Retraités et personnes âgées sont au cœur de l'actualité avec la Semaine Bleue, qui se déroule du 30 septembre au 6 octobre 2024. La population française vieillit et le logement des personnes âgées est devenu un enjeu majeur : un petit village de l'Aisne a fait le choix de construire une résidence pour accueillir des retraités locaux, à prix sociaux. Rencontre avec ses habitants.
Montigny-sur-Crécy, c'est un petit village de 340 habitants niché dans les vallons entre Saint-Quentin et Laon. De vieilles fermes picardes, un clocher typique avec ses briques et pierres blanches et depuis le mois d'août, un nouveau lotissement plutôt original.
Cet ensemble de quatorze maisons mitoyennes accueille des seniors, qui vivent ici en toute autonomie, mais dans une ambiance conviviale : tous les après-midi de la semaine, l'odeur du café flotte dans la salle commune, où des activités sont proposées par une animatrice dédiée au lieu. Les appartements sont adaptés aux personnes à mobilité réduite et loués sur critères sociaux, entre 350 et 450 euros.
Indépendance et sécurité
Alain Iniguez a 67 ans, il est devenu hémiplégique à la suite d'un AVC, mais il en faudrait plus pour convaincre cet ancien motard de renoncer à son indépendance. Dans son nouvel appartement, il cuisine lui-même ses petits plats et vit en toute autonomie. Il bénéficie simplement d'une aide pour le ménage. Il fait partie des premiers locataires à avoir emménagé en août et cela a changé sa vie.
"Là où j'habitais avant, j'avais une chambre à l'étage, je n'étais pas monté dans ma chambre depuis cinq ans. Cinq ans dans le canapé, ce n'est pas toujours évident, se souvient Alain avec un sourire pudique. On est tous bien ici, on se parle, on s'entend bien. Là où j'étais avant, ce n'était pas pareil, les gens travaillent, ils passent..."
Pourtant, cet ancien cariste dans l'industrie alimentaire connaissait tout le monde dans le village voisin de Pouilly-sur-Serre, où il s'était installé dans les années 80. Mais dans cette résidence où le plus jeune a 60 ans et la doyenne, 92 ans, l'ambiance est plus chaleureuse. "Même quand la salle commune est fermée le soir, on peut aller jouer aux cartes chez l'un ou l'autre, continue Alain. C'est une bonne ambiance, pourvu que ça dure !"
Ce nouveau cadre reste proche de ses attaches et lui permet de voir régulièrement sa fille et ses petits-enfants, restés à Pouilly. Alain espère demeurer dans la résidence le plus longtemps possible. Il participe à la vie commune : si quelqu'un a besoin d'un conseil bricolage ou mécanique, il n'a qu'à frapper à sa porte, Alain joue volontiers le contremaitre et met sa caisse à outils à disposition.
Anita Camus, 72 ans, vient pour sa part d'emménager. "Au début, j'étais un peu réticente, car j'aime vivre seule, je suis sauvage, reconnaît Anita. Mais j'ai vu que c'était une petite maison, j'ai trouvé ça bien. C'est une autre vie. On n'est pas tout seul, on est entourés quoi qu'il se passe. S'il y a un problème, il y aura quelqu'un pour nous aider. J'ai déjà demandé de l'aide pour porter mon congélateur, ils ont répondu présent tout de suite."
Lorsqu'on lui demande si cet environnement la rassure, elle répond du tac au tac : "Ça rassure ma fille, surtout !" Mais elle apprécie ce nouvel appartement spacieux, 57 mètres carrés pour moins de 400 euros, cela la change du petit logement HLM qu'elle occupait avant. "Je me cognais partout", résume-t-elle. Un autre aspect de la résidence plaît à cette ancienne ouvrière dans l'industrie automobile : "ici, c'est très calme, j'aime le calme. J'ai eu trop de bruit, j'en ai besoin."
Bien vieillir à la campagne
Pour soigner les liens entre les résidents, le département finance un poste d'animation sociale. C'est Sabine Naulin qui remplit cette fonction polyvalente : de l'organisation des activités de l'après-midi jusqu'aux petits services du quotidien, elle veille au bien-être des résidents. Le lundi, elle frappe aux portes de chacun pour s'assurer que le week-end s'est bien passé et toute la semaine, elle est présente pour écouter, conseiller et désamorcer les éventuels conflits. Car la convivialité peut aider à garder la santé.
