Desmoulins, Condorcet, Saint-Just : trois grandes figures picardes de la Révolution française, des vies brèves à l'empreinte définitive sur l’histoire de France. Leur point commun : tous les trois sont nés ou ont grandi dans le même département, l'Aisne.
Louis Antoine de Saint-Just est né dans la Nièvre en 1767. À l'âge de 9 ans, il déménage en Picardie avec sa famille : son père, gendarme, décide de venir passer sa retraite sur les terres familiales. Les Saint Just, c'est une vieille famille de propriétaires terriens de Morsain et Nampcel dans l'Aisne. Le père de Louis Antoine achète pour 6 000 louis d'or une maison à Blérancourt qui existe toujours.
Saint-Just passera 16 ans dans cette commune axonaise. C'est là, au contact des plus démunis, qu'il va forger ses premières aspirations révolutionnaires. " Il est très apprécié du petit peuple. Et offre gratuitement ses services en tant qu'avocat aux plus pauvres des habitants de la commune", explique Anne Quennedey, présidente de l'association Pour la Sauvegarde de la Maison Saint-Just, et auteur de plusieurs ouvrages consacrés au benjamin de la Révolution française.
Saint-Just est intelligent, un meneur d'hommes mais un tempérament révolté. À l'adolescence, après des études au lycée de Soissons, il fuit le domicile maternel (il a perdu son père un an après son arrivée à Blérancourt), à la suite d'une dispute. Peut-être un larcin, un vol de bijoux, commis par le jeune homme. En tout cas, sa mère le soupçonne et elle demande que son fils soit interné plusieurs mois durant en maison de correction. De quoi attiser le désir d'émancipation de Louis Antoine, ainsi que son goût pour la politique et la justice.
L'ascension irrésistible d'un jeune homme à l'éloquence hors pair
En 1792, il est élu député de l'Aisne à la Convention nationale, qui régit alors le pays, en pleine tourmente révolutionnaire. Il a 25 ans, c'est le plus jeune élu de l'assemblée. " 25 ans, c'est l'âge de la majorité à l'époque" explique Anne Quennedey. " Ce quasi inconnu se fait très vite un nom par son art oratoire qui frappe ses collègues. Son éloquence, pleine de contenu sur le plan juridique, constitutionnel et économique, est son principale atout". Et Maximilien Robespierre, l'homme fort du régime, en fait son protégé.
Dès lors, Saint-Just prend une place prépondérante au sein de l'appareil révolutionnaire. " C'est un gros travailleur, il dort très peu, deux heures à peine, sur des lits de camp, surtout lorsqu'il siège au Comité de Salut Public" nous dit Anne Quennedey. Le Comité de Salut Public a été mis en place pour protéger la France des forces européennes coalisées contre elle et de la guerre civile qui fait rage dans l'ouest du pays, avec la révolte des Vendéens, contre le nouveau régime.
Le jusqu'au-boutiste
" Cet homme doit régner ou mourir". en novembre 1792 Saint- Just appelle les députés de la Convention à condamner Louis VXI. " Il doit mourir pour assurer le repos du peuple" dit-il encore, dans ce fameux discours. L'exécution par décapitation est prononcée et Louis XVI est guillotiné en janvier 1793. Nous sommes en pleine période dite de la Terreur.
" Saint-Just est un tribun extraordinaire, ses discours accusatoires forgent son image d'homme implacable, brutal", note Anne Quennedey qui souligne aussi " que Saint-Just est aussi d'une immense intelligence : c'est lui qui est choisi pour travailler avec Robespierre à la rédaction de la Constitution de 1793". Mais les deux hommes n'iront pas au terme de cette tâche : le 28 juillet 1794 Louis Antoine de Saint-Just est guillotiné Place de la Révolution (actuelle Place de la Concorde) à Paris. Il a 27 ans. Dans la charrette des suppliciés, son ami Robespierre, qui sera guillotiné lui aussi. Et comme souvent durant cette période, les corps seront jetés dans une fosse commune.
L'héritage politique, entre ombre et lumière
L'enfant de Blérancourt est aujourd'hui encore présenté comme un fanatique. N'est-ce pas lui qui a fait voter une loi, dite "Des Suspects" ? Un texte qui permet d’arrêter, selon ses propres termes, " ceux qui n'ayant rien fait contre la Liberté, n'ont rien fait pour Elle". N'est-ce pas lui qui a œuvré à l’exécution par la guillotine, de Camille Desmoulins, dont il fut proche pourtant ? " Reste que Louis Antoine de Saint-Just est un précurseur. Il a toujours défendu un vrai projet social avec un système imaginé par lui, de défense des plus démunis dans les Décrets de Ventôse (mars 1794)" explique Anne Quennedey. Un jeune homme animé de la conviction intime que la Révolution française allait ébranler durablement le monde comme il l'écrit dans un discours : " on ne travestit point les lois fortes ; elles pénètrent tout à coup les pays étrangers comme l’éclair inextinguible".