Bière : les micro-brasseries se multiplient dans les Hauts-de-France, mais y a-t-il de la place pour tout le monde ?

Le nombre de brasseurs a plus que triplé dans les Hauts-de-France en dix ans, poussé par l'engouement des consommateurs pour les bières artisanales. S'agit-il d'un phénomène durable et d'une activité viable ? Nous avons sondé plusieurs professionnels du secteur.

C'est une statistique qui interpelle : aujourd'hui en France, il se crée en moyenne une nouvelle brasserie par jour. Dans les Hauts-de-France, 2e région brassicole (derrière Grand-Est), le nombre de brasseurs a plus que triplé en 10 ans : ils étaient 42 en 2008, ils sont environ 150 aujourd'hui.

Ces derniers mois, des nouvelles micro-brasseries ont encore vu le jour, comme HUB (Hoppy Urban Brew) à Roubaix, Les 4-Ecluses à Dunkerque, Coeur de Braise à Lens ou Tandem à Wambrechies.
 

"On n'a pas le droit d'avoir une bière moyenne"


Cette dernière a été créée en mai dernier par Aymeric Segard, 36 ans, et Pierre-Antoine Zimmermann, 50 ans, deux anciens cadres en reconversion. Avant de se lancer dans la bière, l'un travaillait dans la restauration collective, l'autre dans le textile. A Wambrechies, il ont racheté le local et le matériel de la brasserie Habert, qui a mis la clé sous la porte après seulement six mois d'activité.
 

Une mésaventure qui n'a pas vraiment refroidi les deux associés de Tandem qui ont déjà investi près de 200 000 euros pour améliorer l'outil de production et proposer une gamme de quatre bières (Pas Cap, Attrape-Nigaud, Poule Mouillée et Bonne Pioche). "On a acheté une embouteilleuse et une étiqueteuse semi-automatiques, on a aussi racheté un fermenteur car il faut avoir une capacité de production, de fermentation et de stockage qui suit par rapport à notre ambition", explique Aymeric Segard. "On avait un objectif de commercialisation dans les premiers mois, on y est. On est conforme à ce qu'on prévoyait, ce qui est très rassurant."

"Il y a l'embarras du choix effectivement mais dans le Nord, on a la chance d'avoir beaucoup de consommateurs qui apprécient beaucoup la bière et qui aiment l'idée de retourner au circuit court", analyse le néo-brasseur. "On a aussi des clients professionnels et des distributeurs qui sont sensibles à la création d'une nouvelle micro-brasserie. La grosse contrainte qu'on a ici, c'est qu'on n'a pas le droit d'avoir une bière qui est moyenne, il faut faire une bière qui est équilibrée, qui est bonne et qui plaise à un maximum de personnes, donc notre travail est d'abord sur la qualité du produit"
 

"L'objectif, c'est que d'ici six à neuf mois, on soit capable de commencer à se sortir un salaire tous les deux", ajoute son associé Pierre-André, qui s'est formé au métier dans des brasseries françaises et anglaises.
 

65% des brasseries peinent à être rentables


Au terme de sa première année d'existence, Tandem envisage de produire 300 à 400 hectolitres de bière. Un seuil que 65% des brasseries en France peinent aujourd'hui à atteindre, selon l'association Brasseurs de France. Un seuil en dessous duquel il est difficile d'être rentable, de se rémunérer et donc de vivre de cette activité.

"Il faut que chacun trouve son point de rentabilité selon les investissements effectués, les emprunts et sa capacité, donc beaucoup n'en vivent pas encore, c'est un complément ou ils font l'effort pendant 3-4 ans de se prendre le minimum du SMIC, voire moins", constate Vincent Bogaert, le patron de la Brasserie Saint-Germain (Page 24), à Aix-Noulette (Pas-de-Calais), qui fut l'un des pionniers du renouveau de la bière artisanale dans les Hauts-de-France en 2003 et qui préside aujourd'hui le syndicat des brasseurs des Hauts-de-France.
 

