Cinq chercheurs de la région participent au AI Song Contest, un concours type Eurovision de la meilleure chanson composée via l'intelligence artificielle. L'objectif : mettre en lumière cette nouvelle forme de création qui pourrait s'inviter dans le célèbre concours européen d'ici quelques années.
Cinq chercheurs, spécialisés dans la modélisation, la visualisation et l’analyse de la musique par ordinateur, issus des universités d'Amiens et de Lille, défendront les couleurs de la France lors du AI Song Contest.
Dans l'esprit de l'Eurovision, le concours rassemble 13 équipes venues de toute l'Europe : Pays-Bas, France, Allemagne, Belgique, Grande-Bretagne, Suisse et Suède. Sans oublier l'invité exceptionnel non européen : l'Australie.
Chaque équipe est composée de développeurs, chercheurs et/ou de musiciens capables de créer une chanson via l'intelligence artificielle (IA).
Jusqu'au 10 mai, le public choisit le titre qu'il préfère en notant quatre critères : la chanson en général, les paroles, l’originalité, et si le style correspond à ce qui est attendu d’un concours comme l’Eurovision. Un jury de spécialistes évaluera également la partie intelligence artificielle.
Comment composer une chanson via l'IA ?
"C’est avant tout un travail d’équipe, confie Florence Levé, maître de conférences en informatique au laboratoire MIS (Modélisation, Information et Systèmes) de l'Université de Picardie Jules Verne (UPJV) à Amiens, nous avons travaillé à cinq à la conception de la chanson I Keep Counting en utilisant une combinaison d'IA et de décisions humaines pour composer la structure, les accords, le texte et les mélodies."Pour la structure de la chanson, les chercheurs ont utilisé un corpus de plus de 400 titres où les différentes parties des morceaux étaient annotés. "On a fait correspondre les annotations de ces structures avec celles des morceaux de l'Eurovision pour avoir les mêmes parties", explique Florence Levé, dont le travail est également détaillé sur le site du groupe de recherche Algomus.
La structure de la chanson a été ensuite choisie aux dés parmi celles qui ont été générées. La même démarche a été adoptée pour les accords.
Le I Keep Counting s'est généré seul, c'est vraiment la machine qui l'a inventé
"Pour les paroles, nous avons analysé celles des chansons qui nous étaient fournies, et calculé les mots ou ensemble de mots qui étaient les plus représentés. Pour ne pas plagier des paroles existantes, mais permettre la création de paroles cohérentes, on a listé les ensembles de deux mots, puis le modèle GPT-2 a permis de générer le texte", détaille la chercheuse de l'UPJV.
"Les premières paroles générées nous ont tout de suite plu ! Chacun peut y chercher la signification qu’il souhaite, comme pour de nombreuses paroles de chansons. Le I Keep Counting s'est généré seul, c'est vraiment la machine qui l'a inventé avec son corpus d'apprentissage", poursuit-elle.
Les mélodies du couplet et du refrain ont été créées par un suivi de voix des accords et le thème d’intro et de fin, à partir d’un corpus de 10 000 thèmes musicaux classiques. L’arrangement, l’orchestration et le mixage ont été réalisés par l'humain. Les chercheurs ont également fait appel à une chanteuse, une vraie, Niam, une étudiante de Polytech Lille.
Le résultat : une chanson aux accents pop de 2 minutes 34 qui peut faire penser à différents airs. "Chacun va y voir ses références musicales propres. On ne peut pas dire que la machine s'est inspirée de tel ou tel titre. Nous n'avons pas analysé sur quoi l'intelligence artificielle s'est basée", précise Florence Levé.
Une part d'humain dans le processus créatif
Certains musiciens ont déjà utilisé l'intelligence artificielle pour composer des chansons. L'an passé, une équipe israélienne a travaillé avec un ancien représentant d'Israël à l'Eurovision pour créer une chanson via l'IA, en parallèle du concours 2019 qui se déroulait dans le pays. Le titre "Blue Jeans and Bloody Tears" diffusé sur Youtube comptabilise à ce jour plus 4 millions de vues.C'est également le cas de l'album Hello Word sorti en 2017, aboutissement d'un projet de recherche scientifique baptisé "Flow Machines" et dont l'artiste Stromae a participé.
"Pour ce genre de projet le processus de composition n'est pas toujours détaillé. Nous notre démarche aujourd'hui c'est de clarifier un peu les choses. Pour l'AI Song Contest, nous avons essayé d'être aussi transparent que possible, en expliquant en détail ce qui vient de l'IA et ce qui est humain", explique la chercheuse de l'UPJV.
Si la machine fait le travail, peut-on toujours parler de création artistique ? "Nous sommes tous musiciens et nous avons forcément donné chacun un peu de notre sensibilité musicale dans les différents choix effectués. D'ailleurs on n'a pas été toujours d'accord comme dans tout processus de création.", affirme-t-elle.
C'est un autre moyen de créer, cela permet de donner des idées, d'apporter du neuf
Le diffuseur néerlandais, co-organisateur de l'Eurovision 2020 qui n'aura pas lieu cette année, a lancé l'AI Song Contest avec comme objectif qu’une chanson artificielle puisse concourir au concours de l’Eurovision dans 10 ans. L'avenir de la musique ira-t-il dans ce sens ? "Je ne sais pas si cela va bousculer l'univers de la musique, repond Florence Levé, en tout cas c'est un autre moyen de créer, cela permet de donner des idées, d'apporter du neuf. En nous adaptant aux propositions de l’IA, nous avons dû bousculer nos convictions musicales et nous impliquer entièrement dans le processus créatif et ça c'est intéressant."
[MAJ 15/05 : à l'issue du concours, la chanson I Keep Couting a été classée 4e]