Ecartelés entre un cours du porc au plus bas et une explosion du coût des aliments pour nourrir leurs bêtes, les éleveurs des Hauts-de-France traversent une crise qualifiée d'historique. Alors que s'ouvre à Paris le Salon International de l'Agriculture le 22 février prochain, ils lancent un cri d'alarme.
"C'est très compliqué. Depuis la moisson, tout ce qui sert d'aliment a augmenté de presque 50 % et cela représente 70 % du coût de production", raconte Xavier Herbert, éleveur de porcs à Wiege-Faty près de Guise, en Thiérache. Le producteur n'a jamais connu une telle situation depuis son installation en 1991. Entre le coûts des aliments destinés à ses bêtes qui augmente et le cours du porc qui a chuté, il travaille actuellement à perte. "Cela coûte plus cher à produire et on est payés moins cher que l'an dernier", déplore Xavier Herbert.
La perte financière est importante pour chaque kilo produit. "Sur 11000 porcs cela fait 200.000 euros de perte par an", calcule l'éleveur. Combien de temps cela peut il durer ? Le producteur s'interroge face à cette crise qui ronge progressivement la trésorerie de son exploitation, comme celle de ses collègues. "J'ai la capacité jusqu'en juin, après je ne sais pas comment je fais. Certains sont à l'agonie", confie-t-il.
L'effet "ciseaux" au cœur duquel la filière porcine se trouve placée a débuté l'été dernier et s'est aggravé progressivement. En juin, le cours du porc a commencé a baissé. Ensuite, le maïs, le colza, l'orge, l'escourgeon, le soja ont explosé. "Le blé était à 150 euros la tonne, là il est à 250", explique Fabien Thirel, Président de l'union régionale des groupements de producteurs de porc (URGPP) des Hauts de France.
Le plus fort "effet ciseau" depuis 30 ans
Dans un communiqué, le ministère de l'agriculture estime : "la filière porcine française fait face au plus fort ciseau de prix jamais subi depuis 30 ans : le prix payé au producteur a diminué de 14% sur un an pour une exploitation moyenne alors que les charges ont, elles, augmenté de 27%". Une situation que l'on peut suivre en détails sur son site.
Eleveur retraité à Anguilcourt-le-Sart dans l'Aisne, mais toujours observateur attentif de la filière, Pascal Lequeux voit dans la période actuelle une crise historique. "Depuis 25 ans, je n'ai jamais connu une période aussi difficile. Tout est couvert par le prix de l'aliment. C'est grave pour la filière."
Personne n'a jamais connu ça. Tout augmente énormément. Les éleveurs perdent de l'argent.
Philippe Vallas, Président de l'association d'éleveurs "Porc d'antan"
A Athies-sous-Laon, Philippe Vallas est président du "Porc d'antan", une association d'éleveurs de porcs sur paille répartis dans toute la région. Il constate : "personne n'a jamais connu ça. Tout augmente énormément. Les éleveurs perdent de l'argent. Beaucoup d'éleveur n'inséminent pas ou vendent. Certains veulent réduire ou arrêter", raconte déjà le représentant qui prévoit de réunir ses adhérents prochainement pour évoquer la situation.
"La crise est d'une violence extrême"
Fabien Thirel de l'URGPP a une vision globale de la situation des exploitations. "La crise est d'une violence extrême. Nous avons une déconnexion du prix du marché et du coût d'achat des matières premières. Le kilo de carcasse est à 1,25 euros. Si on souhaitait être dans les prix, il faudrait 1,70. La perte pour un élevage est de 30.000 euros par trimestre. L'issue est désastreuse", explique le représentant en tirant le signal d'alarme. "Nous aurons 1 éleveur sur 3 qui va disparaitre en l'état. C'est une hécatombe. On ne peut pas fonctionner comme ça".
Selon, Inaporc, organisme interprofessionnel de la filière, une conjonction de facteurs explique notamment la baisse du prix du porc. Selon lui, le Covid a désorganisé la consommation et les approvisionnements, s'y ajoute la peste porcine africaine touchant certains pays et "la baisse, voire l'arrêt de la demande chinoise en viande, qui entraine un engorgement de l'offre sur le marché européen", expliquait l'organisme dans un récent communiqué.
Le coup est rude en tous cas pour les producteurs des Hauts-de-France, 5ème région de production du pays avec 629 élevages. Face à cette crise, le gouvernement a annoncé un plan de sauvetage de 270 millions d’euros et "l’amplification de mesures plus structurantes telle que la mise en œuvre de la loi Egalim2 ou encore des mesures européennes". Il est notamment prévu une aide rapide d’un montant de 15.000€ pour les exploitations porcines en fortes difficultés de trésorerie.
Scepticisme face aux aides
Des mesures accueillies avec scepticisme par les éleveurs : "Ca me fait sourire. C'est se faire bien voir. J'ai lu les conditions. Ils vous les donnent (ndlr : les aides) si vous êtes mort en fait", réagit Xavier Herbert, l'éleveur de Thiérache.
Charlotte Vassan, Présidente de l'union des syndicats agricoles de l'Aisne relativise, elle aussi, la portée des aides prévues. Elle doute aussi de l'éligibilité de la majorité des producteurs. "La DDT a envoyé les formulaires pour les éleveurs. 15.000 euros valables une fois pour la trésorerie, ça fait un mois. Il faut une action rapide du gouvernement pour les éleveurs. Certains pays ont congelé de la viande par exemple".
Représentant de la filière porcine, Fabien Thirel s'interroge également sur l'efficacité des aides mais se veut prudent toutefois : "Est ce qu'elles suffiront ? Sur du très court terme, peut-être. C'est un coup de pouce évidemment le bienvenu. Ca va donner du souffle à quelques éleveurs. Le problème de fond c'est qu'il faudrait que les transformateurs passent les prix. Le grand perdant c'est le producteur. Le fond c'est la politique qu'on veut donner à l'élevage. Nos distributeurs se gavent. Il faut construire des filières", analyse Fabien Thirel.
De son côté, Charlotte Vassan, Présidente de l'USAA s'agace : "Nous avons fait de gros efforts pour réduire les antibiotiques, nous ne pouvons pas avoir des charges béton et derrière importer du porc espagnol. Nous voulons répercuter les coûts de production à la grande distribution. Ce n'est pas viable longtemps".
Répercuter les coûts de production
Faute de pouvoir agir sur le cours du porc ou le prix des aliments, obtenir une répercussion des coûts de production auprès de la grande distribution semble en effet être une des clefs pour les éleveurs. "On a la loi Egalim 2", il faut réussir à s'accorder. C'est pas gagné, mais elle a le mérite d'enclencher la discussion", veut croire Fabien Thirel.
Les agriculteurs viennent justement d'organiser une "série de visites" dans les grandes surfaces de la région pour constater les prix pratiqués par certaines grandes surface, souvent trop bas à leur sens. De là à obtenir une renégociation, il y a encore du chemin et le combat s'annonce rude pour eux.
En attendant, dans ce marasme ambiant, les professionnels se raccrochent à l'espoir de belles ventes à venir avec le retour des beaux jours, traditionnellement plus favorables à leur production. "Le cours va augmenter, mais est ce qu'il va remonter assez", s'interroge toutefois prudemment Fabien Thirel.