Présence du loup dans l'Aisne : les éleveurs devraient bénéficier d'aides pour se protéger

Le loup fait son retour dans l'Aisne et pour répondre à l'inquiétude des éleveurs, la préfecture a réuni pour la première fois une cellule de veille, afin de présenter les mesures qui pourront être mises en place pour faciliter la cohabitation entre troupeaux et prédateurs.

Avec leur longue fourrure blanche, les chiens patou se distinguent à peine du troupeau de brebis qu'ils gardent pour Alexandre Lécuyer, éleveur ovin à Monceau-le-Neuf-et-Faucouzy dans l'Aisne. 

L'éleveur a choisi d'adopter ces assistants à quatre pattes il y a cinq ans, afin de se prémunir des multiples tentatives de vol dont son troupeau était victime, mais aussi de l'arrivée d'un prédateur disparu depuis des décennies : le loup.

Le 7 janvier à Housset, des brebis sont attaquées et les autopsies réalisées par l'office français de la biodiversité (OFB) font soupçonner le loup. "Le jour de l'attaque, mon troupeau était à 350 mètres des lieux, se souvient Alexandre Lécuyer, il a sans doute vu passer le loup". 

Loup y es-tu ? 

Le sujet est polémique. L'OFB reconnait officiellement une zone de présence occasionnelle du loup au nord-est de l'Aisne, mais les dernières données accessibles au public datent de 2020. L'observatoire du loup, une association de passionnés, évoque au moins trois individus sédentarisés dans la zone et jusqu'à six. Un chiffre jugé très excessif par certains éleveurs locaux.

Une chose est en tout cas certaine, la population de loups est en augmentation en France depuis le début des années 2000. Dans les Alpes, leur nombre a plus que doublé entre 2018 et 2022. Il y aurait environ 1200 loups en France et leur nombre devrait continuer à croitre pendant quelques années. Or l'Aisne est un territoire auquel le loup est parfaitement adapté. 

"Il faut prendre en compte les conditions du passé : au début du XIXᵉ siècle, on avait environ 5 000 loups en France et dans l'Aisne, on en avait environ 200, rappelle Jérôme Buridant, enseignant-chercheur au laboratoire EDYSAN d'Amiens. Il y a 200 ans, on avait beaucoup plus de loups en plaine qu'en montagne. Le loup est un animal qui est bâti pour la course, un animal des steppes. Par conséquent, l'Aisne est une région qu'il peut affectionner, où il a une marge de progression importante."

"Il y a une nécessité de dépassionner ce débat"

D'après le chercheur, la population de grands gibiers (chevreuils, cerfs et autres sangliers) a été multipliée par neuf depuis les années 80. L'arrivée d'un grand prédateur comme le loup pourrait donc être une bonne nouvelle pour limiter les dégâts causés par ces animaux dans les forêts et cultures. Les loups s'attaquent aux animaux les plus faibles, ils pourraient aussi permettre d'éviter la propagation de maladies au sein de ces populations sauvages. 

Le problème, c'est qu'un quart de l'alimentation des loups est constituée de proies domestiques, ils font environ 12 000 victimes dans les troupeaux chaque année. 

"D'un point de vue écologique, on peut considérer qu'il arrive au bon moment, car les populations de grands ongulés sauvages sont extrêmement nombreuses, il va aider à les réguler. D'un point de vue économique, il arrive au mauvais moment, puisqu'il arrive à un moment où la filière de l'élevage est extrêmement fragilisée, c'est un élément nouveau pour des éleveurs qui sont déjà dans une situation compliquée. C'est ce débat de société qu'il faudra trancher", résume Jérôme Buridant. 

C'est pour cela que le loup est l'objet de vives tensions dans d'autres départements. Une dimension bien comprise par Emmanuel Fontaine, représentant Fédération nationale ovine dans l'Aisne : "Il y a un débat passionnel entre les écologiques et les éleveurs à ce sujet, il y a une nécessité de dépassionner ce débat, de l'aborder de manière la plus neutre possible pour que tout le monde y trouve son compte."

"Un jeune éleveur qui s'installe dans un contexte économiquement difficile, avec une contrainte supplémentaire qui pèse financièrement, psychologiquement sur votre élevage, avec une incertitude de rentabilité, c'est difficile, continue Emmanuel Fontaine. Il faut se mettre à la place du jeune installé qui verrait son activité péricliter. Dans la Thiérache, les brebis pâturent 10 mois de l'année, imaginez les éleveurs qui devraient surveiller leur troupeau en permanence..." 

