On célèbre cette année les 500 ans de sa mort. Josquin des Prés fut l'un des plus grands compositeurs à l'aube de la Renaissance. Précurseur, innovateur, les superlatifs ne manquent pas pour désigner le musicien picard, auteur de plus d'une centaine d'œuvres.
"Les musiciens font ce qu'ils peuvent des notes, Josquin en fait ce qu'il veut", disait de lui Martin Luther, moine et théologien du XVIe siècle.
Josquin des Prés, de son vrai nom Josquin Lebloitte, serait né dans le Vermandois dans l'Aisne, peut-être plus précisément à Beaurevoir. Rien ne permet de l'affirmer, de même que la date exacte de sa naissance évaluée autour de 1440.
"En général à cette époque-là, sauf dans les grandes familles aristocratiques, il n'y avait pas beaucoup de documents pour attester de votre naissance, explique Frédéric Billiet, professeur en musicologie médiévale à la Sorbonne à Paris et spécialiste de la musique du XVe siècle dans le nord de la France. Mais on a regroupé un certain nombre de textes et de chansons dans lequel il parlait de la Picardie, donc on sait qu'il a vraiment habité cette région et qu'il la connaît bien."
Ses premières notes à Saint-Quentin
Josquin des Prés aurait alors reçu ses premières leçons de musique à la collégiale de Saint-Quentin où il était chantre. "Il a certainement dû être recruté pour la maîtrise d'enfants de chœurs de Saint-Quentin. En général, quand on avait des enfants très doués, on pouvait les envoyer dans les meilleures maîtrises comme Amiens, Abbeville ou Cambrai", précise Frédéric Billiet.
Au moment de son adolescence, deux compositeurs franco-flamands, Guillaume Dufay et Jean Ockeghem, maîtrisent la polyphonie, c'est-à-dire la combinaison de plusieurs mélodies. Élément qui va caractériser plus tard la musique de Josquin. Les historiens pensent alors qu'il était peut-être l'un de leurs élèves. Aucun document ne le confirme, mais il est certain que le jeune Josquin a reçu l'enseignement d'un grand maître, tant il maîtrise l'art de la composition dès ses premières partitions.
Ce sont les grandes églises gothiques qui ont donné cet élan, elles étaient tellement belles qui fallait avoir des chœurs à la hauteur.
Il n'est pas anodin non plus qu'un tel talent soit originaire de la Picardie. À cette époque, la région est très réputée sur le plan musical et la plupart des lieux de musique innovante y sont concentrés. "Ce sont les grandes églises gothiques qui ont donné cet élan, elles étaient tellement belles qui fallait avoir des chœurs à la hauteur. C’est pour ça que tout s’est développé dans cette région-là", indique Frédéric Billiet.
"D’ailleurs je défends le terme de Picardie, poursuit-il. On dit : école franco-flamande parce qu’on a calqué sur les historiens de l’art, mais pour la musique les compositeurs sont de Picardie. Ils ont d’ailleurs très peu utilisé la langue flamande dans leurs chansons, ils sont restés sur le français et le picard. Ce n’est que bien après que les compositeurs du Nord ont commencé à faire des chansons en flamand."
"Que des Picards à la tête des grandes chapelles des princes"
Les compositeurs picards sont alors très prisés notamment auprès des princes italiens. "C’était un peu comme quand on envoyait les peintres en Italie pour la couleur ou la lumière, on faisait la même chose pour la musique. Jusqu’en 1530, on avait que des Picards qui étaient à la tête des grandes chapelles des princes", révèle Frédéric Billiet. Josquin des Prés ne fait évidemment pas exception et rejoint la chorale de la cathédrale de Milan en juin 1459.
Si aujourd’hui on a dans les chorales : le soprano, l’alto, le ténor et la basse c’est vraiment grâce à Josquin.
C'est ici qu'il compose ses premières messes et motets (forme musicale vocale apparue au XIIIe siècle). Chez lui, l'art de la composition polyphonique commence déjà à s'affirmer. Il écrit également ses premières œuvres à quatre ou cinq voix, voire plus. "Ce qu’il a apporté de vraiment spécifique, c’est le quatuor vocal, il a vraiment donné à chacune des voix sa propre tessiture. Si aujourd’hui on a dans les chorales : le soprano, l’alto, le ténor et la basse c’est vraiment grâce à Josquin. Il a su définir chacune des voix dans son travail polyphonique", indique Frédéric Billiet. Le registre de sa voix à lui, on ne le connaît pas. Selon les historiens, après déduction, il est possible qu'il ait eu une voix de basse.
