Témoignage. "Je voulais tellement qu'on soit heureux" : sous l'emprise de son ex-conjoint pendant 15 ans, elle raconte son calvaire

Publié le Écrit par Anas Daif

Une relation d'emprise et des violences psychologiques ne sont pas évidentes à déceler. Elles sont même parfois difficiles à expliquer car elles sont parfois le fruit d'accumulations de petites remarques ou de comportements irrespectueux. C'est ce qui est arrivé à Stéphanie, qui a accepté de témoigner à l'occasion de la Journée internationale contre les violences faites aux femmes.

Stéphanie (*) habite dans l'Aisne. Pendant plusieurs années, elle est victime de violences psychologiques de la part de son compagnon de l'époque. "C'était une relation d'emprise" qui se traduit d'abord par des silences, une absence d'affection, "très peu de rapports sexuels. D'ailleurs, il ne s'est pas gêné de me dire que je ne lui plaisais pas sur cet aspect-là", explique-t-elle.

L'homme en question la présente "très rapidement" à ses parents. Dès le premier rendez-vous, elle se sent "carrément rejetée" car la belle-mère fait comme si elle n'existe pas. "Je me suis dit : c'est quand même particulier comme premier contact. Mais c'est le début, il faut qu'on se fasse confiance", se rappelle Stéphanie. 

Des violences psychologiques pendant trois ans

Sauf que pendant les trois ans de relation, la situation avec la famille de son compagnon ne change pas. Elle empire même. "J'avais des réflexions de sa mère qui me disait, après mon licenciement d'une société où j'étais assistante de direction de haut niveau : de toute façon, tu cherches du travail, ça ne sert à rien parce que tu es la boniche du patron à servir du café. Et là, je suis restée bloquée", regrette-t-elle en ajoutant qu'aujourd'hui, elle ne permettrait à personne de lui parler de la sorte.

Son compagnon, présent lors de cette scène, ne dit rien. "Soit il a fait semblant de ne pas entendre, soit il lui a donné raison quelque part, soit c'était le début d'une emprise en complicité avec sa mère je dirais, ils étaient tous les deux complices".

Il me l’avait bien dit : "toi, je ne sais pas, mais ma mère c’est pour la vie". Et ensuite, je suis tombée enceinte à 40 ans. Pour moi, c’était le cadeau du ciel et ça n’a pas été bien perçu tout de suite.

Stéphanie

D'ailleurs, il ne manque pas une occasion de la dévaloriser avec des remarques en tout genre. Un jour, elle lui repasse une dizaine de chemises en même temps. Le soir, en rentrant du travail, il attrape le tissu, le frotte et lui reproche : "ce n'est pas comme ça qu'il faut repasser, le pli n'est pas bien fait". Des réflexions similaires, il y en a tous les jours. "C'était vraiment sur ma personne, sur mes valeurs, sur la qualité du travail que je pouvais faire à la maison pour lui, pour moi, pour nous, qui était complètement dévalorisée", observe Stéphanie.

"Je voulais tellement qu'on soit heureux"

À l'annonce de sa grossesse, il la voit "comme une personne fausse, manipulatrice, menteuse, soi-disant que je l'avais piégé et que j'avais tout fait pour avoir des enfants avec lui", relate-t-elle. Toutes ces remarques sont, selon elle, des "projections à lui qui ont basculé vers moi et que j'ai prises mais, à l'époque, je ne comprenais pas pourquoi. Je voulais tellement qu'on soit heureux".

L'espoir que les choses s'améliorent la pousse à rester. Mais rien ne change et quand sa fille a 9 mois, Stéphanie a le déclic. "Je me dis : qu'est-ce que je fais ? Qu'est-ce que je choisis ? De repartir vivre chez ma mère qui était la seule personne qui pouvait m'accueillir ? Ou rester dans cette famille et pourrir toute ma vie ?". Elle choisit finalement de retourner chez sa mère pour se reconstruire.

Au bout de trois ans, elle achète son appartement dans le sud-ouest parisien. Sa situation s'améliore : elle a son propre logement, un travail, vit avec sa fille et tout se passe bien avec le père, malgré la séparation. 

