L'histoire du dimanche - De sa disparition à sa renaissance, le haricot de Soissons est devenu un véritable symbole de l'Aisne

Pur produit du terroir de l'Aisne, le haricot de Soissons a vu de nombreux obstacles sur sa route. Cultivé depuis le XVIIIe siècle, disparu et revenu sur les terres axonaises, il est actuellement un produit reconnu de tous. Même par les institutions européennes.

C’était presque la fin des haricots pour ceux de Soissons ! Ce légume d’antan, aux mille légendes, a connu quelques péripéties au cours de son existence.

Cultivé depuis le XVIIIe siècle dans l'Aisne, il disparaît, car les terres ont été ravagées après la Première Guerre mondiale et à cause de l'agriculture intensive. Mais cette fève est revenue sur le devant de la scène grâce à un groupe de personnes qui a décidé de le remettre au goût du jour.

Une origine, trois légendes

Les origines du haricot magique restent obscures. Trois légendes entourent l'histoire de cette fève. Tout d’abord, celle de la rue de la Buerie, à deux pas de la cathédrale Saint-Gervais-et-Saint-Protais. Elle remonte lors de la guerre de Cent Ans. La peste a fait rage à Soissons et ses alentours. Les habitants, qui survivent à la pandémie, décident de s’enfuir. Sur le chemin de leur cavale, des Soissonnais perdent des graines.

À leur retour, surprise ! Un champ est couvert de haricots. L'humidité des berges du canal de la Crise a favorisé la récolte. La riche collecte a pu nourrir toute la population, sans peine. Pour François Desmarest, vice-président de l'association des producteurs des haricots de Soissons, cette légende ne tient pas debout. "Cela s'est passé au XIVe siècle. Hors le haricot est arrivé seulement au XVIIIe", affirme le vice-président.

Une autre se serait déroulée en 1728. Soissons a accueilli le premier Congrès européen de la Paix. Parmi les invités, le marquis espagnol de Santa Cruz. Ce dernier s'est lié d'amitié avec un jardinier de l'abbaye Saint-Léger, nommé Jacques, mais qui répondait au surnom de Jacquot.

Les négociations sont trop longues lors de ce congrès et le roi d'Espagne décide que le marquis devait rentrer. Mais avant de quitter la ville, il décide d'offrir à Jacques un grand sac en cuir de Cordoue, ville au sud de l'Espagne. Le jardinier découvre de gros haricots à l'intérieur. Il s'empressa de les goûter : un réel bonheur pour son palais !

Le jardinier en planta quelques fèves l'année suivante. Toute la ville et les environs se mirent à parler des haricots de Jacquot qui furent bientôt connus sous le nom de "gros Jacquots". Mais même refrain pour cette légende selon François Desmarest : "Nous n'avons pas de trace de la venue de cet émissaire."

La dernière légende se déroule à la fin du XIXe siècle. Et celle-ci, pour le vice-président de l'association, elle est vraie ! "Nous avons des écrits qui prouveraient cette légende", assure-t-il. Le guetteur de la cathédrale de Saint-Gervais-et-Saint-Protais à Soissons ne quittait pas le haut de la tour où il surveillait la ville.

Épuisé de la morosité du bâtiment, il décide de l’égayer en semant des haricots dans des caisses disposées le long des garde-fous. En poussant, les plantations se promènent sur les murs décorant la tour de verdure. "C'est du vrai Soissons", disait-il à ses visiteurs en ajoutant : "Dieu créa la fleur et lui dit : sois rose ! Il créa le haricot et lui dit : Sois Son et va en paix !"

À deux pas de la cathédrale, un confiseur, monsieur Bruiltet, s'intéresse aux fèves du guetteur. Il mit au point une machine pour fabriquer des bonbons qui sont devenus une spécialité soissonnaise. Le haricot bonbon est né. L’histoire ne dit pas si l’inventeur partagea les bénéfices avec le gardien, qui disparut en 1907.

L'arrivée de la pomme de terre a fait de l'ombre à ce haricot

Ce haricot est importé depuis l'Amérique du Sud vers la fin du XVIIIe siècle. "Ces produits sont essentiellement arrivés par l’Espagne. Ils vont monter par la suite dans le nord de l’Europe", détaille François Desmarest. À cette époque, ce légume était appelé "le haricot d'Espagne".

La culture de la fève s’installe au fur et à mesure dans la vallée de l’Aisne. Le produit est cultivé de façon assez intensive. "On parle de plusieurs tonnes à l’époque", souligne le vice-président. La marchandise venue de tout le département était ensuite acheminée à la gare de Soissons pour être exporté un peu partout en France.

Pour l'anecdote, Didier Cassemiche note que le haricot tient son appellation "de Soissons", non pas parce qu'il y était cultivé - la culture avait lieu entre Laon et Soissons à l'époque -, mais parce qu'il y était chargé. C'est pourquoi, aux yeux "des Parisiens", le haricot est devenu celui de Soissons.

Ceci étant, la voie vers le succès s'est vite arrêtée. "Avec l'arrivée du plan Marshall et surtout de l'agriculture intensive, la production s'est effondrée", déplore François Desmarest. Plus facile à produire, la pomme de terre a fait de l'ombre à la fève. Seulement quelques agriculteurs persistent à produire ce légume.