Lui-même éleveur de brebis, Emmanuel Fontaine rappelle que la filière est un tissu fragile constitué de multiples acteurs. La présence du loup pourrait peser sur l'ensemble de cette activité économique, pourtant en progression sur la zone de la Thiérache. 

Le dialogue est ouvert 

Le 24 janvier, suite à l'expertise de l'attaque d'Housset, la Préfecture de l'Aisne a donc convoqué pour la toute première fois une cellule de veille sur le loup. Elle réunit représentants de la profession agricole, élus et associations agréées pour la protection de l'environnement autour de la même table. 

Objectif de cette première rencontre : "informer les professions agricoles des dispositifs qui existent pour prévoir la cohabitation entre le loup et les élevages, ça a été une présentation du plan national loup, dont une nouvelle version 2024-2029 va bientôt sortir" explique Damien Tournemire, directeur de cabinet du préfet de l'Aisne.

Cette réunion est aussi l'occasion de croiser les expériences des différents acteurs. Elle a débouché sur une proposition de classement de l'Aisne en "cercle 3" du plan loup : ce statut reconnait le département comme zone de "possible expansion" de la présence du loup et ouvre l'accès à des aides pour que les éleveurs acquièrent des chiens de protection, à l'instar des patous qui gardent le troupeau d'Alexandre Lécuyer. 

"Pour moi, il est plus que temps, le moyen de protection le plus intéressant est le chien, car il travaille en permanence, salue l'éleveur. Pour qu'il soit efficace, c'est deux ans, on est déjà un peu en retard puisqu'il y a eu une attaque à Housset. Mais on est sur la bonne voie, le préfet semble très conscient du problème, cela va nous permettre d'être plus efficaces dans la protection."

Il touchera prochainement les aides qui couvriront environ la moitié des frais d'entretien de ses chiens et une partie du coût d'acquisition des prochains chiots, jusqu'à 300€ par adoption. 

Treize communes de Thiérache, dont Monceau-le-Neuf-et-Faucouzy et Housset, seront également classées en "cercle 2", permettant des aides financières pour l'achat de clôtures électrifiées. Ces décisions seront effectives si elles sont acceptées par la préfète de Rhône-Alpes, référente du plan loup au niveau national. 

"Il n'y a jamais assez de fonds"

Emmanuel Fontaine salue la tenue de cette réunion : "On est vraiment au début, ce qu'il faut, c'est rassurer les éleveurs."

Il n'élude cependant pas les critiques qui émergent depuis plusieurs années autour des aides apportées aux éleveurs confrontés aux loups. "On s'aperçoit qu'au gré du développement de la population lupine, il n'y a jamais assez de fonds. On sait que plus le niveau de prédation est important, moins les mesures de protection sont efficaces."

Car le loup est un animal intelligent qui s'adapte très rapidement. Emmanuel Fontaine souligne l'importance de considérer les élevages au cas par cas, par exemple pour l'utilisation des chiens, qui ne sera peut-être pas envisageable partout.

Quoi qu'il en soit, il sera présent pour informer les éleveurs sur la mise en place du plan loup lors d'une réunion d'information organisée par la Chambre d'agriculture, le 15 février prochain. Une occasion d'informer sur la procédure à suivre en cas d'attaque du troupeau, afin de pouvoir bénéficier pleinement des indemnisations.

Ailleurs en France, des initiatives voient le jour pour pallier l'insuffisance des moyens proposés par l'État, comme le programme Pastoraloup mené par l'association Ferus, qui propose du gardiennage de troupeau à quelques éleveurs des Alpes et du Juras. 

Dans certains départements, des dérogations préfectorales sont aussi accordées pour abattre des loups, pourtant considérés comme une espèce protégée. 204 loups auraient ainsi été abattus en 2023, d'après le décompte de l'association.

Le tir des loups fait l'objet de vifs débats au niveau de la Commission Européenne, mais aussi au niveau national, dans le cadre de l'élaboration du nouveau plan loup 2024-2029. Le projet présenté en consultation publique à l'automne 2023 est critiqué par de nombreux scientifiques et associations de défense de l'environnement, il a fait l'objet d'un avis défavorable du Conseil national de protection de la nature.

Une version définitive doit être officiellement publié en 2024, 25 nouveaux départements devraient l'intégrer. Si le dialogue s'ouvre tout juste dans l'Aisne, ailleurs en France, lorsque l'on parle du loup, ce sont les humains qui montrent les crocs. 

Avec Rémi Vivenot / FTV

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