En période de crise sanitaire, les médias sont contraints de se réorganiser afin de répondre aux besoins des citoyens. Effectifs revus à la baisse, télétravail, nouvelles pages d'actualité, la presse régionale a dû s'adapter en un temps record pour continuer à informer les citoyens.
Les journalistes de terrain font partie des professionnels exposés à l'épidémie. Mais ils continuent de relayer l'information indispensable, de se déplacer sur les lieux pour vérifier une situation, de la décrire et de la relayer, non sans avoir pris, au préalable, des précautions pour éviter tout risque de contamination.
"Nous avons trois objectifs : continuer à assurer notre mission d'information, ne pas mettre en danger notre personnel et ne pas risquer qu'ils deviennent vecteurs du virus. Le paramètre santé est très important", explique Didier Cagny, directeur régional de France 3 Hauts-de-France.
À cette fin, la direction a réduit d'environ 75% les personnels sur site. Les magazines ont été suspendus pour limiter la présence des salariés. Depuis trois semaines, en lieu et place des JT de la mi- journée et de 19 heures, produits à Amiens d'un côté et à Lille, de l'autre, est diffusé le journal télévisé Grande Région. Les moyens entre les deux rédactions ont été mutualisés. "L'ensemble des personnels administratifs et une partie des personnels techniques sont en télétravail ou en absence autorisée et nous avons réduit les équipes sur le terrain" ajoute Didier Cagny.On utilise tous les outils à notre disposition pour réduire les risques
À Amiens et à Lille, chaque jour, trois équipes se déplacent encore sur le terrain équipées de masques chirurgicaux, de gel hydro alcoolique et d'un micro avec perche pour préserver les distances. Sans caméra, pas de télévision. Les déplacements sont essentiels à notre mission. "Nous devons continuer nos reportages de terrain mais nous interroger chaque jour sur le caractère indispensable de chaque information que nous traitons. Et là, il n'y a pas de réponse ferme et définitive. On utilise tous les outils à notre disposition pour réduire les risques. Des outils que nous n'avions jamais utilisé avant en télé, comme les interviews par Skype ou des images tournées par les soignants dans les hôpitaux, par exemple", poursuit le directeur de France 3 Hauts-de-France.
Aucun reportage de terrain sauf exception
Certain médias ont pris des mesures drastiques. Les rédactions de France Bleu Nord et Picardie, ont également mutualisé leurs antennes et les journalistes indispensables à la conduite des éditions, trois maximum par jour dans les locaux, font des roulements pour éviter de se croiser. Les autres travaillent de chez eux.Sur décision de la direction nationale de Radio France, aucun journaliste ne se rend plus sur le terrain, sauf exception. "La proximité en prend un coup et pour les journalistes, c'est très frustrant mais il faut préserver les équipes", confie Vanessa Lamarre, rédactrice en chef de France Bleu Picardie.La proximité en prend un coup et pour les journalistes, c'est très frustrant
Et le cas exceptionnel s'est présenté cette semaine à la rédaction de France Bleu Nord à Lille et pour la première fois depuis le début de la crise. Un journaliste s'est rendu lundi 6 avril à Carvin pour couvrir un fait divers. Une femme et deux enfants ont été poignardés chez eux dans le Pas-de-Calais. "Cela nous a paru important d'envoyer un reporter sur place car, selon les premiers éléments de l'enquête, il s'agissait de violences intra-familiales. Cette information va au-delà du fait-divers classique, surtout en cette période de confinement où les violences conjugales sont en hausse. Mais cela reste une exception qui doit être validée par la direction de l'information du réseau France Bleu et le reportage ne se fait que sur la base du volontariat des journalistes et avec protections appropriées", explique Odile Senelart, rédactrice en chef de France Bleu Nord.
Au Courrier Picard, les reporters locaux ne viennent plus au journal et se sont mis en télétravail. Mais pour Mickaël Tassart, le rédacteur en chef, certaines actualités nécessitent le déplacement d'un journaliste. "Nous devons faire des photos pour constater sur place, par exemple lors de faits divers ou de situations inédites comme les queues devant les supermarchés. Les gens ont besoin de voir et de savoir ce qu'il se passe autour de chez eux car ils ne sortent plus. L'information locale prend toute son importance ».Les gens ont besoin de voir ce qu'il se passe autour de chez eux car ils ne sortent plus
Les audiences sont montées en flèche
Les Français passent plus de temps devant les écrans depuis le début du confinement. D'après une étude Médiamétrie pour ce mois de mars, chaque français a passé 4h29 devant sa télévision, son ordinateur, sa tablette ou son smartphone quotidiennement, soit 44 minutes de plus qu'en 2019 à la même période.Le besoin d'information n'a jamais été aussi grand et les médias enregistrent des audiences record. Les journaux télévisés de France 3 Hauts-de-France sont en nette progression et le nombre de pages vues a plus que doublé en un mois. Du jamais vu sur une si longue période.
