Cette villa est un bijou Art déco : "quand on lève les yeux sur la maison, on a l'impression qu'elle est gigantesque"

C'est une centenaire extraordinaire. Nichée dans une petite rue d'une ville de l'Aisne, cette demeure Art déco a été le terrain créatif de grands artistes des années 20. Depuis 2 ans, elle appartient à des particuliers qui ont entrepris de lui rendre tout son lustre d'antan et son histoire.

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C'est un joyau méconnu. Un magnifique bijou Art déco. Une villa que n'importe qui jugerait imposante dans cette petite rue d'une ville de l'Aisne que les propriétaires ne veulent pas ébruiter. Entourée de constructions plus modernes, elle paraît clairement d'un autre temps. Désuète. Surannée même. C'est ce qu'en dirait le passant au regard peu curieux et aiguisé.

Car celui qui s'attarderait sur les détails du portail ouvragé comprendrait très vite qu'il est face à une bâtisse d'exception. Il faut, pour en être sûr, passer la porte.

Fresques monumentales et vitraux d'exception

Dès l'entrée, le visiteur est accueilli par une frise dionysiaque signée Raymond Feuillatte, premier prix de l'école des arts décoratifs de Paris en 1924. Avec lui, les artistes les plus cotés des années 20 ont rivalisé de savoir-faire dans cette villa. La montée d'escalier est, quant à elle, ornée de fresques monumentales de Loÿs Prat, second prix de Rome en 1908.

Une autre curiosité de cette demeure : le large vitrail du salon en forme de bande dessinée. Réalisé par Raymond Lardeur, il raconte en douze vignettes les mésaventures amoureuses d'un paysan. "Ce paysan normand nous présente sa petite amie, on va dire !, raconte Hélène Goujard, la propriétaire des lieux qui nous fait la lecture. Sur l'image suivante, le même paysan nous présente sa femme et on peut constater que ce n'est pas la même. Sur les vignettes suivantes, tout va bien : le paysan et la première jeune dame se font des câlins, des mamours, des bisous. Sauf que cette vignette, on voit le paysan et sa petite amie sous un parasol. Mais un monsieur les a vus et les a dénoncés. Quand le paysan rentre chez lui, sa femme ne l'accueille pas bien. Ce qu'on peut comprendre ! Et on voit le paysan qui a une attitude disons qu'il n'est pas bien fier de sa situation !"

Je me dis 'est-ce que c'est pas too much ? Est-ce qu'on va pouvoir vivre dans cette maison ?'

Hélène Goujard,

propriétaire

Tous deux Parisiens pur jus, Hélène et Philippe décident, suite à la crise du Covid, de quitter la capitale.
Pour ne pas trop s'éloigner de leurs enfants, ils cherchent une maison à deux heures de route maximum. Pendant un an, les visites s'enchaînent, sans succès : il y a toujours quelque chose qui ne convient pas ! Après une énième déception, ils sont prêts à baisser les bras. "Un jour, je me mets devant mon ordinateur et je dis à l'Univers : allez ! Donne-nous la maison de nos rêves ! Et je me connecte au site sur lequel je vais tous les jours et je tombe sur cette maison", se souvient Philippe Goujard.

"Il me la montre et je me dis 'est-ce que c'est pas too much ? Est-ce qu'on va pouvoir vivre dans cette maison ?'  Immédiatement, j'ai dit à Philippe qu'il fallait qu'on visite cette maison pour s'en rendre compte", réplique Hélène.

La maison centenaire d'un marchand de tissu

Le destin, pourrait-on dire. La visite est un coup de foudre. Hélène et Philippe deviennent les sixièmes propriétaires de la villa. Et décident de lui rendre son lustre d'antan.

Car en 100 ans d'existence, la demeure n'a pas été ménagée : il faut retirer les papiers peints qui recouvrent les marbres, décrocher les tableaux posés sur les fresques, colmater les fuites d'eau qui ruinent lentement les décors.

Fasciné par sa nouvelle maison, Philippe entame des recherches sur internet pour reconstituer son histoire, peu connue, même localement. Un véritable travail de détective. "C'est un peu comme une enquête policière. Et en fonction de ce qu'on trouve, on va faire des hypothèses, explique-t-il en ouvrant des photos en noir et blanc sur son ordinateur. Et les gens participent ! C'est ça qui est incroyable ! Il y a des sites historiques, des pages Facebook. Et les gens participent en donnant des informations. C'est vraiment comme une enquête policière dans laquelle on ne cherche pas un meurtrier, mais l'histoire d'une maison."

Quand on est au pied de la grille et qu'on lève les yeux sur la maison, on a l'impression qu'elle est absolument gigantesque.

Hélène Goujard,

propriétaire

Grâce à leurs recherches, Philippe et Hélène découvrent que la maison a été construite en 1923. Pour un marchand de tissus fortuné, qui y investit tous ses dommages de guerre. En pleine reconstruction d'après-guerre, il veut une maison plus grande, plus imposante, plus moderne que celles des autres bourgeois de la ville.

Louis Rey, l'architecte, choisit alors d'utiliser un matériau novateur pour l'époque : les décors de béton, comme ces corbeilles de fruits, sur de la pierre.

"C'est un style assez balnéaire qu'on trouve essentiellement à cette époque du côté de Biarritz où il y a vraiment ce type de maison. Donc, elle est totalement atypique pour notre région où toutes les maisons étaient faites en brique", avoue Hélène.

Rénover à l'identique

Louis Rey a aussi l'idée ingénieuse de surélever la villa. Et de la construire légèrement de biais par rapport à la rue. "Cet effet donne une illusion d'optique : quand on est au pied de la grille et qu'on lève les yeux sur la maison, on a l'impression qu'elle est absolument gigantesque."

Mais la rénovation n'a pas toujours été une mince affaire. Il a fallu parfois un peu de chance ! Casse-tête, par exemple, dans la salle de bains : de part et d'autre d'un vitrail d'Auguste Labouret, celui-là même qui a signé les décors du paquebot Normandie, de petits carreaux de faïence bleue qui ne se fabriquent plus du tout. Impossible de refaire à l'identique.

Jusqu'à ce qu'un carreleur à la retraite retrouve, dans ses stocks, un fond de collection d'époque ! "Il m'a dit : 'il y a 40 petits carrés, c'est pour vous. Cadeau !' C'est exceptionnel ! Ça prouve l'investissement qu'ont les gens dans cette maison depuis qu'on fait travailler les différents artisans. Chacun participe, à sa manière, à sa rénovation", sourit Hélène.

Une cheminée recouverte d'émaux de Venise, ces petits carreaux de verre peints à la feuille d'or. Sur un radiateur, un morceau de marbre vert du Guatemala dont c'est le seul morceau qui reste. Des vitraux à quasiment chaque fenêtre. Après 2 ans de travaux, la villa a retrouvé son âme et toute sa cohérence.

Et dans l'avenir ? Hélène et Philippe souhaitent faire classer les vitraux et les fresques. Car les restaurations vont s'avérer onéreuses. Ils espèrent également ouvrir leurs chambres d'hôtes, aménagées dans les anciens appartements des domestiques.

Et ils ont donné un nom à leur villa. Celui de la patrie mythologique du dieu pan : Arcadia.

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