2 389 suppressions de postes à Auchan : les 5 raisons du déclin

Ce mardi 5 novembre 2024, le distributeur nordiste Auchan a annoncé la suppression de 2 389 postes dans toute la France, dont près de 800 dans ses centrales d'achat de Villeneuve d'Ascq et Croix, ainsi que la fermeture d'une dizaine de magasins. Un plan social qui s'explique par cinq erreurs stratégiques.

2 389 postes supprimés, soit 4% de ses effectifs en France, et la fermeture d'une dizaine de magasins. Telle est la teneur du plan social annoncé par Auchan à ses représentants du personnel ce mardi 5 novembre 2024. Pour les experts, la situation du groupe nordiste s'était dégradée ces dix dernières années, rendant ce plan humainement très lourd inévitable. En clair, le distributeur paie le prix de ses mauvais choix.

1 - L'inflation alimentaire

Si Auchan faiblit, c'est d'abord à cause de l'inflation alimentaire, qui a atteint 20% en deux ans, de 2021 à 2023.

En dix ans, Auchan a perdu 4 points de parts de marché descendant à la cinquième place des distributeurs.  Avec 9,1% de parts de marché, l'institut Kantar classe l'entreprise loin derrière le trio de tête E.Leclerc (24,1%), Carrefour (21,4%) et Intermarché (17,4%), et même derrière les 12,2% de Coopérative U.

"Auchan va moins bien que ses concurrents, affirme Frank Rosenthal, expert en marketing du commerce, depuis les deux années d'inflation qui ont suivi le Covid. Si on prend l'inflation alimentaire en France, sur la période de 2022 et 2023 vous avez plus de 20% d'inflation selon l'Insee. Mécaniquement, vous continuez de faire vos courses, vous continuez de fréquenter les magasins que vous avez l'habitude de fréquenter, et le chiffre d’affaires augmente partout."

"Certes, il a augmenté en 2022 pour Auchan. Mais c'est la seule fois en dix ans. Il a rebaissé en 2023, quand Leclerc a gagné 6 milliards d'euros de chiffre d’affaires supplémentaires."

2 - Des prix trop élevés par rapport à la concurrence

"Et puis, poursuit l'expert, Auchan n'a pas été assez vigilant sur l'indice prix. C'est simple, dans les pubs comparatives de Lidl aujourd'hui ils ne sont même pas cités."

Des prix trop élevés qui pèsent sur la compétitivité et que l'entreprise doit absolument baisser. Car qui ferait 20 minutes de voiture pour trouver les mêmes étiquettes qu'à côté de chez lui ?

Deux pistes ont été lancées, à commencer par une alliance avec Intermarché, annoncée le 23 septembre 2024 et la création d'une entité commune pour négocier ensemble leurs achats alimentaires sur la durée. Une fusion des services achats qui devrait rapporter 380 millions d'euros.

Quant au plan de restructuration annoncé ce 5 novembre 2024, il devrait générer 375 millions d'économies, dont la direction a déjà dit qu'elle les injecterait dans la baisse des prix.

3 - Pas assez d'investissements dans les magasins

"Le fait d'avoir peu investi dans les magasins est très pénalisant sur la durée, ajoute encore Frank Rosenthal. Leclerc met beaucoup d'argent pour rénover ses magasins et c'est une stratégie payante car cela attire les clients."

L'expert met aussi en avant la stratégie de l'identité. Les responsables E.Leclerc bénéficient d'un modèle souple : chaque adhérent, propriétaire de son magasin, peut s'adapter à sa clientèle et aménager leur espace de vente aux contraintes locales. "Le point de départ sur le plan commercial, c'est d'avoir un positionnement qui différencie le groupe des autres. Or, le dernier slogan mis en avant par Auchan, c'est de bien manger. Quelle grande surface va préconiser de mal manger ?"

4 - La taille

Autre problème de taille : les hypermarchés du groupe sont... trop grands. Au 30 juin 2024, Auchan ne comptait que 311 supermarchés et 30 supérettes de proximité, quand Carrefour et Casino en exploitent des milliers. La stratégie principale du distributeur nordiste repose avant tout sur ses 161 hypermarchés qui font souvent plus de 15 000 mètres carrés.

"Ils n'ont pas su régler le problème des hypers", affirme Frank Rosenthal. La marque lance donc un grand plan de réduction de ses surfaces de vente pour les faire descendre sous le seuil des 10 000 mètres carrés, supprimant pour cela plus de 30% de l'offre de certains rayons mais aussi le gros électroménager, la téléphonie mobile et la hi-fi.

Pour le journaliste spécialiste de la consommation Olivier Dauvers, interviewé mardi 5 novembre 2024 par RTL, le système a vécu. "Il y a trente ans, on était très heureux de venir deux heures le samedi dans un magasin pour faire ses courses. Aujourd'hui, la taille a un effet repoussoir. Il faut du temps pour y aller et du temps sur place et les prix ne sont pas plus avantageux."

5 - La stratégie internationale

Auchan compte 54 000 salariés en France, mais le groupe est international, avec 100 000 postes en dehors du pays et les résultats sont contrastés ces derniers mois.

"Si le distributeur a quitté la Chine en 2017, détaille Frank Rosenthal, et revendu le Vietnam et l'Italie, quand la Russie vient se rajouter à ça, ça ne facilite pas la marche du groupe."

L'expert fait allusion à la mauvaise publicité autour de la présence d'Auchan en Russie. L'enseigne est sous le feu des critiques depuis le début de la guerre en Ukraine pour ne pas avoir quitté le territoire russe, où elle exploite 94 hypermarchés et 138 supermarchés. Et la situation pèserait négativement sur les comptes. En Europe de l'Est, les résultats du groupe sont en baisse.

Selon Les Echos et La Lettre, des négociations auraient lieu actuellement entre l'Association familiale Mulliez (AFM), propriétaire d'Auchan, et Gazprombank et Auchan, contrairement à Decathlon et Leroy Merlin, pourrait disparaître du pays dirigé par Vladimir Poutine. En cédant la Russie, le groupe perdrait environ 10% de son chiffre d'affaires.

Sur les six premiers mois de 2024, la société de portefeuille Elo qui détient Auchan Retail a subi une perte nette de près d'un milliard d'euros et espère beaucoup du plan social annoncé ce 5 novembre. Mais pour Frank Rosenthal, "ce n'est pas parce qu'on va réduire la taille des magasins que les gens vont forcément y retourner. Et puis, procéder à une augmentation de capital de 400 millions d'euros pour acquérir une centaine de magasins Casino d'un côté et de l'autre, fermer des Auchan... Ce n'est pas très cohérent."