Coronavirus / Confinée avec son bourreau : le risque est redoublé pour les victimes de violences conjugales

Si le confinement est indispensable pour endiguer la pandémie de Covid-19, il constitue aussi un terreau favorable aux violences conjugales et intrafamiliales : la promiscuité, les tensions, l’anxiété peuvent y concourir. Les associations d’aide aux victimes sont inquiètes.

Oriane Vanden Berghe est éducatrice spécialisée. Elle est l’une des écoutantes de l’écoute Brunehaut, au sein de l’association Solfa, qui vient en aide aux femmes victimes de violences conjugales.

Depuis lundi, elle est en télétravail et reçoit les appels de femmes en détresse depuis son domicile. Premier constat de la professionnelle, la baisse flagrante du nombre d’appels à la cellule d’écoute. Qui n’est pas bon signe selon elle, loin de là.
 


« Le confinement rend extrêmement difficile la possibilité pour les femmes de nous appeler », témoigne-t-elle.

« Une des rares dames que j’ai eues en ligne avait profité d’une sortie de son mari pour aller promener le chien. Elle a raccroché dès qu’il est rentré ». Depuis, Oriane n’a pas eu de nouvelles, et ne peut pas en prendre. Appeler directement les femmes est une mise en danger supplémentaire, si leur bourreau se trouve dans les parages.
 

La peur de voir le nombre de féminicides s’envoler


L’éducatrice insiste beaucoup sur la nécessité pour les femmes qui se sentent menacées d’appeler le 17 pour se protéger, « en espérant qu’ils soient réactifs » en cette période de confinement.

« Si deux femmes arrivent à nous contacter par jour, c’est le maximum », regrette Oriane Vanden Berghe. «Habituellement, nous traitons en moyenne une dizaine d’appels quotidiens. Avec le confinement qui va se prolonger plusieurs semaines, nous redoutons une augmentation des féminicides. Le temps risque de faire beaucoup de mal ».
En février, la cellule d’écoute Brunehaut avait reçu 130 appels.

 
 

Conseils aux femmes victimes de violences


Que peut dire l’écoutante à une femme en détresse qui décroche son téléphone, en particulier dans cette période de confinement forcé ? « Qu’elle se protège comme elle peut. Garder toujours son téléphone sur soi si elle doit composer le 17 en urgence. Le premier réflexe, c’est d’appeler la police. S’il y a menace physique, ne pas s’enfermer dans une pièce où elle risquerait d’être coincée. Si elle a peur pour sa vie, se mettre en sécurité au plus vite, fuir, se réfugier chez des proches ou au commissariat le plus proche ». Encore faut-il qu’il assure un accueil en ce moment.
 

Des plaintes non acceptées dans certains commissariats


Certains commissariats de la région ont apparemment refusé de prendre des plaintes ces derniers jours, selon Delphine Beauvais, directrice de l’association Solfa, qui évoque un cas dans le Pas-de-Calais, et un autre dans le Nord. « J’ai été appelée samedi soir dernier par le commissariat de Cambrai », relate-t-elle. « Les policiers ne voulaient pas prendre la plainte et procéder à l’éloignement du monsieur au motif qu’il était propriétaire du logement. C’est inacceptable. L’éviction du conjoint violent doit rester la priorité ».

Mercredi, dans un communiqué de presse, le gouvernement a d’ailleurs confirmé ce principe, assurant que la lutte contre les violences faites aux femmes demeurait « une priorité de politique pénale ».

Ainsi, les audiences de comparutions immédiates sont censées être maintenues afin de permettre la répression sans délai des conjoints violents. Les juges aux affaires familiales doivent continuer à assurer le prononcé des ordonnances de protection pour garantir aux victimes une protection rapide et efficace.

Il en va de même des mesures de protection pour les enfants exposés à une situation de danger. « En cas d’urgence, des ordonnances de placement provisoire peuvent être rendues par les magistrats pour garantir leur protection », indique encore le communiqué gouvernemental.
 

Des accueils de jour restent ouverts


L’association Solfa, elle, maintient l’ouverture de ses accueils de jours, à Lille, Douai et Hazebrouck. Toute femme qui aurait besoin de se poser un peu, prendre une douche, recevoir une collation, peut le faire aux horaires habituels.