Après 16 ans d'existence, sa brasserie a aujourd'hui pignon sur rue, avec de nombreuses bières primées, une production annuelle passée de 1100 à 15 000 hectolitres, un chiffre d'affaires qui atteint désormais les 2,8 millions d'euros et une douzaine de salariés recrutés. "Mais on est resté pendant 8 ans au SMIC", rappelle-t-il. "Donc c'est un projet de vie qu'il faut intégrer quand on monte une societé. L'image du patron qui roule dans une grosse voiture et qui part dans les îles tous les ans, ça, c'est faux. Avant on disait qu'il fallait trois-quatre ans, nous, on a mis plus de temps. Mais on a voulu du matériel neuf, on a voulu anticiper des normes d'hygiène qui n'existaient pas mais dont on savait qu'un jour, ça allait arriver... On a été présent sur plein de salons, aujourd'hui encore on fait 14 week-ends de salons par an, où on est présent physiquement. Notre motivation, ce n'est pas le salaire, sinon, ça ferait longtemps qu'on ferait autre chose comme type de bières. L'an dernier, on a sorti 20 nouvelles bières. Si je voulais gagner de l'argent, je ferais autre chose".

"Le plus difficile au départ, c'est la trésorerie", estime Vincent Bogaert. "L'investissement, par contre, c'est un peu plus facile aujourd'hui avec les banques, mais tout dépend du projet. L'important, c'est le fonds de roulement de trésorerie. Vous recevez vos matières premières, il faut à peu près six à huit semaines pour qu'une bière soit fabriquée, elle va être un petit peu stockée, elle va être vendue. Au moment où vous allez être payés, ça fera déjà six mois que vous avez rentré vos matières premières. Donc là, il y a un fonds de roulement à avoir."  
 

Comme les vignerons ?


Mais certains nouveaux arrivants ont su très bien tirer leur épingle du jeu dans la région. L'une des plus belles réussites est sans doute celle de Jean-Christophe Cambier. Cet ancien contrôleur-qualité chez Heineken a lancé en solo sa propre micro-brasserie il y a cinq ans à Croix (Nord). Sa réussite a été fulgurante puisque son chiffre d'affaires avoisine désormais le million d'euros, ce qui lui a permis d'embaucher six salariés.

"Aujourd'hui, il y a beaucoup de vignerons indépendants, pourquoi on ne verrait pas la même chose pour les petites brasseries artisanales ?", estime-t-il. "Nous, par exemple, on a une boutique et un bar directement à la brasserie et cette part-là de nos ventes, c'est quand même 30 à 40%, c'est-à-dire que les gens n'hésitent pas à aller chez le brasseur pour aller acheter leurs bières." 
 
Contrairement à Page 24, ses bières, les Mongy, ne sont pas vendues en grande distribution, mais en circuit court, à la brasserie ou chez des cavistes et magasins spécialisés. "On a en face de nous des consommateurs qui sont des "consom'-acteurs", qui veulent des produits locaux, qui veulent des bières qui ont du goût", observe Jean-Christophe Cambier. "Il y a beaucoup de nouveaux acteurs qui arrivent et je pense qu'il y a encore de la place parce que la part de marché de la bière artisanale (entre 5 et 6% aujourd'hui) va encore augmenter. Ce sera peut-être 12% dans les dix ans à venir".

Aux Etats-Unis, d'où la mode des bières artisanales et des micro-brasseries est partie, cette part de marché dépasse en effet les 10%. "Je crois qu'on va encore avoir huit-dix ans comme ça, avec une belle euphorie", pronostique Vincent Bogaert de la brasserie Saint-Germain. "Après, ça va se stabiliser. Ceux qui auront bien préparé leur projet, avec de la qualité, de la convivialité, ça, ça restera, c'est sûr".

Le succès du dernier festival Bière à Lille - qui a accueilli un nombre record de 12 000 visiteurs le week-end des 9 et 10 novembre - confirme l'attrait des consommateurs de la région pour les productions artisanales.
 
"La clientèle demande de l'amertume, demande de l'acidité, demande de la complexité aromatique, les micro-brasseries sont là pour y répondre et ça, c'est vraiment super !", s'enthousiasme Pierre Mainardi, gérant du Loc'Ale, un bar spécialisé du centre-ville lillois. "Le summum, ce serait que chaque bar ait six bières différentes, il n'y en a jamais trop au niveau de la bière", surenchérit un client.

En 2018, la consommation de bière a augmenté de 4,2% en France. 
 
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