Face à l'urgence de réduire l'utilisation de produits phytosanitaires, des agriculteurs s'engagent à trouver des alternatives. Depuis plus de 15 ans, Louis Lebrun expérimente des méthodes innovantes. Parallèlement, d'autres agriculteurs adoptent des cultures comme le miscanthus, qui ne nécessitent ni pesticides ni arrosage. Grâce à des avancées en génétique et en agronomie, ces initiatives ouvrent la voie à une agriculture plus respectueuse de l'environnement.
Louis Lebrun, polyculteur installé à Herleville dans la Somme, fait partie de ceux qui ont décidé de réduire l’utilisation de produits phytosanitaires sur leurs terres. Depuis plus de 15 ans, il s'efforce de trouver des alternatives aux pesticides conventionnels.
Membre du réseau Dephy, animé par la chambre d'agriculture, Louis Lebrun partage son expérience : "La première année, j’ai réduit de 30 % la dose sur le désherbage des céréales et ça s’est bien passé. La deuxième année, je me suis dit : continuons, faisons un effort. J’ai aussi fait 30 % d’économies la deuxième année. Et cette année-là, l’hiver a été humide, le printemps sec. J’ai donc eu un gros échec de désherbage, que je traine encore aujourd’hui."
Les défis de l'agriculture sans pesticides
Malgré ses efforts, Louis Lebrun se confronte à des défis de taille, notamment la gestion du ray-grass, une mauvaise herbe persistante qui affaiblit ses rendements.
"Il faut gérer le risque. On sait que si on n’emploie pas la matière active recommandée par nos fournisseurs, on prend un risque d’échec ou de moindre efficacité. Donc c’est toujours un dilemme : savoir quelle dose on applique, si on prend la sécurité d’utiliser à la pleine dose ou est-ce qu’on gère nous-même en prenant en compte les conditions météo, l’état de la plante, le vent, l’hydrométrie pour réduire de 20% ou 30 % la dose", détaille-t-il.
L'échec est parfois inévitable, mais Louis Lebrun reste déterminé. Depuis sept ans, il expérimente une parcelle de pommes de terre sans phytosanitaires, avec des méthodes novatrices pour lutter contre le mildiou, une maladie redoutable dans cette culture.
"On applique avec le pulvérisateur une barrière physique qui permet à la feuille de sécher beaucoup plus vite. Si l’eau ne reste pas sur la feuille, le mildiou ne peut pas se développer. On fait une nutrition de plante pour rendre la pomme de terre beaucoup plus forte, beaucoup plus résistante. Un peu comme on prépare un sportif à une compétition, je fais pareil avec mes pommes de terre", explique l’agriculteur.
Louis Lebrun a dû affronter des revers, parfois avec des conséquences sévères. En sept ans d’expérimentation, il compte deux échecs, qui l’ont contraint à revenir de manière ponctuelle aux produits phytosanitaires, et donc de vendre le fruit de sa parcelle en conventionnel, à un prix moins intéressant.
Une alternative écologique : le miscanthus
Dans une ferme à une vingtaine de kilomètres à l'ouest d'Amiens, à Hangest-sur-Somme, Grégoire a opté pour une culture alternative : le miscanthus, une cousine non alimentaire de la canne à sucre. Cette plante, dont le département de la Somme en est le premier producteur, ne nécessite ni arrosage, ni engrais, ni fongicide, insecticide ou herbicide.
"On rentre dans les parcelles une fois par an, il n’y a qu’une seule intervention, le reste de l’année, une fois que c’est planté, c'est parti pour 20 ans, donc finalement, c'est assez facile", se réjouit Grégoire.
Les débouchés sont divers : du paillage horticole, au chauffage domestique en passant par la litière animale ou la rumination.
Cette plante fait l’objet d’une recherche à l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Pour Maryse Hulmel, qui dirige cette recherche, le miscanthus présente un atout environnemental pour ses services écosystémiques : ce sont les services utiles que la plante peut rendre à l’homme au niveau environnemental. "On peut par exemple planter du miscanthus sur des aires d’alimentation de captage, de façon à préserver la qualité de l’eau que l’on va ensuite distribuer aux habitants", explique la chercheuse.
Vers une agriculture plus durable
Les avancées en génétique, agronomie et utilisation des nouvelles technologies ouvrent des perspectives encourageantes pour une agriculture plus durable. Matthieu Catonnet, ingénieur à la Chambre d'agriculture de la Somme, explique : "Pour le moment en termes de résultats bruts, si on prend l’indicateur d’IFT (nldr : indicateur de fréquence de traitements phytosanitaires), on arrive à réduire de 30 à 40 %, la dose, sur les applications hors herbicides."
Il souligne également l'importance de l'agriculture de précision dans l'application des phytosanitaires, notamment grâce à l'imagerie par drone : "c’est un vecteur qui nous permet d’identifier des vivaces par exemple. Avec cette localisation, on peut appliquer le désherbant uniquement sur des zones où on a détecté cette problématique."
Malgré ces avancées, le chemin vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement reste une question complexe. La nouvelle stratégie du plan Ecophyto (repoussé à la suite des manifestations agricoles) prévoit de réduire de 50 % les produits phytosanitaires d'ici à 2030.