Proximité et productivité
Les rédactions ont compris qu'il fallait accélérer le rythme des publications d'articles de proximité. France 3 Hauts-de-France a triplé sa production numérique. Conseils pratiques, info service, articles de fonds, initiatives... "Nous publions beaucoup d'informations pratiques et nous constatons que cela intéresse particulièrement nos lecteurs. Par exemple, notre page qui présente les cartes interactives de points de vente des produits locaux en Picardie a été très lue. Les témoignages permettent aux gens de s'exprimer et de se sentir moins seuls. Et puis, nous répondons aux questions que tout le monde se pose grâce aux interviews de spécialistes, comme les médecins. Ce sont des informations refuges et très utiles vers lesquelles les gens se tournent", explique Jennifer Alberts, rédactrice en chef adjointe, référente numérique à France 3 Picardie.Des lecteurs plus autonomes
Au Courrier Picard, les abonnements web ont été multipliés par quatre. D'après son rédacteur en chef, "les lecteurs ont la curiosité d'aller chercher l'information et le temps pour la lire. Tous les ingrédients sont réunis pour une audience record. La semaine dernière, nous avons enregistré 1,8 millions de visite sur notre site internet, contre 1 million la semaine précédant le confinement".Côté papier, le quotidien a subi une baisse de 15% de ses ventes, essentiellement les clients des kiosques à journaux. "Nous avons senti l'érosion de nos ventes car les gens ne sortent plus. Mais nous avons un dispositif de portage à domicile qui permet à 70% de nos abonnés papier de recevoir leur journaux. Mais il y a quelques retards car La Poste a ralenti sa distribution. Et dans certaines communes isolées, nous n'avons pas de colporteurs", ajoute Mickaël Tassart.
Une confiance retrouvée dans les médias ?
Pas si sûr. Les lecteurs consultent toujours les réseaux sociaux pour s'informer. Mais la tendance évolue. "On observe une montée en puissance des moteurs de recherche. Les lecteurs viennent chercher l'information à la source, sur notre site, grâce au référencement précis que nous faisons pour chacun de nos articles. Les gens se méfient de plus en plus des réseaux sociaux et des pages de complotisme. Mais ce n'est pas nouveau. Depuis le mouvement des gilets jaunes et les dérives numériques liées à cette période, les lecteurs vont chercher de plus en plus l'information et n'attendent pas qu'elle arrive", observe Jennifer Alberts.La chasse aux fausses infos
Les réseaux sociaux fourmillent de désinformation. Dans notre région, une rumeur a circulé sur le décès présumé d'un maire d'une commune de Picardie, sur d'autres sites ou blogs, on annonçait à tort avoir trouvé le patient zéro du Covid-19 dans l'Oise, ou le premier cluster situé sur la base aérienne de Creil."60% de notre audience provenait des réseaux sociaux. Depuis le début du confinement, on est descendu en dessous de la barre des 50%. Cela prouve que nos lecteurs consultent directement notre site web. On est un label de qualité d'information et nous avons une responsabilité d'autant plus importante", explique le rédacteur en chef du Courrier Picard.
Dans cet objectif, le journal a mis en ligne une nouvelle rubrique : "Le Courrier Picard répond à vos questions". Les questions y sont classées par thème : virus, santé, grossesse, éducation, travail, animaux.... et permettent de tordre le coup aux rumeurs.On peut vite passer de la rumeur à la fausse information
"On peut vite passer de la rumeur à la fausse information. Les rumeurs sont institutionnalisées et nous devons les traquer. Il faut regarder d'où vient l'info, de qui et d'où elle provient et la vérifier. Mais ce n'est pas facile en ce moment car nous n'avons pas accès à toutes nos sources officielles. Heureusement, nous avons un réseau très étoffé et les complotistes ont encore moins accès à l'information que nous. Cela nous laisse de l'avance », explique Jennifer Alberts.
Dans les rédactions numériques de France 3, tous les référents sont formés depuis quelques années à la détection des fake news. Sur le site, les articles "anti-fake news" sont identifiés dans le titre avec un mot : "Non,...".
En cette période de crise et alors que les autorités et les spécialistes naviguent à vue, les médias ont une responsabilité encore plus importante sur l'information. Certains conservent encore leurs réflexes du sensationnel mais la plupart sont lancés dans une course pour diffuser l'information indispensable, celle qui aide, accompagne et peut parfois permettre d'éviter le pire.