"Si je rentre, j'ai peur d'être tué comme ma mère et mon petit frère" : dans le centre d'accueil où ils logent depuis leur départ de la "Jungle", ces migrants soudanais passent un à un le redouté entretien dont dépendra leur demande d'asile.
En ce lundi de novembre, l'Ofpra (Office français de protection des réfugiés et apatrides) mène la première de ses "missions hors les murs" à Croisilles (Pas-de-Calais), où une ancienne maison de retraite a été transformée en Centre d'accueil et d'orientation (CAO) pour les migrants de Calais. Il s'agit, pour les trois salariés de l'office, d'entendre les 36 Soudanais arrivés le 24 octobre, au premier jour du démantèlement du bidonville, plutôt que de les convoquer au siège de l'Ofpra, à Fontenay-sous-bois, en banlieue parisienne. "Ils sont plus tranquilles. Il n'y a pas l'effet grand oral", explique François Corbin, qui mène la mission.
Mais le but est aussi de traiter leur dossier "le plus rapidement possible, conformément à ce qu'on leur a promis" à Calais, assure Pascal Brice, directeur général de l'Ofpra. Soit "dans un délai d'un à deux mois", contre cinq mois en moyenne.
L'Ofpra a commencé là par un CAO "modèle", avec des visiteurs de marque -- Manuel Valls est venu, on attend Lilian Thuram -- mais qui résume les défis que rencontrent ces centres, entre manifestations hostiles, à l'initiative du FN notamment, et mobilisation de la population locale.
"Faussement joyeux"
Dons de vêtements, cours de langue... Les migrants peuvent compter sur un volant de bénévoles. "Les premiers jours, ils avaient besoin de beaucoup voir le médecin. Certains se sont effondrés après deux semaines. Mais ils sont jeunes, ils vont se retaper", assure le docteur Valérie Nguyen, qui vient deux fois par semaine. Elle juge toutefois les migrants "faussement joyeux", car "l'avenir est très incertain pour eux"."On leur apprend la France"
Dans la salle commune où il boit un thé, Nazir, 21 ans, attend son entretien "avec confiance". "Mon pays, maintenant, c'est la France", lance-t-il dans un français déjà fluide. Des résidents jouent aux échecs, d'autres s'essaient à la guitare. Certains dressent la table du dîner -- ici, les migrants assurent ménage, vaisselle, avec une charte de bonne conduite qu'ils se sont fixée entre eux."Ils veulent rendre ce qu'ils ont reçu", assure Claude Picarda, de l'association La Vie active qui gère le CAO. En attendant "on leur apprend la France", la priorité étant "de trouver une solution de logement et une insertion professionnelle". Les CAO sont en effet "des centres temporaires", avant réorientation "vers le droit commun", rappelle-t-on au ministère de l'Intérieur. Celui de Croisilles est mandaté jusqu'à avril.
Selon l'Ofii, 37% des migrants de Calais souhaitent demander l'asile, et 44% avaient déjà une demande en cours à leur arrivée en CAO -- dont deux tiers relevant d'une "procédure Dublin" c'est à dire qu'ils sont déjà enregistrés dans un autre pays européen. Les autorités françaises se sont toutefois engagées à ne pas les renvoyer de force vers ce pays.