Mélange des genres
Josquin des Prés entra en 1472 à la Chapelle du duc de Milan. Selon Jean Roset, auteur de "Josquin des Prez 1440-1521. Prince de la musique", c'est à partir de ce moment-là, alors qu'il est âgé d'une trentaine d'années, qu'il se lance pleinement dans la composition. Ce sera également l'occasion de donner libre cours à son inspiration dans le domaine de la chanson profane.
Ainsi, la plupart de ses messes sont construites autour des thèmes de chanson populaire comme : L'ami Baudichon ou Adieu mes amours. "Adieu mes amours c’est une chanson qu’on a retrouvée dans un manuscrit par chance. C’était vraiment une chanson populaire, facile à chanter. Et Josquin des Prés en a fait une chanson polyphonique très complexe", ajoute Frédéric Billiet.
À Rome, entre 1486 et 1495, il aura d'ailleurs toute la liberté pour pouvoir composer des chansons profanes pour la cour du Cardinal d'un côté et des chansons religieuses pour la chapelle Sixtine de l'autre.
Une chanson à la note royale
Durant sa carrière, il passera plusieurs années au service de cours italiennes à Milan, Rome, Florence, effectuant de temps en temps des retours en France. Josquin des Prés était très admiré par ses pairs qui le surnommaient : le prince de la musique. "Il était tellement réputé que les princes se disputaient pour savoir qui le paierait le plus cher pour l’avoir. C’était un peu comme les footballeurs aujourd’hui. On a des lettres d’ambassadeurs où Josquin répond qu’il ne viendra pas parce qu’il sera mieux payé ailleurs", affirme Frédéric Billiet.
L'un de ses retours en France fut d'ailleurs remarqué, puisqu'il fut un temps au service du roi Louis XII. Une anecdote à ce propos prête à sourire. "Le roi qui se flattait d'être un bon chanteur pria un jour Josquin de lui composer un motet où il avait une partie vocale à tenir, ce qui lui procurerait le grand plaisir et l'insigne honneur de figurer parmi les interprètes de Josquin, raconte Jean Roset dans son livre. Malheureusement, le roi avait la voix "la plus royalement fausse de tout le Royaume" (dixit la chronique)."
Le compositeur décida alors de créer une musique où la partie destinée au roi est en réalité une seule et même note. "Comme ça il chante sur la même note, et il ne chante pas faux, sourit Frédéric Billiet. Je ne sais pas si c'est vrai mais en tout cas la pièce existe !"
La polyphonie à son apogée
Josquin des Prés est revenu en France vraisemblablement en 1505 après avoir été au service du Duc de Ferrare à Milan. Un retour à Condé-sur-l'Escaut, situé aujourd'hui dans l'actuel département du Nord. Après 18 années de retraite, il décède le 27 août 1521.
Longtemps après sa mort, la musique de Josquin n'a cessé de faire des adeptes. "Aujourd’hui, ce que l’on peut voir c’est que beaucoup de groupes et d’ensembles ont interprété ses messes en concert. Donc depuis peut-être 30 ans, on a une très belle discographie des œuvres de Josquin et ça plaît beaucoup au public", affirme Frédéric Billiet.
Selon le professeur en musicologie, Josquin des Prés a porté la polyphonie et le contrepoint (superposition de ligne mélodique) à son apogée. "Je dirais qu’il a été aux limites de ce que l’on pouvait faire avec le contrepoint avec une très grande intelligence. Après lui, l’écriture musicale va changer. On va passer à complètement autre chose : la musique de la Renaissance puis baroque. En revanche, il a pas mal influencé la musique instrumentale. Quand il est mort, en Italie, c’est elle qui a repris ce contrepoint."
Un style qu'il a su mener jusqu'à sa plus grande perfection au fil d'un répertoire composé d'une vingtaine de messes, 110 motets et 80 chansons. Un style que peu de compositeurs ont repris par la suite à part peut être un seul, un certain Jean-Sébastien Bach.