Depuis plusieurs mois, des voix s'élèvent pour demander la réouverture de cet axe ferroviaire fermé aux voyageurs depuis 2016. S'il dessert un secteur peu peuplé, ses défenseurs croient en son potentiel et y voient un choix d'aménagement du territoire.
Ces derniers mois, les maires de Fère-en-Tardenois, de La Ferté-Milon et de Fismes ont multiplié les adresses au gouvernement et aux conseils régionaux concernés pour réclamer la réouverture de la liaison ferroviaire joignant leurs communes et fermée aux voyageurs depuis 2016. Une démarche soutenue d'ailleurs par une pétition en ligne dont nous n'avons pu joindre l'auteur.
Cet axe de 49 kilomètres permettait jadis de relier directement Reims à Paris. Aujourd'hui, il n'a plus cette fonction de transit et seules ses extrémités sont encore ouvertes aux voyageurs. Le tronçon central qui traverse l'Aisne et dessert un chapelet de bourg ruraux, comme Neuilly-Saint-Front, Oulchy-le-Château ou Fère-en-Tardenois, est lui aujourd'hui inaccessible. "Certes, nous ne sommes pas représentatifs au niveau population, mais nous payons aussi des impôts. On nous supprime déjà tout. On ne va pas se laisser faire ", s'insurge Jean-Paul Roseleux, maire divers droite de Fère-en-Tardenois.
Une ligne pour aménager le territoire
Si l'affluence était faible à la fermeture de la ligne, l'élu pense pourtant que le potentiel de voyageurs était sous-exploité. "Avant, les horaires n'étaient pas du tout adaptés aux demandes. Nous avons notamment une population vieillissante qui a besoin de se rendre à Reims pour des soins. Aujourd'hui tout augmente. Il est curieux que le gouvernement qui prône les déplacements doux ne voie pas l'intérêt de rouvrir une ligne", estime le maire.
Après la fermeture de la ligne aux voyageurs, une première mobilisation des élus locaux avait permis d'obtenir le maintien de la ligne pour les seuls trains de marchandises. Elle dessert en effet plusieurs entreprises importantes à commencer par Voosloh à Fère-en-Tardenois, fabricant justement... d'aiguillages pour les trains. Pour cela, les collectivités ont dû mettre largement la main à la poche. Un plan d'investissement de 30,6 millions sur 3 ans a été monté, porté par le Conseil régional des Hauts-de-France, l'Etat, la Sncf, le département et la communauté d'agglomération de Château-Thierry.
Un plan de rénovation de 30,6 millions d'euros
De fait, depuis 2020, d'importants travaux sur l'infrastructure ont permis de maintenir le trafic pour des trains de 1800 tonnes, l'équivalent de 22 wagons de marchandises, circulant à une vitesse de 60 km/h. "Les travaux permettent d’assurer une pérennité de la ligne pour 15 ans. Ces travaux en cours répondent aux besoins de circulations fret exclusivement et ne permettront pas de faire circuler des trafics voyageurs", précise la communication de SNCF Réseau.
Pour rouvrir aux voyageurs, il faudrait donc d'autres travaux. Toutefois, ce précédent sauvetage encourage aujourd'hui la démarche des élus locaux. "On a réussi à maintenir le fret. Pourquoi on ne le ferait pas pour les voyageurs ? C'est beaucoup d'argent, mais quand on voit les dépenses faites par ailleurs. Il faut répartir", analyse Jean-Paul Roseleux.
De son côté, Jacques Krabal, le député (LREM) de la circonscription, soutien cette volonté. Pour lui, il faut profiter du grand projet de Cité internationale de la langue française en cours de réalisation à Villers-Cotterêts pour favoriser les transports dans le secteur. "Il y a deux dynamiques conjoncturelles : l'essor des transports publics et celle de la Cité de la langue française. Je l'ai encore évoqué lundi lors de la réunion du conseil scientifique de la cité. Nous voulons en profiter pour améliorer la desserte. Avec cette ligne, on arrive gare de l'Est et cela nous relie également à l'autre pôle urbain qu'est Reims".
S'appuyer sur la Cité internationale de la langue française
Pour le député, "c'est réaliste car les collectivités locales ont déjà sauvé la ligne pour le fret. Il n'y a pas beaucoup d'efforts à faire pour rouvrir aux voyageurs". Quitte, selon lui, à ce que les trains circulent à une vitesse limitée. " On peut trouver des solutions innovantes. C'est de l'aménagement du territoire. J'espère qu'en 2022 nous aurons des perspectives pour la réouverture de cette ligne" , envisage Jacques Krabal qui met en avant plusieurs courriers adressés au ministre des transports et demande la tenue d'une grande réunion sur cette question.
De son côté, SNCF réseau explique "avoir pris connaissance des demandes exprimées", mais renvoie la décision aux autorités organisatrices de la mobilité, c'est à dire aux collectivités.
Pour la région Hauts-de-France, Olivier Engrand, conseiller régional (L.R.) délégué à la mobilité dans les territoires vient justement de rencontrer le maire de Fère-en-Tardenois à ce sujet mardi. Pour lui la pertinence d'une réouverture n'est pas évidente. " Avant la fermeture, il y avait 40 usagers par jour. Nous avons décidé d'un plan pour le fret car cela avait une incidence sur les entreprises du secteur et sans cela nous condamnions 300 emplois. Aujourd'hui, il n'y a pas de cohérence à rouvrir aux voyageurs".
"Pas de cohérence à rouvrir aux voyageurs"
Pour l'élu régional, l'enveloppe nécessaire à une réouverture serait de 46 millions d'euros pour 15 ans et de 88 millions pour 30 ans de fonctionnement, sans parler de la remise en cause des investissements déjà réalisés pour le fret. "Il n'y a aucune garantie en termes de fréquentation, ce serait aller trop loin. Il existe une substitution par car. Il y a peut-être plutôt une expérimentation à monter avec des bus à haut niveau de service. Pour un train qui roule, c'est le coût de 10 cars".
Sans parler des travaux importants à financer sur d'autres liaisons et d'une gestion administrative de la ligne morcelée entre trois régions différentes : Grand Est, Hauts-de-France et Ile-de-France. Autant dire qu'une réouverture prochaine est loin d'être actée. Cela n'est toutefois pas impossible. En 1971, la ligne avait déjà connu une première fermeture. Elle avait pourtant été rouverte le 28 mars 1982 suite à un choix politique du nouveau gouvernement de l'époque.