Culture "industrielle" de cannabis, friches, saisies records... Pourquoi la situation dans le Nord est unique

La saisie record de 8000 pieds de cannabis, mercredi matin à Roubaix, souligne la particularité des Hauts-de-France.

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8000 pieds de cannabis ont été découverts et détruits en plein centre de Roubaix, mercredi matin. Une saisie record, tout comme l'était celle, en mars 2016, de 4000 pieds dans la commune voisine de Hem.
 
Et ce ne sont pas les seules : depuis le début de l'année, on a vu des saisies de 3300 pieds à Roubaix, de 1000 pieds à Tourcoing, de 800 pieds à Harnes ou 500 pieds à Audruicq, dans le Pas-de-Calais...

"C'est une problématique croissante. En 2015, on avait saisi 1000 pieds de cannabis. Depuis le début 2019, on a saisi près de 15.000 pieds et l'année n'est pas terminée !" s'inquiète Romuald Muller, directeur de la Police judiciaire (PJ) de Lille.
 

 

"Culture indoor exceptionnelle"


D'une manière générale, ces dernières années, on a constaté dans l'Hexagone une augmentation de la culture "indoor", mais il s'agit essentiellement d'une "production artisanale de cannabis". "C'est le consommateur qui fait pousser ses plants dans sa salle de bain ou sur son balcon."
 
Les plantations comptant plus de 500 pieds, elles, ne se voient presque que dans les Hauts-de-France, et sont une "pratique des réseaux organisés" constate Romuald Muller.

Il ne s'agit que du nombre de plants : les installations qui sont mises au jour, comme la "culture indoor exceptionnelle" de la rue de Babylone à Roubaix, demandent une véritable "ingénierie" : les systèmes d'éclairage, de ventilation, d'irrigation sont extrêmement sophistiqués.

 

Une "industrie" qui rapporte


Autant de matériel, avec les graines et le terreau, "nécessite un investissement financier très important" et demande de "faire appel à des spécialistes".
 
"Ce qui nous inquiète, c'est qu'il s'agit d'une industrie" ; mais une industrie qui rapporte. Les plants saisis et détruits mercredi auraient rapporté "5 à 6 millions d'euros par an" aux trafiquants, estime le directeur de la PJ. "Il y a une promesse de gains importants"
 

Le constat est d'autant plus inquiétant que le cannabis cultivé par les organisations criminelles est loin d'être inoffensif : "Il y a un taux de toxicité supérieur aux herbes produites naturellement", avec des "conséquences dramatiques" pour les consommateurs.

Mais pourquoi les Hauts-de-France sont-ils aussi touchés ?
 

La Belgique et les Pays-Bas à deux pas


La première raison, et la plus logique, est géographique. Elle tient à la proximité de la Belgique et surtout des Pays-Bas, où la législation en matière de cannabis est largement différente.

Cette situation de carrefour de l'Europe fait que "parfois, et même souvent, il y a une partie de la marchandise qui est revendue au niveau local mais une grande partie va dans un autre pays."

Dans la lutte anti-stupéfiants, "on travaille beaucoup avec les Belges et avec les Néerlandais" glisse Romuald Muller, malgré "des textes et une approche parfois différentes", et la "barrière de la langue".
 
 

L'héritage industriel


L'autre spécificité de ce trafic, c'est que "la plupart des grandes plantations, on les trouve en centre-ville", dans des zones où il y a de "beaucoup d'activité" : l'installation découverte à Roubaix mercredi se trouvait à côté de la Condition publique, un site culturel où les passages sont nombreux. Dans une telle agitation, au milieu des camions de livraison, un camion transportant du matériel servant à la cannabiculture pourrait passer inaperçu.
 
À l'exception de la saisie de 3200 pieds qui avaient été faites à Steenvoorde, Auby et Roye en janvier 2016, la grande majorité de ces saisies ont d'ailleurs bien été faites "en milieu urbain".
 
Pas n'importe quel milieu urbain : "la région est riche en friches industrielles vacantes". C'était le cas de la friche, rue de Babylone. Ajoutons à cela le Nord a un "réseau urbanisé assez dense", davantage que les autres départements, et on devine que les cachettes sont nombreuses.

 

Cueilleurs clandestins ?


Enfin il y a la cueillette des plants, pour laquelle il y a un besoin d'une main d'œuvre importante. Une main d'œuvre souvent issue de "l'immigration clandestine", profitant des nombreux passages dans la région vers l'Angleterre.

"Il y a une exploitation de la pauvreté" dénonce Romuald Muller, qui se souvient d'"un dossier dans lequel il y avait de nombreuses femmes bulgares qui venaient en camion d'Europe du Nord pour la récolte clandestine".

 

Plan Drogue


Si la production de cannabis, notamment "indoor", a augmenté ces dernières années, les moyens déployés par la police se sont également renforcés.

La coordination, notamment, s'améliore entre la Police judiciaire, la Direction départementale de la sécurité publique et les douanes. "La sécurité publique a désormais des brigades dédiées, comme la FRI", la Force de réponse immédiate dédiée à la lutte contre ce trafic dans la métropole lilloise.

"Les effectifs ont doublé en quatre ans" souligne Romuald Muller, qui rappelle qu'avant même le "Plan Drogue", lancé par le gouvernement en septembre dernier, le département du Nord disposait déjà de son propre plan de lutte contre les stupéfiants. Ce dernier "commence à porter ses fruits", estime-t-il.

Le directeur de la PJ note par exemple une "augmentation de 70%" du nombre de personnes déférées devant la justice après des opérations. Dont "la moitié est écroué". Pour les forces de police, c'est ce résultat qui compte, davantage que la quantité de pieds découverts. Mercredi, en marge de la saisie record faite au cœur de Roubaix, deux personnes avaient été interpellées. 
 
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