Dans le cadre d'un plan de prévention des risques liés aux cavités souterraines, l'Eurométropole de Strasbourg invite des particuliers à effectuer des travaux d'entretien de galeries. Problème : ils n'y ont souvent pas accès et risqueraient de ne pas pouvoir bénéficier de subventions.
En octobre dernier, Bruno (prénom modifié) tombe sur la maison de ses rêves à Schiltigheim, commune limitrophe de Strasbourg. Lui et son épouse cherchent à acheter depuis plusieurs mois et sont séduits par cette propriété proche du quartier Fischer.
Mais ils déchantent vite : dans l'acte de vente, ils découvrent que le terrain est situé au-dessus d'un réseau de cavités souterraines sous le coup d'un programme national de réhabilitation. Les propriétaires de toute la rue ont jusqu'à fin 2025 pour entamer des travaux, afin de sécuriser ces galeries en mauvais état.
Le sous-sol de Schiltigheim est connu pour être un gruyère. Du fait de son histoire industrielle brassicole, la ville est parcourue par une centaine de galeries souterraines. Principalement situées sous et autour des sites des anciennes brasseries, ces galeries longues de dizaines voire centaines de mètres passent sous les terrains publics comme privés.
"Sur l'ensemble de Schiltigheim, il y a près de 60 hectares d'anciennes caves glaciaires", précise Patrick Maciejewski, premier adjoint à la mairie. "Ça fait plus de 200 ans que [ces caves] ont été construites. Le berceau industriel de Schiltigheim est là et c'est dommage de l'avoir oublié si longtemps."
Des cavités souterraines fragilisées
Laissées à l'abandon pendant des décennies, certaines de ces galeries pâtissent d’avoir été oubliées. Leurs conduits d’aération ont pour la plupart été rebouchés, ce qui affaiblit leur structure. Entraînant ainsi des affaissements des terrains situés au-dessus.
"Quand ils ont construit, les habitants ont fermé les cheminées d’aération, ne sachant pas ce que c'était. C’est ce qui accentue la dégradation," explique Valérie Vouaux, ingénieure projets chez ANTEA Group, la société chargée de contrôler l'état des cavités souterraines pour l'Eurométropole de Strasbourg. "Mais ce qu'on observe le plus, ce sont des dégradations liées à des infiltrations d'eau, dues à des fuites de réseau. Ces fuites lessivent les terrains [...], donc des vides se creusent entre la voûte de la cave et le sol au-dessus. Et le toit du vide peut finir par s'effondrer sur lui-même."
En 2019, route de Bischwiller, un vide d’un mètre de profondeur avait ainsi causé l’effondrement de la chaussée. “On voit parfois des volumes de vide de 10 à 20 m3,” raconte Loïc Grabenstaetter, géologue au BRGM, qui a eu la compétence du diagnostic des cavités pendant 25 ans. “Parfois, le vide atteint 4 m de profondeur, alors qu’en surface on voit juste un ou deux pavés effondrés."
Valérie Vouaux comme Loïc Grabenstaetter nuancent cependant : les galeries dans l'Eurométropole seraient "globalement en bon état."
Des galeries inaccessibles aux propriétaires... mais sous leur responsabilité
Malgré tout, pour prévenir le risque d'effondrement, un programme national de prévention des risques liés aux cavités souterraines (PAPRICA) a été mis en place par l'Eurométropole de Strasbourg pour recenser et sécuriser ces galeries. Mais dans le cas où elles se situent sous des terrains privés, les travaux seraient à la charge des propriétaires.
Pour exiger leur participation, le plan PAPRICA se base sur l’article 552 du Code civil, qui rend les propriétaires responsables de leur sous-sol (sans limite de profondeur). Alors même que l'accès à ces cavités est très limité, comme l'explique Dominique Martin, propriétaire d'une maison rue de Champagne. "Le problème de ces galeries, c'est qu'il y a des accès sous certaines maisons mais nous, par exemple, on n'a aucun accès. Donner ça aux proprios pour s'en occuper, c'est un peu limite."