"Certains viennent d'habitats où on ne leur disait même pas bonjour, détaille Sabine Naulin. Je pense que ça aide à bien vieillir, cet environnement adapté, avec des voisins qui s'entraident. Une dame qui s'est retrouvée toute seule, dans son petit appartement où elle n'avait pas de lien avec les voisins, elle a perdu beaucoup de poids. Ça peut créer des dépressions et d'autres problèmes par la suite."
Une opinion confirmée par la recherche scientifique : l'isolement augmente la fragilité physique, les risques de dépression et de déclin cognitif chez les personnes âgées, ce qui accélère la perte d'autonomie. Sabine Naulin cherche aussi à renforcer les liens avec les habitants du village : le 2 octobre prochain, à l'occasion de la Semaine Bleue, une après-midi de jeux sera par exemple organisée avec les enfants de Montigny-sur-Crécy. Sabine espère pouvoir mettre en place des activités régulières dans les salles que la mairie met à sa disposition, pour que tous les habitants en profitent.
On a le droit, quand on a passé toute sa vie en milieu rural, de vieillir en milieu rural.
Jean-Michel WattierMaire (DVG) de Montigny-sur-Crécy
Si de nombreuses résidences pour seniors existent déjà en ville, car ce marché a le vent en poupe, celle-ci a l'originalité d'être implantée dans un petit village. Le projet mené par la municipalité a nécessité sept ans de travail avant d'aboutir. Pour le maire (divers gauche) Jean-Michel Wattier, le plus difficile a été de trouver les financements des pouvoirs publics. Pour cela, il a dû "convaincre qu'on a le droit, quand on a passé toute sa vie en milieu rural, de vieillir en milieu rural. Ce n'est pas tout à fait la même chose d'habiter dans de petits villages que d'habiter dans des bourgs et dans des grandes villes."
"Dès que nous avons communiqué sur cette opération, nous avons reçu des candidatures de futures locataires, continue le maire. Nous avons associé ces futurs locataires et les partenaires de l'opération. Ensemble, nous sommes partis de nos idées généreuses pour revenir à la réalité et écrire un projet de vie sociale." Plusieurs ateliers ont été organisés avec certains futurs résidents, afin que les lieux correspondent à leurs envies et leurs besoins.
Une activité qui profite à l'économie locale
L'un des objectifs du projet, c'est que cette résidence ne soit pas isolée : des liens se créent avec les habitants du village, mais aussi avec les acteurs économiques locaux qui peuvent y trouver une nouvelle source d'activité.
"L'idée est de ne pas créer de dépenses de fonctionnement supplémentaires, en s'appuyant sur les services existant à domicile : le port de repas de la communauté de communes, l'association cantonale d'aide aux personnes âgées, les travailleurs locaux pour les soins infirmiers et les services à domicile. Ça, c'est déjà gagné" se réjouit Jean-Michel Wattier.
La construction et la gestion des lieux sont quant à elles confiées au bailleur social Clésence, qui a créé en 2020 une nouvelle branche dédiée aux habitats adaptés et inclusifs, Clésence alterego. L'intervention du bailleur social permet de proposer ces logements à petits prix ; les loyers des résidences seniors "classiques" sont généralement bien plus élevés : il faut débourser entre 805 et 1575 euros pour un F2 dans une résidence senior de l'Aisne.
Ce modèle alternatif à l'EHPAD et au maintien à domicile, le bailleur aimerait le voir se développer, car c'est seulement le deuxième projet de ce type que Clésence mène dans l'Aisne. "Les maires commencent à en entendre parler, mais ce n'est pas connu de tous, constate Adeline Drain, responsable de la communication pour Clésence alterego. S'ils ont des demandes, il ne faut pas hésiter, nous pouvons étudier les dossiers."
D'autant que le pari semble gagnant : trois mois après son ouverture, la résidence de Montigny-sur-Crécy affiche complet.