Faut-il maintenir en l'état les commémorations du souvenir ? Le maire d'un village de l'Aisne ose le débat et lance une consultation sur internet

Il y a un mois, le maire de Ressons-le-Long (Aisne) a lancé un questionnaire en ligne sur la page de sa commune. Alors que la fréquentation s'étiole autour des monuments aux morts et que les 80 ans de la Libération et de l'armistice de 1945 approchent, l'élu souhaite dresser l'état des lieux des commémorations avec ses habitants et en tirer des conclusions.

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"J'ai énormément de personnes qui me disent. On ne sait pas trop ce que ça représente. On se dit que c'est dommage que ces cérémonies tombent en désuétude". Nicolas Reberot, maire sans étiquette de Ressons-le-Long, commune d'environ 800 habitants entre Compiègne et Soissons, et vice-président du conseil départemental de l'Aisne, fait un constat que beaucoup partagent : les commémorations du souvenir n'attirent plus les foules, dans sa commune comme ailleurs.

Alors que des dates commémoratives importantes approchent avec le 80ᵉ anniversaire de la Libération et de l'armistice de la Seconde Guerre mondiale, l'élu a lancé il y a un mois une consultation sur internet pour se faire une idée plus précise de l'opinion de ses habitants sur le sujet.

"Nous allons de nouveau entrer dans un cycle mémoriel. Les présences s'étiolent tant en termes de participation que de nombre d'anciens combattants et de porte-drapeaux. C'est s'interroger sur ce que l'on veut comme cérémonies dans 15 ans. Est-ce qu'on veut les maintenir telles qu'on le faisait ou est-ce qu'on leur donne un nouveau sens ? Est-ce qu'on intègre les sites de mémoire dans une scénographie ou dans des circuits. La mémoire, ce n'est pas forcément une fois par an", estime Nicolas Reberot.

Un paradoxe

Après un mois, le maire vient de présenter le bilan de sa consultation à son conseil municipal. Si la représentativité est faible compte tenu d'une faible participation, il en ressort tout de même quelques enseignements.

40 % des sondés ne participent à aucune cérémonie commémorative dans l'année et 32 % à une seule par an. Quant à l'explication que donnent ses administrés : 60 % répondent ne pas venir "par manque de disponibilité", 15 % "par manque d'intérêt". Et c'est là tout le paradoxe, car dans le même temps, 84 % des personnes "jugent utile de les maintenir". Le public y est attaché, mais n'y participent pas. Une difficile équation qui complique la réflexion de Nicolas Reberot.

"Il y a une concurrence de commémorations. Nous essayons de les relayer sur les réseaux sociaux. Ça parle peut-être à ceux qui lisent. Il y a des problématiques de mobilité et de disponibilité pour les anciens. Il faut en faire moins et mobiliser plus", estime le maire. L'élu se questionne quant à l'opportunité de mutualiser les cérémonies de sa commune avec celles des communes voisines.

"À Berny-Rivière, on le fait la veille, plus à date. Je ne sais pas si c'est un tabou. Après, il faut trouver la solution. Faut-il apporter un côté plus ludique ou culturel, comment intéresser la population ? Quand vous avez des enseignants qui ne manquent aucune cérémonie, cela facilite les choses", s'interroge Nicolas Reberot.

"Cela devient critique"

Le constat, Henri Caron, délégué général du Souvenir français dans l'Aisne, le partage et s'en désole. Quant à la démarche de consultation menée à Ressons-le-long. "C'est bien qu'un citoyen, qu'un élu se pose la question", estime le représentant associatif. "Nous, responsables du monde mémoriel, on ne se pose pas la question, mais nous sommes inquiets. Nous avons le sentiment d'un désintérêt continu des gens, et même des anciens, vis-à-vis de la mémoire. Cela devient critique. Je le vois pour l'entretien des tombes des soldats, il n'y a plus d'intérêt."

Henri Caron se demande aussi quelles solutions pourraient remédier à ce problème. "Nos adhérents font le maximum. Il faudrait peut-être plus de communication vers les élus, via les correspondants de défense dans les conseils municipaux, plus de retours de la presse."

Quant à l'hypothèse de la suppression de commémorations, le délégué se montre plus réservé. "Le sujet, c'est la multiplicité des commémorations. Chaque commune veut faire sa cérémonie pour la Libération, mais il y a pourtant des personnes qui y tiennent".

Le débat trouve en tout cas un écho particulier auprès d'André Kaspi. En 2008, à la demande du gouvernement, l'historien avait été chargé de mener une "commission de réflexion sur la modernisation des commémorations publiques". Les jugeant trop nombreuses, son rapport final préconisait notamment de réduire le nombre de dates officielles et de regrouper une partie des hommages le 11 novembre. Force est de constater que ses propositions n'ont pas été suivies de décisions et son auteur le déplore. "J'ai regretté que l'on n'ait pas donné au 11 novembre la dimension que je souhaitais. On ne l'a pas fait. Il y a un cumul excessif", confie André Kaspi.

Cela pose un problème politique

Le sujet est-il trop brûlant pour les décideurs ? C'est une des explications de l'historien. "Cela fait partie des traditions de commémorer. On commémore trop, mais il est difficile pour un politique de dire : le 8 mai, on l'oublie. Cela pose un problème politique. Les politiques continuent à commémorer. Cela leur permet de rassembler. Il y a un côté unanimiste. Cela devient un acte politique. Quand Emmanuel Macron va sur le plateau des Glières, je ne suis pas certain que cela ait du sens pour beaucoup de Français. C'est une nécessité pour les politiques, mais je ne suis certain que cela attire les voix".

Pour l'historien, il conviendrait toujours de réduire le nombre de commémorations nationales. "Il faudrait faire un choix et renforcer les commémorations qu'on conserve et avoir le courage de ne plus commémorer les autres. Il faut choisir, mais c'est très difficile. Est-ce qu'on commémore encore la guerre de 1870 ? On ne le fait pas. On commémore encore la guerre de 14, mais est-ce qu'on commémore la bataille de Verdun ?", s'interroge André Kaspi qui nuance toutefois. "Évidemment dans chaque village, il s'est passé quelque chose alors, il faut réfléchir à l'ensemble des commémorations et voir lesquelles on maintient sans pour autant leur donner une dimension nationale".

Supprimer des journées de commémoration officielles poserait également en filigrane la question de la suppression des jours fériés auxquels elles sont liées. "Si vous supprimez des jours fériés, vous allez susciter des réactions, mais pour le maintien des commémorations, pas pour le jour férié", constate André Kaspi.

Alors la tâche semble bien compliquée et pour le moment, à Ressons-le-Long aucune conclusion n'a été tirée de ce débat. "Ce n'est pas si simple que ça. Je ne suis pas certain qu'il y ait une solution", conclut le maire Nicolas Reberot.

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