Un casse-tête d'organisation pour les propriétaires, qui doivent en plus effectuer les travaux collectivement, s'ils ne veulent pas se ruiner. Sous la rue de Champagne, par exemple, un réseau de plus d'une trentaine de caves court sous les terrains de 26 propriétaires différents.
Des "complications" pour l'accord des subventions
À travers des réunions publiques, l'Eurométropole a donc essayé d'encourager les habitants à se constituer en associations syndicales libres. Dans ce cas-là, elle s'engageait sur l'accord d'une subvention à hauteur de 80% du total du coût des travaux, avec un plafond à 52 000 euros. Et ce, multipliée par le nombre de propriétaires concernés.
Mais contactée à ce sujet le 25 novembre 2024, l'Eurométropole de Strasbourg évoque en réalité des "complications" au sujet des subventions. La DREAL et la DDT, qui font le lien du plan PAPRICA entre le national et le régional ne seraient "plus d'accord" sur la façon dont ces travaux doivent être subventionnés.
Marie-Paule Zins, en charge du dossier Paprica à l'EMS nous confie. "Il existe des possibilités de subvention mais on n'a pas encore les éléments. Il est possible qu'elles ne soient finalement accordées qu'aux sites à forts enjeux." Autrement dit, aux sites densément peuplés et sous lesquels les galeries sont en mauvais état. Et si la plupart des cavités dans l'Eurométropole correspondent à ce premier critère, elles ne cochent pas forcément le second. "On va devoir faire une hiérarchisation des terrains."
Un lourd budget pour les propriétaires
Sans subventions, les travaux pourraient se compter en centaines de milliers d'euros pour certains propriétaires. Même si la plupart du temps, les ingénieurs d'ANTEA Group estiment que seuls des "petits" travaux sont nécessaires. "Sous les voies publiques, on recommande de combler les galeries. Mais si elles ne sont pas trop détériorées, il n’y a pas besoin de combler celles sous les habitations. Le moins onéreux, dans un premier temps, c’est de rouvrir les cheminées”, déclare Valérie Vouaux.
S'il n'y a pas de subventions, c'est comme si j'avais fait un chèque en blanc !
Bruno, habitant de Schiltigheim
En ce qui concerne la rue de Champagne, "l'Eurométropole nous a présenté un budget de 180 000 à 200 000 euros pour la création de six cheminées", raconte Bruno. "Et encore, ils nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas se projeter sur un vrai montant. S'il n'y a pas de subvention, c'est comme si j'avais fait un chèque en blanc."
Par ailleurs, il n'existe aucune contrainte légale pour les propriétaires de participer à ces travaux, comme s'en inquiète l'autre propriétaire de la rue Champagne que nous avons interrogée, Dominique Martin. "C’est un peu au bon vouloir de chacun, il n’y a aucune obligation. Si on n'est finalement que cinq à faire les travaux, tout le monde pourra quand même en bénéficier. Ce n'est pas normal, tout le monde devrait mettre la main à la poche."
Dominique Martin compte alors sur le fait que les assurances ne couvriraient pas un sinistre en cas d'effondrement lié aux cavités souterraines, pour motiver les propriétaires à s'engager dans ces travaux.
Car comme l'explique Alexandre Petri, assureur à Schiltigheim, "[en cas de sinistre,] lorsque les travaux ont été effectués, on va faire jouer les assurances dommages/ouvrages qui engagent les bureaux techniques." Mais si les propriétaires ne font rien, "ce serait un défaut d'entretien et il pourrait y avoir une déchéance de garantie."
"C'est une prise d'otage, conclut Bruno. Comme toujours dans la société, c’est une entreprise qui a fait une connerie et qui a vite déguerpi. Et on en arrive à mettre en péril toute une communauté. Maintenant, c’est sur nous que ça tombe alors que c’est pas nous qui avons créé le bazar."