C'est une filière en voie de disparition. La valorisation de la laine de mouton est à l'arrêt. Depuis plusieurs années, les éleveurs n'arrivent plus à vendre la matière et voient leurs stocks gonfler. Témoignages.
En ce mois de juin, les élevages de brebis vivent au rythme des tondeuses. Les moutons sont rasés de près. Emmanuel Fontaine, installé à Barisis-aux-Bois dans l'Aisne depuis 1992, vient tout juste de faire tondre ses 300 animaux : "On le fait pour la santé de l’animal." Un acte obligatoire qui a lieu une fois par an et qui devient de plus en onéreux.
Entre 2,50 et 3 euros la tonte
En moyenne, il faut compter entre 2,50 et 3 euros par animal. À cela, s'ajoutent les repas des équipes de tondeurs et leur frais de transport (les professionnels se faisant de plus en plus rares, certains tondeurs viennent de loin). Pour son cheptel, la facture d'Emmanuel Fontaine avoisine les 1 000 euros. "C'est une perte nette", affirme l'éleveur.
Aujourd'hui, c’est un manque à gagner, ça devient une charge.
Emmanuel Fontaine, éleveur à Barisis-aux-Bois dans l'Aisne
Il y a quelques années, la tonte permettait en effet aux professionnels d'obtenir un revenu complémentaire. "Il y a 10 ans, on vendait le kilo 1 euro. Un animal, c'est environ trois kilos de laine. La vente de la laine payait donc largement la tonte." Désormais, la laine de leurs brebis n'est plus valorisée. "Cette année, elle est partie gratuitement. Je m'en suis débarrassé pour pouvoir récupérer les sacs. Comme j'ai quatre ans de stocks de laine, je n'avais quasiment plus de sacs."
Comme lui, les agriculteurs contactés se disent désabusés. "Ça ne vaut plus rien. C'est travailler pour rien, c’est du gaspillage", nous lance Roland Moitrel, éleveur de l'agneau des prés-salés en Baie de Somme AOP et président de l'association de défense de l'AOP.
Une matière qui se dégrade
"C'est une vraie catastrophe, ça fait mal au cœur", surenchérit Benoit Smessaert, éleveur de brebis à Catigny dans l'Oise. Installé depuis 2015, lui, a réussi à écouler une partie de son stock en février pour un prix "dérisoire" de cinq centimes du kilo. "C'est un produit qui se dégrade dans le temps. Au printemps, j'ai vu qu'il me restait quatre années de laine. Il commençait à y avoir de l’humidité, donc j'ai vendu pour pas cher. Ça fait 15 centimes de la brebis, ce n'est rien. Au salon de l’agriculture, on est quasiment toujours primé sur la qualité de nos laines. Cette année encore, je suis arrivé premier et quand je vends ma laine, ce n'est pas pour ça que je suis plus payé."
La crise du Covid et la concurrence étrangère
La laine est donc devenue, au fur et à mesure du temps, un déchet payant, faute de filière et de marché porteur. "C’est lié au fait que l'industrie lainière s’est éteinte. Le coût du lavage et de la préparation du produit sont aussi trop importants", précise Emmanuel Fontaine, éleveur axonais. La laine brute nécessite des traitements pour la débarrasser des excréments et de la paille. Avant l'épidémie de Covid-19, les toisons partaient en Chine pour y être traitées. Depuis, il semblerait que le marché ait été perdu.
Autre élément qui explique cette non-valorisation : la fibre synthétique d'une part et une concurrence étrangère d'autre part. "On manque de compétitivité. C'est trop cher par rapport à la concurrence qui arrive avec de la meilleure laine. La laine néozélandaise est de meilleure qualité et moins chère", affirme Benoit Smessaert.
La laine bientôt transformée en isolant ?
Mais alors comment se réinventer et relancer une filière ? Plusieurs projets sont en cours comme celui du parc naturel régional des Caps et Marais d'Opale. Il est en train de travailler à l'élaboration d'isolants à base de laine de mouton. "La laine est devenue un déchet et les éleveurs n'ont plus de débouchés. Forts de ce constat, on s’est interrogé pour savoir comment ce déchet pourrait être réemployé. On a eu l'idée d'un matériau isolant", raconte Aurelien Brietz, directeur adjoint du parc naturel.
Deux produits ont été fabriqués : un feutre isolant pouvant être utilisé comme sous-couche pour parquet ou à l'extérieur au pied des plantations et des panneaux pouvant être mis dans les cloisons et combles. La laine est lavée en Belgique puis transformée au Centre européen des textiles innovants à Tourcoing. Le feutre est composé à 100 % de laine de moutons des Hauts-de-France et les panneaux sont, eux, un assemblage de laine, coton recyclé et chanvre.
"On a un produit local qui évite les importations, on limite l’empreinte carbone. Ce produit apporte aussi une rémunération potentielle pour les éleveurs. Le prix est actuellement à l'étude. Ça concourt donc au maintien des prairies et de l’élevage. Enfin, on fait travailler en région la filière textile et bâtiment", promeut Aurelien Brietz.
Une dizaine d'éleveurs de la région des Hauts-de-France est impliquée. Reste désormais à concrétiser le projet en créant une structure adaptée qui permettra la mise sur le marché.