À un moment donné, j’ai réussi à rebondir, à refaire ma vie, à rencontrer des personnes, à voir mes amis, à sortir, faire des choses avec ma fille, des activités. Finalement, l’emprise est revenue vers elle, vers moi aussi, parce que s’il touche à ma fille, il me touche forcément. J’ai remarqué qu'il considérait ma fille était comme un objet, un appât pour me toucher.

Stéphanie

La fille, objet d'emprise

Au fur et à mesure, l'emprise qu'il a directement sur elle se déporte sur leur fille. "Quand ma fille, en CM2, a commencé à avoir des problèmes à l'école, il a fait comme si ça n'existait pas, comme si c'est moi qui avais tout inventé". En sixième, la situation ne s'arrange pas. Même chose en cinquième, où elle n'arrive plus à aller à l'école et où sa mère veut l'inscrire au CNED, mais le père s'y oppose. Pourtant, d'après Stéphanie, il se préoccupe peu de son sort en temps normal. Les droits de visite sont même désormais une excuse pour attaquer la mère.

Les remarques s'accumulent : leur fille "a pris du poids", il n'y a "pas assez de culottes dans son sac pour le week-end", "tu as oublié de mettre un manteau pour elle, du coup elle avait froid le week-end". Toutes ces réflexions culpabilisantes "représentent des détails minimes mais grossissent au fur et à mesure du temps". Pendant les gardes, elle a même des plages horaires et des jours spécifiques pour avoir le droit d'appeler sa fille.

Il disait à ma fille : dis pas à ta mère que je t’ai dit ça sinon, elle ne va plus vouloir que je te voie. Et ma fille me disait : lui dis pas, parce qu’il va me tuer, il va m’enfermer dans la voiture et me tuer. Là, quand même, c’est violent. Je bouillonnais à l’intérieur.

Stéphanie

À force de remarques désobligeantes, sa fille se retrouve à ne plus vouloir voir son père, chose que Stéphanie refuse dans un premier temps. "Je lui disais : c’est ton père, il a le droit de visite, tu vas le voir, tu comprends ?" et "elle s'en prenait à moi", souligne-t-elle. Un jour, le père effectue "un dépôt de plainte pour non-présentation d’enfant, un signalement pour dérive sectaire et aliénation parentale" car elle refuse de lui laisser la garde de leur fille.

Le parcours du combattant pour trouver de l'aide

Stéphanie se démène pour trouver de l'aide. Elle contacte plusieurs organismes, dont SOS mères en danger. "On me disait : vous avez du courage madame, c'est super ce que vous faites, continuez". Elle tente plusieurs médecins, un pédopsychiatre qui l'envoie "bouler". Au CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes du Département), la psychologue face à elle est pleine de dédain. Un sentiment de solitude s'installe rapidement.

Elle finit par trouver, grâce à une amie, un CIDFF (Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles). En arrivant la première fois, avec beaucoup d'appréhension après ses nombreuses expériences négatives passées, elle tombe sur une dame "avec un sourire rayonnant qui comprend ma relation avec ma fille". Elle y a trouvé de "l'empathie" et de "l'écoute"

Ça n’a pas été facile parce que j’ai été trimballée, surtout dans le corps médical. Je n'ai pas vraiment eu de conseils, j’ai vu un médecin une fois et je suis sortie en pleurant. Je lui ai demandé de m’aider à mettre en place l’école à la maison parce qu’elle ne voulait vraiment pas retourner dans ce collège. [...] Ce médecin me dit : allez à l’hôpital. Je me suis dit que je ne vais jamais m’en sortir.

Stéphanie

Depuis le début, trouver de l'aide a été difficile, d'autant plus qu'elle se trouve en milieu rural. "Sans voiture, c'est très compliqué. J'ai une navette avec des horaires pas très étendus, donc c'est hyper compliqué". Elle aimerait à l'avenir avoir un groupe de parole avec des femmes de sa région dans sa situation pour se retrouver "et se tirer vers le haut ensemble". Pour Stéphanie, ce "témoignage est une opportunité extraordinaire parce que ça va me libérer", conclut-elle.

(*) Le prénom a été changé

Avec Claire-Marine Selles / FTV

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