En réalité, très peu de victimes en franchissent le seuil depuis la mise en place du confinement.

« Les dames sont entravées dans leurs déplacements, elles ont peur », analyse Delphine Beauvais. « Elles ont peur d’être verbalisées en ne pouvant pas prouver de "motif valable" à leur sortie. Certaines ont peur d’attraper le virus également. Enfin, elles ont peur d’éveiller les soupçons de leur conjoint violent si elles quittent le domicile dans cette période particulière de confinement ».

La directrice de Solfa en appelle à tous les témoins potentiels de ces violences, les voisins notamment. « Qu’ils n’hésitent pas à appeler le 17, même pour une fausse alerte, il vaut mieux cela qu’un drame ».
 

« Le confinement est devenu un enfermement conjugal »


Marc Demanze, le directeur de « L’accueil 9 de cœur », qui prend en charge les femmes victimes de violences conjugales à Lens, abonde : « Les liens sociaux habituels, le voisinage, la coiffeuse etc. qui permettaient de repérer des situations problématiques, ne peuvent pas jouer leur rôle en ce moment. Déjà qu’en temps normal c’est difficile, là, on ne sait plus du tout ce qui se passe derrière les volets ».

Le directeur redoute une augmentation des passages à l’acte. « Le confinement est devenu un enfermement conjugal. Il augmente les tensions. Si en plus s’ajoute un problème d’alcoolisme ou d’addictions… tout est exacerbé ».

Il fait état d’un mail, reçu ce jeudi à l’association, qui dit en substance ceci : « J’ai l’air normal, mon conjoint aussi. Mais parfois, la tension est si forte que ça pourrait dégénérer. Aussi j’ai peur, j’aimerais parler de tout ça ».
 

Les courriels reçus à « L’accueil 9 de cœur » sont en augmentation, les appels reçus aussi, d’après Marc Demanze. L’association, qui héberge actuellement une soixantaine de femmes victimes de violences conjugales, avec ou sans enfants, ainsi que deux hommes victimes, a fermé son accueil de jour, mais pas son écoute téléphonique.

« Ce sont des appels à l’aide. On a énormément d’angoisse liée à l’augmentation de l’agressivité dans les couples. En revanche, nous n’avons plus aucune demande de mise en sécurité », s’inquiète le directeur, qui recense habituellement 2 ou 3 demandes par semaine de mises à l’abri. « Depuis le début du confinement il y a dix jours, nous n’en avons reçu qu’une seule. »

Delphine Beauvais, la directrice de Solfa, abonde dans ce sens : « J’ai beaucoup, beaucoup d’appréhension. Il ne faut rien lâcher, surtout pas dans cette période-là. »

 
Que faire si vous êtes victime de violences conjugales ?
► Police secours au 17.
► 3919 (du lundi au samedi de 9 à 19h).

Si vous habitez le Nord ou le Pas-de-Calais :

► Par mail : ecoutebrunehaut59@asso-solfa.fr
► Par téléphone ou par sms 06 50 74 91 82 (numéro actif pendant la durée du confinement) ou 03 20 57 94 27
► L’accueil de jour Rosa à Lille : 06 58 23 65 79
► SOLFA  S.E.D.I.R.E (Dunkerquois) :  03 28 26 46 75 (Du lundi au jeudi de 9h à 18h et le vendredi de 9h à 17h)
► Accueil de jour Hazebrouck : 03 28 44 43 77
► Accueil de jour Simone à Douai : 07 66 12 09 20
► Ecoute hébergement Pas-de-Calais : 03 21 70 82 75

► Signaler les violences en ligne sur arretonslesviolences.gouv.fr ( 24 heures sur 24, 7 jours sur 7)
https://www.gendarmerie.interieur.gouv.fr/A-votre-contact/Contacter-la-Gendarmerie/Discuter-avec-la-brigade-numerique 

► Allo victimes au 03 20 55 09 55 : des avocats du barreau lillois mobilisés pour les démarches à engager.

► 119, pour l’enfance en danger. A composer si l’on est soi-même victime, ou si l’on est témoin, même auditif, même dans le doute, de violence commise sur un enfant, quelle que soit sa nature.
 
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