Un retour en force vers la fin du XXe siècle

Passionnée de traditions populaires, Yana Boureux s’est mise en tête de remettre au goût du jour le haricot de Soissons afin de retrouver les saveurs de son enfance. En 1995, fraîchement élue à la mairie de la ville, elle met le sujet sur la table lors du premier bureau municipal. "Beaucoup d'élus me riaient au nez sauf la maire qui était séduite par l'idée", se souvient-elle. L'ancienne élue s'attaque donc à la reconquête de cette fève par le bonbon au haricot de Soissons.

Je suis allé voir la confiserie Levasseur si on pouvait accélérer la production. Le responsable a répondu que ce n'était pas possible, car le moule a été vendu parce qu'il n'était plus rentable.

Yana Boureux

Quelques jours après, un des responsables rappelle l'élue. Il lui explique qu'il lui reste un sac de graines et exprime sa volonté de réinvestir dans un nouveau moule. Il pose une condition : que la municipalité l'aide pour le vendre. "On a donc décidé d'en mettre dans la mairie ou bien les offrir à nos invités qui viennent en mairie", explique-t-elle. L'idée fonctionne.

Une année plus tard, elle se lance à la reconquête de ce haricot magique. Mais il faut retrouver d'abord cette fameuse graine. Avec l’aide de lycéens en BTS de Saint-Rémy, elle va à la recherche de la fève dans la vallée de Léailette, en dessous du chemin des Dames. "J'étais sûre d’en retrouver là-bas", affirme-t-elle.

La petite troupe a fait du porte-à-porte pour la trouver. À Trucy, Yana Boureux frappe chez Monsieur Rossy. L'homme était perplexe à propos du projet de l'ancienne élue. "Il m'a répondu que je n'allais pas y arriver, mais il a accepté de m'en donner un petit sac", se souvient-elle.

Ni une, ni deux, elle va voir Francois Desmarest et lui propose de relancer cette production. "Il ne savait pas du tout comment on cultivait ce produit", explique Yana Boureux. Une idée lui est alors apparue. Elle retourne à Trucy voir Monsieur Rossy qui accepte de lui venir en aide. Grâce à ses conseils, François Desmarest commence la plantation.

Tout s'accélère en 1997 lors de la dernière foire commerciale de Soissons. Yana Boureux explique qu'elle souhaite un emplacement pendant l'événement pour promouvoir ce haricot avec l'aide gratuite de restaurateurs du coin. En contrepartie, elle explique aux chefs qu'ils bénéficieront d'un personnel venant du lycée hôtelier pour qu'ils puissent, de leur côté, continuer leur activité dans leur restaurant respectif.

"J'avais une condition : on leur fournit du haricot de la première récolte de François, faire un plat avec des recettes d’antan. Et ils ont tous joué le jeu", se souvient avec joie l'actuelle retraitée. Un véritable succès sur la dernière édition de la foire.

Deux adjoints à la mairie évoquent l'idée de créer une confrérie autour de ce produit. Et le 25 mai 1997, la confrérie gastronomique des compagnons du haricot de Soissons est née. L'objectif : promouvoir et mettre à l'honneur ce produit du terroir axonais dans la région, mais aussi de le faire connaître dans toute la France.

"Mon rêve, ce serait de faire une production conséquente"

En 2004, Yana Boureux, devenue grand maître de la confrérie du haricot de Soissons, a une nouvelle idée lumineuse : "Il faut faire une fête du haricot !" Elle reçoit de la part de la mairie une aide de 30 000 euros. "Pas un sous de plus, pas un sous de moins", rigole-t-elle.

Cette première fête, nommée "Soissons et le haricot magique", est d'abord une catastrophe. Un orage s'abat sur l'évènement. Mais dès qu’il s’est terminé, tout le monde est revenu. "À ce moment-là, j'avais gagné la partie", raconte fièrement la retraitée.

Un reportage de Marie Sicaud, Aurélien Barège et Bruno Barbay. Avec Florian Boire, chef de cuisine et parrain de la fête du haricot; Yana Boureux, grand-maître de la confrérie du haricot de Soissons et Serge Buchard, de l'ordre de la ficelle picarde amiénoise.

Animés par la soif de nouveaux défis, une poignée de personnes décident de se lancer en septembre 2014 pour obtenir un label. Une année plus tard, la région, le maire et le grand Soissons mettent de l’argent derrière cette action.

Le travail paie toujours. Déposée en juin 2020 auprès de l'INAO, la demande de reconnaissance "Indication géographique protégée" du Haricot de Soissons a été approuvé le 2 juin 2023, par la Commission européenne. "C'est le quatrième produit des Hauts-de-France qui obtient l'IGP", s'exclame Yana Boureux.

L'institution a reconnu que la connaissance du produit dans la région avait favorisé l’obtention du label pour ce produit. Mais l'aventure est loin d'être terminée ! Ils veulent rechercher de nouveaux producteurs et des planteurs. "Mon rêve, ce serait de faire une production conséquente afin d'avoir une usine de production", conclut Yana Boureux.

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