La mairie de Grande-Synthe a récemment fait retirer les sanitaires accessibles aux centaines de migrants sans-abri depuis la crise du Covid-19. Ils doivent maintenant se laver dans le lac et faire leurs besoins dans le bois du Puythcouk. Les associations déplorent une "atteinte à la dignité".
Début juin, la mairie de Grande-Synthe a supprimé les seules douches et toilettes accessibles aux centaines de migrants sans abris, pour la majorité en transit vers l’Angleterre. Si le maire souhaite éviter de former “de nouveaux camps indignes”, les associations alertent sur ces conditions de vie “inacceptables en France au XXIème siècle”.
Des conditions de vie “inacceptables au XXIème siècle”
“C’est complètement surréaliste de considérer que des personnes puissent vivre comme ça”, s’offusque Franck Esnée, coordinateur régional Hauts-de-France de Médecins du Monde. “Cet hiver, on comptait entre 600 et 650 personnes exilées sur la commune de Grande-Synthe, notamment dans la forêt du Puythouck. Comme l’hiver a été très rude, elles ont trouvé refuge dans des hangars désaffectés de la Linière, en face du bois.”
24 douches et 6 toilettes pendant le confinement
Pendant le confinement, la municipalité, la préfecture et la Communauté urbaine de Dunkerque Grand Littoral ont installé un point d’eau avec des robinets, 24 douches et 6 toilettes chimiques sur remorque pour les 400 migrants présents à la Linière. Mais le 3 juin dernier, l’association Salam alerte dans un communiqué : “Suppression des cabines de douches. Les toilettes et la citerne d'eau n'ont pas été rapportées ce matin.” Le lendemain, “évacuation forcée de la Linière”.
Interrogé, le maire de Grande-Synthe Martial Beyaert explique que le campement de la Linière a été clôturé “sur demande du propriétaire du site, Grand Frais”. En effet, il ne s’agit pas d’un terrain municipal. Le campement ne devait, dans tous les cas pas devenir pérenne, “coûtant près de 50 000€ par mois à la ville, en frais de gardiennage et annexes”.
Selon Médecins du Monde, plus de 300 personnes se retrouvent aujourd’hui dans la forêt du Puythouck, sans toilette, ni douche, le dispositif sanitaire ayant été retiré par la ville. Un seul point d’eau avec des robinets est resté à l’entrée de la Linière, loin des points d’installation des migrants.
Des experts “eau hygiène et assainissement” à Grande-Synthe pour un diagnostic
Alertés par Médecins du Monde, l'organisation humanitaire Solidarités International est venue à Grande-Synthe ce 17 juin avec une équipe de techniciens eau-hygiène-assainissement pour poser un premier diagnostic de la situation sanitaire dans et autour des bois de la base de loisirs du Puythouck. Résultat, selon Manon Galego de Solidarités International, “la localisation du point d’eau restant pose problème. Il est extrêmement éloigné des installations des personnes exilées. Il faut en effet compter une heure de marche par jour aller/retour, en transportant de l’eau dans des contenants souvent sales”.
L’experte a également constaté “l’absence totale de WC et de douche, qui oblige alors aux personnes exilées de pratiquer la défécation à l’air libre, avec tout ce que ça comporte comme caractère indigne.” “Tant d’éléments qui posent une vraie question de dignité, au-delà du fait que c’est un droit fondamental, et d’autant plus alarmant en contexte de crise sanitaire”.
Des femmes utilisent des couches à la place des toilettes
Sur place, au quotidien, les associations témoignent de la détresse sanitaire. “Il y a un problème d’hygiène et de sécurité”, déplore Claire Millot, secrétaire générale de l'association Salam pour Calais et Grande-Synthe. Pour remplacer la douche, “les hommes seuls se lavent dans l’eau marron du lac et les femmes dans leur tente, avec une bouteille”. “Des femmes mettent des couches car les femmes ont peur d’aller toute seule dans les bois pour aller au toilette”, rapporte un membre de l’association Solidarity Border.
“C’est complètement surréaliste de considérer que des personnes puissent vivre comme ça. Toutes les pathologies qu’on rencontre avec nos cliniques mobiles sont liées au conditions de vie. Ça pose des problèmes d’hygiène mais surtout insupportable. Je refuse de m’habituer à ça”, s’indigne Franck Esnée de Médécins du Monde, qui milite pour un dispositif sanitaire pérenne. Un rapport de diagnostic de Solidarités International avec des scénarios de solutions sera proposé aux pouvoirs publics dans quelques jours.
✔️Notre équipe prépare 500 bouteilles d ‘eau qui vont être distribuées sur l ensemble des lieux de vie à Grande Synthe ✊??
— Solidarity Border (@SolidarityBord2) April 5, 2020
❌600 personnes survivent dans des conditions inhumaines sans aucun accès à l eau potable @prefet59 @VilleGdeSynthe pic.twitter.com/NE9TJMXFYh
La mairie a peur de créer un nouveau “camp indigne”
Mais rien n’est prévu du côté de la municipalité, qui préfère les “mises à l’abri”. Une solution que n’apprécient pas toutes les associations, comme Médecins du Monde : “Ce sont en fait des mesures d’éloignement car les abris proposés sont à une centaine de kilomètres de Grande-Synthe. Trop loin, pour ces personnes qui souhaitent aller en Angleterre. De plus, on prendra leurs empreintes, et souvent dublinés, ils seront expulsés vers le premier pays d’accueil européen”.
Pour le maire Martial Beyaert, qui aimerait une meilleure répartition nationale, installer des sanitaires n’est pas une meilleure option : “On ne peut pas accepter de créer des camps indignes sur la ville. Et on sait qu’installer des sanitaires revient à en créer un. Ces campements se retrouvent ensuite contrôlés par des passeurs.” Pas question de revivre l’expérience de la “jungle de Calais”.
Le Conseil d’Etat bientôt saisi ?
Pour un des membres de Solidarity Border, “Ça revient au même. Sanitaires ou pas, campement unique ou pas, il y a bien plus de 400 personnes dans les rues de Grande-Synthe et ça ne changera pas. Nous avons aidé 73 nouvelles personnes depuis début juin. Mais sans douches ni toilettes, elles vivent dans des conditions inacceptables.”
Solidarity Border se dit prête à monter une “procédure d’urgence pour que la ville et l’Etat soient contraints d’installer des sanitaires. Quitte à saisir le Conseil d’Etat s’il le faut.” En juin 2019 déjà, le Conseil d'État saisi par neuf association de Grande-Synthe, avait enjoint à la préfecture du Nord d'installer des points d'eau, douches et sanitaires à proximité d'un gymnase de Grande-Synthe, autour duquel vivent quelque 700 migrants.