hafiz Mammadov et Gervais Martel - conserve le club. Il s'agirait plutôt d'un plan de secours en cas de dépôt de bilan. Et de rétrogradation en National...
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