Un projet d'implantation de six éoliennes crée le débat depuis bientôt quatre ans dans l'Aisne. Mené par la société Boralex, il a d'abord été interdit par le préfet de l'Aisne, puis autorisé par la cour d'appel de Douai, c'est maintenant le président de la région qui fait appel à l'État pour le faire interdire.
C'est un rapport de force qui dure depuis des années. La société Boralex veut implanter six éoliennes de 180 mètres de haut sur les communes de Marigny-en-Orxois et Lucy-le-Bocage. Les habitants, le commissaire enquêteur, l'autorité environnementale et finalement le préfet de l'Aisne ont donné tour à tour des avis défavorables.
Cependant, Boralex obtient gain de cause en décembre 2023 auprès de la Cour d'appel de Douai, qui a jugé le refus du préfet de l'Aisne irrecevable. Deux mois plus tard, le président de la région Hauts-de-France Xavier Bertrand adresse un courrier au ministre de la Transition écologique Christophe Béchu. Il lui demande de faire appel de la décision devant le Conseil d'État.
Un projet controversé
Tout commence en 2019, lorsque la société Boralex demande une autorisation environnementale pour la construction d'un parc de six éoliennes, réparties en deux groupes de trois et situées sur des terres agricoles de ces communes du sud de l'Aisne.
En août 2020, la mission régionale d'autorité environnementale rend un avis critique sur l'implantation des éoliennes. Leur proximité avec des sites boisés pourrait nuire aux chauves-souris, il est ainsi préconisé de les déplacer "à une distance d’au moins 200 mètres en bout de pales, conformément au guide Eurobats."
L'avis indique également que les études paysagères réalisées par l'opérateur éolien sont insuffisantes et conclut que "le projet pourra avoir une incidence sur les mémoriaux et monuments miliaires en cours de classement au patrimoine mondial de l’UNESCO, notamment sur le cimetière allemand de Belleau. L’autorité environnementale recommande d’étudier de nouvelles mesures de réduction et d’accompagnement pour réduire le niveau d’impact après mesures et remédier suffisamment aux effets du projet."
L'avis demande par ailleurs des vues supplémentaires d'un éventuel impact sur le cimetière américain de Belleau, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO le 20 septembre 2023. L'argument n'a pas été retenu dans l'arrêté préfectoral défavorable au projet. Boralex assure que les vues de ce cimetière ne seront pas impactées.
Un avis défavorable de l'enquête publique
Conformément à la législation, une enquête publique relative au projet a été menée dans les communes concernées. De nombreux avis défavorables ont été collectés à cette occasion, notamment ceux de l'INAO (l'institut national des appellations d'origine, car les éoliennes sont prévues à proximité des vignobles de champagne) et de la voirie départementale.
Les citoyens des communes ont par ailleurs présenté une pétition contre le projet rassemblant 345 signatures. Dans les avis défavorables présentés à l'enquête publique, un citoyen de Lucy-le-Bocage explique ainsi "que Boralex a signé une convention d’utilisation des chemins communaux pour près de 9 000 € par an. En discutant avec le responsable présent de Boralex en fin de réunion, il m’a avoué qu’il s’agit là de pratiques courantes pour acheter les voix des conseils municipaux." Des propos que la société juge diffamatoire.
Le 5 avril 2021, le commissaire enquêteur Dominique Riboulot rend son rapport et son avis, qu'il conclut par les mots suivants : "je donne sans aucune réserve un avis défavorable, au projet de création du parc éolien Boralex Ouest Château-Thierry."
Préfet contre cour d'appel
La communauté de commune de Charly-sur-Marne et le conseil municipal de Lucy-le-Bocage ont également voté contre le projet. Mais pour les projets éoliens, quelles que soient les conclusions des travaux préalables, c'est le préfet qui a le dernier mot.
Celui de l'Aisne se prononce finalement par un arrêté publié le 15 février 2023, refusant la demande d'autorisation environnementale du projet. Le préfet invoque en premier lieu la nuisance aux paysages des coteaux, maisons et caves de Champagne. Cet espace est, lui aussi, classé au patrimoine mondial de l'UNESCO depuis 2015.
Il souligne ensuite l'impératif de protéger les différentes espèces de chiroptères (chauves-souris) susceptibles d'être affectées par l'implantation de ces éoliennes. D'après l'arrêté préfectoral, les mesures de bridages qui permettraient de réduire cet impact remettent en cause l'équilibre financier du projet.
L'entreprise contre-attaque et saisit la cour d'appel de Douai. Cette dernière se réunit le 7 décembre 2023 et prend la décision d'annuler l'arrêté préfectoral. Elle demande au préfet de définir les prescriptions nécessaires à la préservation de l'environnement d'ici au mois d'avril, c'est-à-dire offrir à l'entreprise un moyen de continuer son projet et condamne l'État à verser 2 000 € à la société Boralex.
La région s'en mêle
Ce n'est pas une grande surprise, Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, se positionne régulièrement contre le développement de nouveaux projets éoliens. Il estime que le territoire qu'il administre en compte déjà un nombre suffisant. Le 6 février, la Région a été condamnée par le tribunal administratif de Lille à revoir ses ambitions en matière d'énergie éolienne à la hausse. Son schéma régional d'aménagement ne prévoyait en effet aucune croissance de l'énergie éolienne, contrairement aux autres énergies renouvelables. La région a indiqué vouloir faire appel.
Le 13 février dernier, Xavier Bertrand a également écrit une lettre à Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique, pour prendre position contre le projet éolien de Marigny-en-Orxois et Lucy-le-Bocage. Il invoque la dégradation du paysage autour des lieux classés pour demander au ministre d'agir. "Je souhaite que votre ministère puisse interjeter appel devant le Conseil d'État", conclut-il.
Cela ne serait pas une première : en 2021, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili intervenait dans une situation similaire. Elle demandait l'annulation de l'autorisation du projet éolien de La-Neuville-Sire-Bernard par la cour d'appel de Douai, un projet préalablement refusé par le préfet de la Somme en raison de la saturation des lieux.
Le Conseil d'État a rendu son avis en novembre 2023, cassant le jugement de la cour d'appel de Douai et lui renvoyant l'affaire. La décision est également devenue une jurisprudence permettant de préciser la notion de saturation visuelle dans ce type de litige.
Mais pour l'heure, Xavier Bertrand n'a reçu aucune réponse du ministère de la Transition écologique et de la cohésion territoriale.